Fév 12 2007

Projet de loi réformant la protection de l’enfance

Si j’ai souhaité m’exprimer en deuxième lecture du projet de loi réformant la protection de l’enfance, dès la discussion générale, c’est pour sensibiliser la représentation nationale et vous-même, monsieur le ministre, aux situations de détresse d’enfants français à l’étranger.

Elles sont réelles, elles sont souvent d’ailleurs aggravées par l’éloignement et elles correspondent aux mêmes motifs que ceux que nous connaissons en France : précarité, difficultés familiales, violence, parents isolés.

Or, du fait même de la vision très partielle, partiale et souvent déformée que les Français ont fréquemment de la situation de leurs compatriotes établis à l’étranger, ces problématiques sont ignorées.

Il me semble que, dans le cadre d’une discussion sur la protection de l’enfance, il était indispensable d’évoquer ces difficultés.

C’est tellement vrai que le ministère des affaires étrangères, en charge de la protection de nos ressortissants à l’étranger, a signé le 12 février 2004 un protocole de partenariat avec le Défenseur des enfants.

Ce protocole vise à préciser les modalités de coopération entre les deux institutions pour améliorer l’assistance aux enfants français en situation de détresse à l’étranger et indique qu’« au titre de l’assistance aux Français à l’étranger, les autorités consulaires françaises facilitent, en relation avec les autorités compétentes, y compris locales – c’est-à-dire celles du pays d’accueil – la meilleure prise en charge de ces enfants ». Le protocole continue pour justifier cette coopération indispensable.

Notons bien, monsieur le ministre, que, aux termes de ce protocole, nos autorités consulaires sont effectivement compétentes pour traiter des situations de détresse des enfants français à l’étranger, contrairement à ce qui a été avancé, notamment par l’Assemblée nationale, pour repousser les dispositions contenues dans l’amendement en leur faveur que j’avais déposé avec l’ensemble de mes collègues sénateurs UMP des Français de l’étranger.

En 2005, dans un compte rendu de la Commission permanente pour la protection sociale des Français de l’étranger, la direction des Français à l’étranger du ministère des affaires étrangères précisait que, pour améliorer notre dispositif d’aide social, il convenait de prendre davantage en considération la situation des enfants en détresse et elle autorisait les postes consulaires à leur accorder, à titre expérimental, des secours mensuels spécifiques en fonction de leurs besoins – soutien psychologique, médical, alimentaire, scolaire.

J’ajoute à titre d’information que, en 2005, 60 000 euros avaient été provisionnés pour la première fois alors que, de l’avis même du ministère, 90 000 euros auraient été nécessaires !

Par ailleurs, 538 aides ponctuelles ont été ajoutées, soit 80 000 euros supplémentaires.

En 2006, les secours mensuels spécifiques sont passés à 214 000 euros pour 148 enfants, et les aides ponctuelles représentent un budget total d’actions sociales avoisinant les 15 millions d’euros.

Dans cette optique, les postes consulaires devraient pouvoir assurer le suivi et dresser un bilan en fin d’exercice, en demandant, si nécessaire, le concours des consuls honoraires et des sociétés de bienfaisance dans le ressort de la circonscription.

Pour compléter la description de ce dispositif, j’ajoute que les comités consulaires pour la protection et l’action sociale, les CCPAS, composés d’élus à l’Assemblée des Français de l’étranger et de représentants d’associations représentatives, ont à connaître des situations de détresse de nos ressortissants.

Les CCPAS proposent la répartition des crédits d’aide sociale, gérés par le ministère des affaires étrangères, qui bénéficient aux Français en difficulté.

Si les aides versées sont en général ponctuelles, les allocations aux enfants et aux adultes handicapés sont en principe permanentes, tout comme l’allocation de solidarité pour les retraités.

Cette aide sociale apportée par l’État français vient en complément, et en complément seulement, des aides éventuelles des pays d’accueil. Elle ne se substitue pas aux États de résidence et ne porte certainement pas atteinte à leur souveraineté.

La France, depuis longtemps déjà, tient à faire bénéficier nos concitoyens qui en ont le plus besoin, hors de ses frontières, du modèle social construit au fil des années. Cette politique, bien entendu, doit évoluer en fonction des situations et du contexte mondial.

Dans son dernier rapport, le Défenseur des enfants indique que 11 % des dossiers qui lui ont été soumis l’année dernière concernent des enfants vivant à l’étranger. Ce chiffre est en augmentation constante. Il s’agit d’enfants français ou binationaux en situation de détresse : orphelins, enfants de la rue, enfants victimes d’abus sexuel, voire prostitués.

Je citerai l’exemple d’une jeune mineure franco-malgache, prostituée par sa mère et qu’il a fallu rapatrier à l’île de la Réunion pour la soustraire à cet enfer, ou celui de mineures que leurs parents voulaient marier de force à l’étranger.

Cette contrainte est heureusement proscrite dans le droit français depuis la réforme du code civil à l’occasion de laquelle l’âge légal du mariage pour la femme a été relevé de quinze ans à dix-huit ans et le dispositif pénal contre les mariages forcés raffermi.

Comment ne pas évoquer le cas de ces enfants binationaux résidant à l’étranger avec un de leurs parents et privés de tout accès au deuxième parent à la suite d’une rupture et d’un enlèvement ? La Convention de La Haye de 1980 n’arrive toujours pas à leur garantir un simple droit de visite, d’échange oral ou épistolaire.

