Déc 04 2004

Projet de loi de finances pour 2005

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’aucuns se sont étonnés que ma première intervention budgétaire, mes « premières armes » en tant que nouveau sénateur, je les fasse sur le projet de budget des anciens combattants.

Si je tenais à le faire, c’est parce que je voulais marquer mon respect pour nos anciens, mais aussi parce que je souhaitais pouvoir vous féliciter, monsieur le ministre, de votre action et de vos projets dans le cadre d’un budget raisonné et réaliste.

Je tiens à vous remercier tout particulièrement d’avoir, par un geste de haute portée symbolique, marqué la reconnaissance de la nation à deux catégories d’anciens combattants trop souvent et trop longtemps oubliées : les harkis et les anciens combattants français de l’étranger.

Vous l’avez fait en autorisant que deux plaques soient apposées en leur mémoire sur les murs de la cour d’honneur des Invalides. Ce seront les deux dernières, puisque la commission nationale a décidé qu’il n’y en aurait plus jamais d’autres en ce lieu prestigieux.

L’apposition de la plaque à la mémoire des anciens combattants français de l’étranger, qui ont souvent été les premiers à s’engager pour défendre la France lorsqu’elle était menacée, s’est déroulée le 30 septembre dernier, en votre présence, monsieur le ministre, et celle de Mme Michèle Alliot-Marie, de M. Renaud Muselier, ainsi que des associations d’anciens combattants et des élus des Français de l’étranger. Ce fut, pour notre communauté, un moment d’immense fierté et d’émotion partagées. Jamais rien de tel n’avait été fait sur le sol français en mémoire de ces combattants, et je voulais le rappeler dans cette enceinte, en vous en remerciant à nouveau.

Mon intervention se situe dans un contexte que je qualifierai de satisfaisant, dans la mesure où le projet de budget des anciens combattants pour 2005 est, pour la première fois depuis dix ans, en augmentation, alors que nous constations chaque année une baisse de 2, 41 % en moyenne. Ce coup de pouce de 0,14 % par rapport au budget pour 2004 peut paraître insignifiant. Cependant, la marge de manoeuvre budgétaire de l’Etat étant elle-même, comme chacun le sait ici, très réduite, nous ne pouvons qu’applaudir à cet effort réel pour nos anciens combattants, d’autant que nombre d’entre eux, ceux d’Afrique du Nord, atteignent cette année l’âge de 65 ans et vont bénéficier d’une retraite bien méritée.

Nous devons aussi vous féliciter du sérieux et de la sincérité de ce budget, qui compense les insuffisances des années antérieures liées à la sous-estimation du nombre des pensionnés pour invalidité et au titre de la retraite du combattant. A cela s’ajoute la prise en compte de la revalorisation du montant des pensions, en application du mécanisme du rapport constant, et je vous en félicite.

L’objectif de réparation et de reconnaissance des services rendus reste central, puisque les crédits y afférents représentent 86 % du total des crédits affectés à votre projet de budget pour 2005.

Je veux souligner la majoration de 15 points d’indice de toutes les pensions des veuves. Cela concerne les veuves de guerre, les veuves d’invalides et les veuves de grands invalides, au total 130 000 femmes. Cette mesure, en vigueur depuis le 1er juillet, nécessite une augmentation de près de 12 millions d’euros de crédits en 2005. Elle coûtera près de 24 millions en année pleine et se traduira par une hausse de 192 euros de toutes les pensions de veuves. Ce n’est que justice, quand on sait le lourd tribut que ces femmes ont consenti à la nation. Mais est-on assuré, monsieur le ministre, qu’aucune d’entre elles ne se trouve malgré tout en situation de précarité et dans l’obligation de recourir à l’aide sociale ?

Je veux évoquer aussi l’instauration d’une indemnisation de tous les orphelins des victimes d’actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale, car elle me semble remédier à ce qui était un oubli regrettable dans le devoir de réparation de la nation, d’autant que les orphelins des déportés juifs et ceux des victimes de persécutions raciales bénéficient à juste titre d’une indemnisation. Ainsi, 20 millions d’euros ont été inscrits au chapitre 46-02, article 20, pour 8 000 bénéficiaires potentiels. Je vous demande, monsieur le ministre, de veiller à ce que nos ressortissants à l’étranger soient bien informés de cette possibilité. Bien entendu, mes collègues représentant les Français établis hors de France et moi-même contribueront à relayer cette nouvelle disposition gérée par vos services.

M. Robert Del Picchia. Très bien !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Et puisque nous parlons d’indemnisation, il faut dire notre déception qu’aucune solution n’ait encore été trouvée pour indemniser nos compatriotes incorporés de force dans les formations paramilitaires allemandes, RAD, Reichsarbeitstdienst, et KHD, Kriegshilfsdienst.

Il est infiniment regrettable que les crédits importants dont dispose la fondation de l’Entente franco-allemande ne puissent leur être attribués pour des raisons apparemment administratives. Mais est-ce bien le cas, monsieur le ministre ?

Partenaires privilégiés dans l’Union européenne, il me semble que nos deux pays devraient pouvoir trouver un terrain d’entente – n’est-ce pas d’ailleurs l’objet et l’intitulé de la fondation ? – pour permettre à quelque 8 500 bénéficiaires potentiels, essentiellement des femmes, originaires d’Alsace et de Moselle pour la plupart d’entre elles, d’obtenir réparation.

