Mar 29 2005

Proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, combattre toutes les formes de violence de notre société est un devoir collectif. Lutter contre les violences au sein du couple – dont les femmes sont les premières victimes – est une impérieuse nécessité, comme a pu en juger notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes tout au long des auditions qu’elle a consacrées à l’écoute d’associations et de professionnels en prise avec ce fléau, qui, rappelons-le, touche tous les milieux sociaux.

Comme l’ont montré des travaux en profondeur, qui ont contribué à éclairer notre Haute Assemblée, il s’agit d’un phénomène récurrent, trop souvent passé sous silence et qui atteint non seulement les femmes dans leur intégrité, mais aussi, par répercussion, les enfants.

Cela est bien sûr intolérable dans un pays comme le nôtre, profondément attaché aux valeurs inaliénables de la personne. Je m’associe donc pleinement à l’intention qui sous-tend les deux propositions de loi de nos collègues et je remercie la commission des lois et son rapporteur de la pertinence de leurs conclusions dans lesquelles ils suggèrent de préciser et de renforcer notre arsenal juridique pour lutter plus efficacement contre ces violences conjugales.

Mais je veux ici m’exprimer surtout sur une forme de violence qui n’est pas prise en compte dans les textes des propositions de loi que nous examinons aujourd’hui, et qui, pourtant, est loin d’être un phénomène marginal dans la société française. Je veux parler des mariages forcés, auxquels sont soumises nombre de nos jeunes compatriotes. Dans un rapport de 2003, le Haut conseil à l’intégration a estimé à 70 000 le nombre des jeunes filles concernées par ce problème en France. C’est un chiffre très inquiétant, surtout au regard des 256 000 mariages célébrés l’année dernière, mais que les associations s’accordent à juger encore très en dessous de la réalité.

Dans son avant-projet de rapport sur les mariages forcés et mariages d’enfants, la commission sur l’égalité des chances de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe décrit les différents aspects que peut prendre ce phénomène : soit la jeune fille, résidente en France, est attirée à l’étranger sous un prétexte fallacieux ; soit, venant de l’étranger, elle est « importée », et je reprends là le terme utilisé par la commission. Bien sûr, les futurs époux peuvent aussi résider tous les deux sur le territoire national au moment du mariage. Ces pratiques ont été qualifiées d’esclavage moderne par le comité de suivi des droits de l’enfant des Nations unies. Elles concernent essentiellement des mineurs, mais aussi de jeunes majeurs de nationalité française.

Comment pouvait-on, dès lors, ne pas réagir pour protéger nos adolescentes contre ces pratiques d’un autre âge, qui choquent nos consciences ?

Sur ce point, la législation française, en autorisant expressément le mariage de filles mineures, est condamnable à un double titre : parce qu’elle autorise le mariage d’enfant – je rappelle que, au regard de la convention internationale des droits des enfants, on est enfant jusqu’à l’âge de dix-huit ans – et parce qu’elle est discriminatoire à l’égard des jeunes filles.

Alertée fort justement par la défenseure des enfants, que je tiens à féliciter pour son travail inlassable en leur faveur, j’avais également été sensibilisée à cette question comme représentante des Français à l’étranger où nombre de ces mariages sont pratiqués. J’ai ainsi déposé le 3 mars dernier, avec mes collègues de l’UMP, une proposition de loi relative à la modification de l’article 144 du code civil qui consiste à relever de quinze ans à dix-huit ans l’âge minimum légal du mariage pour la femme, comme cela est le cas pour l’homme. Il s’agit d’une mesure simple, à effet immédiat, qui protégera les adolescentes concernées par les mariages forcés tout en laissant ouverte la possibilité de dérogation prévue à l’article 145 du même code, qui requiert l’accord du procureur de la République.

L’urgence de la situation justifiait de transformer notre proposition de loi en un amendement au présent texte, dans la mesure où il était logique d’élargir le dispositif de lutte contre les violences conjugales à la lutte contre les mariages forcés, causes d’une violence morale et psychologique considérable et intolérable à l’égard des femmes.

D’autant plus que cette disposition, instituée par la loi du 17 mars 1803, reprise par l’article 144 du code civil napoléonien et inchangée depuis deux siècles, en permettant aux Françaises de se marier dès l’âge de quinze ans est un anachronisme au pays de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes.

Si elle pouvait peut-être se concevoir il y a deux siècles du fait de la mortalité importante des jeunes femmes et de la nécessité d’une procréation à un jeune âge, une telle discrimination ne se justifie plus aujourd’hui. La quasi-totalité des pays européens a déjà procédé à l’harmonisation de l’âge nubile pour les deux sexes, le fixant en général à dix-huit ans.