Devant les situations que je viens d’évoquer brièvement, il m’est apparu tout à fait évident que les institutions françaises compétentes à l’étranger devaient être associées au dispositif proposé par le projet de loi réformant la protection de l’enfance afin de mieux protéger nos jeunes compatriotes des situations de détresse

Nombre de pays, en effet, n’ont pas de politique de prévention ou de protection des enfants, soit parce qu’ils n’en ont pas les moyens, soit parce qu’ils n’en ont pas la volonté.

Bien que parfaitement consciente du fait que la transposition du droit français n’est pas possible à l’étranger, j’estime de notre devoir de faire bénéficier la communauté française de l’extérieur d’une protection adaptée aux risques auxquels elle est soumise.

C’est pourquoi, en première lecture, j’ai déposé à l’article 8 un amendement, adopté grâce à la sagesse de notre assemblée, visant à instituer pour les Français établis hors de France l’obligation faite aux agents consulaires en liaison avec les CCPAS d’établir un rapport annuel à l’Observatoire national de l’enfance en danger, de la même façon qu’il est exigé des observatoires départementaux.

Il s’agit, par cette disposition, de sensibiliser les acteurs de terrain à l’étranger et de permettre une meilleure approche du problème des enfants en détresse, tant du point de vue quantitatif que du point de vue qualitatif. Nous ne disposons pas des données suffisantes en la matière et, même s’il n’est pas question d’obtenir à l’étranger un inventaire exhaustif, il est de notre devoir de mettre en place les moyens d’une meilleure connaissance des difficultés.

Les députés ont supprimé cette disposition, arguant du fait que « la protection de l’enfance relevait des autorités du territoire où l’enfant se trouve, quelle que soit sa nationalité » et que les « autorités consulaires risquaient d’être assez démunies face à cette demande ». Il a même été affirmé que les services consulaires n’avaient juridiquement et diplomatiquement pas compétence pour enquêter sur la politique de protection de l’enfance dans les pays souverains. Je crois que les textes que j’ai cités en provenance du ministère des affaires étrangères prouvent, bien évidemment, le contraire.

Certes, les consulats ont peu de moyens, nous le savons tous ici, mais ce n’est certainement pas une information sur les cas d’enfants en difficulté qui viendrait considérablement alourdir leur charge de travail. Je peux vous dire en tout cas que j’ai toujours reçu un accueil extrêmement positif lorsque j’ai mentionné cette proposition à l’occasion de mes déplacements ou de mes échanges avec les autorités diplomatiques et consulaires.

Il ne s’agit absolument pas de s’immiscer dans les affaires d’un État souverain. Il s’agit par contre de sensibiliser nos consulats à cette question importante, afin qu’en cas de difficultés ils puissent assister les autorités du pays d’accueil, voire coopérer avec elles pour trouver les solutions les plus appropriées.

Il s’agit enfin de faire en sorte que nos petits nationaux ne soient pas les grands oubliés des dispositifs mis en place par l’État français.

Je constate qu’il est souvent difficile de faire connaître la situation spécifique des Français à l’étranger. Peut-être d’ailleurs les ministères des affaires sociales et des affaires étrangères devraient-ils se concerter un peu plus. En tout cas, les sénateurs représentant les Français établis hors de France sont là pour faire progresser les choses.

J’espère avoir démontré que nous avons à l’étranger un outil, les consulats, et en leur sein, avec le réseau des élus à l’Assemblée des Français de l’étranger, les comités consulaires pour la protection et l’action sociale, les CCPAS, où sont représentées également les associations d’entraide et de bienfaisance.

Il serait intolérable que les enfants restent les grands oubliés des actions pour la protection sociale à l’étranger. Plus encore que tous les adultes – qu’ils soient handicapés, malades, sans ressources – que nous aidons déjà par des aides sociales ponctuelles ou régulières après décision collégiale des CCPAS, ils ont besoin d’aide et de protection.

J’ai donc déposé de nouveau mon amendement à l’article 8, en espérant que ma brève intervention aura permis de mieux appréhender la situation et les besoins de nos compatriotes à l’étranger. Je vous remercie, monsieur le ministre, de l’avoir écoutée. Bien entendu, il ne s’agit pas de demander un rapport exhaustif, scientifique et chiffré de façon indiscutable.

J’aurais, bien sûr, souhaité que soient prises d’autres mesures. J’aurais souhaité par exemple que soit élaboré un guide des bonnes pratiques en ce domaine à l’étranger, dans le prolongement du travail que vous avez vous-même commencé, monsieur le ministre, et dont je vous félicite. Mais j’ai voulu rester modeste dans mes revendications, dans nos revendications, pour les Français de l’étranger.

Je vous félicite en tout cas, monsieur le ministre, pour ce projet de loi dont je partage l’esprit, les orientations et dont je soutiendrai les dispositions.

Il s’agit essentiellement de faire en sorte que les problèmes rencontrés par nos enfants français à l’étranger soient, eux aussi, pris en compte par le législateur, conformément à ce qui est notre devoir, à nous sénateurs des Français de l’étranger.

C’est à cette fin et parce que j’approuve totalement ce texte que je souhaite que nos enfants français à l’étranger n’en soient pas écartés. C’est une question de cohérence et de logique dans l’esprit de solidarité nationale qui doit sans cesse nous animer. C’est aussi une exigence morale face à ces enfants sans voix et pratiquement sans défense, loin de notre territoire.

J’espère, monsieur le ministre, que vous aurez su m’écouter et m’entendre ; je vous en remercie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)