J’en arrive au point qui constitue « une avancée historique », selon les propres termes de notre excellent rapporteur spécial Jacques Baudot. Je veux parler de la décristallisation des pensions et retraites versées aux anciens combattants de l’armée française, ressortissants originaires d’Etats placés antérieurement sous souveraineté française, mesure qui était réclamée et attendue depuis très longtemps.

Les élus de l’Assemblée des Français de l’étranger avaient été parmi les premiers à protester vigoureusement contre l’injustice subie par nos ex-nationaux du fait de ce blocage de leurs pensions et retraites durant plusieurs décennies. Ils se réjouissent aujourd’hui avec moi que vous ayez mis fin à ces quarante années d’iniquité.

J’entends ici et là des critiques sur la nouvelle fixation de la valeur des points, déterminée à partir des parités de pouvoir d’achat publiées annuellement par l’ONU. Celles-ci me paraissent largement exagérées, car personne ne peut contester que, d’un pays à l’autre, d’un continent à un autre, les coûts de la vie soient différents. L’injustice aurait été précisément de concéder le même montant à tout le monde.

Une telle approche, déconnectée du réel, trop hexagonale, dirais-je, ne peut être celle des Français de l’étranger qui vivent au quotidien ces différences de pouvoir d’achat. (M. Robert Del Picchia. applaudit.) Le dispositif arrêté est d’ailleurs calqué sur le système de rémunération des personnels français recrutés à l’étranger, certes imparfait mais qui constitue une sérieuse base de départ. Nous vous demandons bien sûr de veiller à ce que ces critères restent équitables.

Il serait extrêmement important de décider l’alignement des retraites du combattant pour les ressortissants des pays de l’ancienne Union française sur celles de la France. Pour un montant relativement modeste, puisqu’elles s’élèvent en France à 425,38 euros par an, l’impact serait considérable dans ces pays et serait particulièrement bienvenu au regard de la conjoncture internationale, et notamment africaine.

Je connais certes les arguments juridiques et économiques qui tendraient à empêcher cette revalorisation, mais je crois qu’il nous faut absolument trouver une solution. Un tel geste serait à l’honneur de la France.

De même, il serait important que l’ONAC puisse augmenter le montant de ses subventions d’aide sociale en direction de nos ressortissants dans certains pays d’Amérique latine, comme l’Argentine, le Venezuela, le Mexique et le Brésil, où nombre de nos compatriotes âgés vivent dans une situation de précarité et de dénuement intolérables. Monsieur le ministre, un effort supplémentaire de solidarité peut-il être fait en leur faveur ?

Mais, au-delà de ces requêtes, l’essentiel reste pour nous que 80 000 ressortissants répartis dans vingt-trois pays ont perçu des versements revalorisés dès les premiers mois de l’année 2004. Cela représente un effort de plus d’un milliard et demi d’euros pour les arriérés, et quelque 450 millions par an pour les revalorisations de pensions et de retraites du combattant. Cette décristallisation était indispensable à l’image et au rayonnement de notre pays à l’étranger, et vous savez, monsieur le ministre, combien nous, sénateurs représentant les Français établis hors de France, y sommes sensibles.

Ayant commencé mon intervention par la mémoire, je terminerai sur ce même thème, d’une importance croissante avec la disparition progressive de nos anciens combattants des deux grandes guerres du XXe siècle.

Les commémorations très émouvantes organisées à l’occasion du soixantième anniversaire des débarquements qui ont permis de libérer la France, ceux du 6 juin en Normandie et du 15 août en Provence, ont magnifiquement ravivé nos mémoires. Ces manifestations résonnent toujours dans nos esprits et dans nos coeurs plusieurs semaines après leur déroulement.

En dehors de ces grandes cérémonies médiatisées, il existe de par le monde de multiples lieux de mémoire, des cimetières français, des nécropoles, des monuments, des stèles, tous érigés en mémoire des anciens combattants et victimes de guerre français. Nos compatriotes de l’extérieur sont très attachés à leur bonne conservation, car lorsque ces lieux se dégradent, c’est l’image de notre pays qui est touchée.

Je peux citer le cas d’une stèle sur l’île anglo-normande de Jersey à la mémoire du général de Gaulle, qui a tellement subi l’outrage du temps qu’elle nécessite une reconstruction complète.

D’autres monuments à l’étranger sont en mauvais état. Le ministère des affaires étrangères consacre chaque année quelques crédits à la restauration de ces lieux, mais ils restent insuffisants.

Je ne méconnais pas non plus les efforts réalisés par la direction de la mémoire en complément du programme pluriannuel qui a déjà permis de réhabiliter le cimetière militaire de Sébastopol ou le pavillon de France à Auschwitz, par exemple.

Cependant, la réduction significative des crédits aux chapitres 46-03, article 10, et 46-04, article 20, peut susciter une certaine inquiétude. Le développement de partenariats avec les pays concernés par une mémoire partagée avec la France devrait compenser les réductions de crédits. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si des partenariats ont déjà été finalisés, tant en Europe qu’à l’extérieur de l’Union, et ce que nous pouvons concrètement en espérer ?

En conclusion, notant votre engagement de procéder à l’augmentation du point d’indice de la retraite des anciens combattants, je voterai, avec l’ensemble du groupe UMP, votre budget, notamment parce qu’il permet de poursuivre la politique de réparation de la nation, tout en élargissant son bénéfice à des catégories qui en avaient jusqu’à présent été écartées. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)