Plus significatif encore, des pays de tradition musulmane, comme la Turquie, en 2002, et le Maroc, en 2004, ont relevé cet âge à dix-huit ans pour les filles dans le cadre de la modernisation de leur code de la famille, contribuant ainsi à changer profondément les mentalités. L’on me dit qu’aujourd’hui à Istanbul il est très mal vu de se marier si l’on est encore mineure.

Est-il donc raisonnable que, dans le même temps, à Paris, à Brest ou à Marseille une adolescente de quinze ans ait la possibilité de contracter mariage alors même qu’elle reste soumise jusqu’à seize ans à l’obligation de scolarité ? N’est-ce pas un frein, madame la ministre, mes chers collègues, à l’accomplissement des études, le moyen le plus sûr dans toute société pour acquérir l’autonomie et la liberté auxquelles aspirent toutes les femmes au même titre que les hommes ?

L’obsolescence de l’âge minimum légal du mariage pour les filles a d’ailleurs été implicitement reconnue lorsqu’il s’est agi de fixer l’âge légal permettant de contracter un pacte civil de solidarité, PACS, c’est-à-dire dix-huit ans pour l’homme comme pour la femme, selon l’article 515-1 du code civil !

Bien évidemment, cette modification du code civil ne suffira pas à elle seule à éliminer les mariages forcés. D’autant que nombre de mariages de jeunes Françaises ont lieu hors de notre territoire, à l’occasion d’un déplacement dans le pays d’origine qui permet plus facilement de contraindre la jeune fille à une union selon le système juridique local. Un des buts de telles unions est parfois, nous ne pouvons nous le cacher, l’accès à la nationalité française.

A l’heure actuelle, un consulat français à qui l’on demande la transcription d’un tel mariage ne peut refuser un dossier. S’il existe un doute sur la sincérité du consentement, le consulat peut le transmettre au procureur de la République, mais si celui-ci n’a pas répondu dans un délai de six mois – ce qui est, du fait de la surcharge des tribunaux, le cas le plus fréquent -, le mariage est automatiquement transcrit.

Aucune statistique officielle n’existe actuellement sur le nombre de ces mariages pratiqués à l’étranger. Pour mieux appréhender la situation, le directeur des Français à l’étranger et des étrangers en France a accepté de diligenter une étude, qui pourrait nous éclairer pour réformer le dispositif. Car il faudrait aller bien au-delà de cet amendement, faire en sorte que le mariage puisse être transcrit seulement après accord explicite du procureur de la République et qu’une action éventuelle en nullité pour vice du consentement puisse être de son ressort, alors qu’actuellement seuls les conjoints sont en droit de demander l’annulation du mariage. On imagine bien, en effet, que les intéressés eux-mêmes ont le plus grand mal à entreprendre cette démarche.

Les dossiers suspects étant, depuis le 1er mars, centralisés sur un seul service spécialisé à Nantes, il conviendra de donner les moyens adéquats au parquet pour que leur traitement soit plus rapide et efficace. Sans doute faudrait-il aussi réfléchir au mode d’acquisition de la nationalité française par le mariage et subordonner, par exemple, cette acquisition à un décret.

Mais, comme chacun le sait, on ne peut changer la société par décret. C’est sur les mentalités qu’il nous faudra agir pour prévenir de tels phénomènes. L’éducation en milieu scolaire, plus encore que l’arsenal répressif, permettra de limiter dans l’avenir ces pratiques dans notre pays. Il faut aussi faire confiance aux associations spécialisées dans la prévention des mariages forcés et leur donner les moyens de diffuser leurs actions tant en milieu scolaire qu’auprès des familles dans les quartiers sensibles.

Je ne voudrais pas conclure sans remercier M. le garde des sceaux, qui a accepté de soutenir aujourd’hui notre amendement, et qui l’a annoncé publiquement la semaine dernière.

Mme Hélène Luc. Il est dommage qu’il ne soit pas présent !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mes remerciements sont d’autant plus appuyés que je connais le chemin parcouru pour admettre cette réforme du code civil, laquelle – si j’en juge par l’ampleur des réactions favorables – s’inscrira comme une évolution majeure pour la reconnaissance de la dignité des femmes, qui apportent tant à notre pays.

Je voudrais enfin vous demander à tous, mes chers collègues, de voter cet amendement dont je souhaiterais rappeler qu’il avait déjà été présenté voilà plusieurs années par notre collègue de l’UMP M. Patrice Gélard. L’unanimité serait évidemment un signe très fort en direction de nos concitoyens en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle serait à l’honneur de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)

Voir l’amendement fixant à dix-huit ans l’âge minimum du mariage pour la femme comme pour l’homme.