Mar 17 2012

Bangladesh (14-17 mars 2012)

Quatrième pays musulman du monde, le Bangladesh a construit son identité davantage sur la langue et la culture bengalies que sur la religion. D’une superficie de 147 570 km2 pour un peu plus de 148 millions d’habitants, sa capitale, Dacca, compte 12 millions de personnes. Seuls 213 Français sont inscrits en 2011 au registre des Français établis hors de France, formant une petite communauté, dynamique et soudée. Depuis le renversement du régime militaire du général Ershad en 1990, le Bangladesh vit sous un régime de démocratie parlementaire dans lequel deux partis nationalistes opposés dominent, dans le cadre d’un mode de scrutin uninominal à un tour. Le Bangladesh Nationalist Party (BNP) et l’Awami League (AL) ont ainsi accédé tour à tour au pouvoir. L’AL est aujourd’hui au pouvoir depuis janvier 2009, sous la conduite de Mme Sheikh Hasina Wajed, fille de Mujibur Rahman, héros de l’Indépendance du pays en 1971.

Même si le pays a fait d’énormes progrès en ce qui concerne l’amélioration de la vie de ses habitants,  il demeure l’un des pays les plus pauvres de la planète (au titre de l’indice de développement humain -IDH- publié par le PNUD en 2010, le Bangladesh est classé en 129e position sur 182 pays (contre 146e un an plus tôt). Les progrès réalisés au cours des deux dernières décennies prouvent que ce pays n’a pas encore pleinement exploité son important potentiel. Les niveaux de santé et d’éducation se sont considérablement améliorés et la pauvreté perd du terrain. J’ai pu constater sur le terrain ces progrès et les défis qui restent à relever. Je tiens à saluer le travail du Chargé d’Affaires, Premier conseiller de l’ambassade, Conseiller de coopération et d’action culturelle, M. Babou Kamichetty.  Il fut un allié précieux tant pour l’organisation de mon séjour que pour son bon déroulement. Qu’il en soit vivement remercié, ainsi bien sûr que l’Ambassadeur Michel Trinquier,  qui, bien que n’ayant pas encore reçu ses lettres de créance,  avait tenu à être présent dès le dîner organisé avec les chefs de service le soir de mon arrivée de Calcutta et  lors de la réception organisée dans sa résidence pour me permettre de rencontrer l’ensemble de notre communauté française.  J’ai beaucoup apprécié leur disponibilité, leur engagement et que celui de toute l’équipe de l’Ambassade, avec une mention spéciale pour le Consul Jean-Max Viennot et pour  le responsable des service de police Pierre Snabre, qui ont eu la gentillesse de m’accompagner avec leurs épouses pour une visite du Bâteau-hôpital d’Yves Marre le vendredi, jour férié au Bangladesh.

Entretien avec le Premier Ministre, Mme Sheikh Hasina Wajed

Après la tenue des élections générales de décembre 2008, cinq priorités ont été définies par le nouveau gouvernement : stabilité macroéconomique et lutte contre la hausse des prix des produits de base ; lutte contre la corruption ; programme d’investissement public quinquennal ambitieux dans l’énergie et les infrastructures ; lutte contre la pauvreté et les inégalités et amélioration de la gouvernance. J’ai été impressionnée par cette femme courageuse et par son parcours exceptionnel. Fille du dirigeant nationaliste Mujobur Rahman, premier président de la République tué lors du coup d’État de 1975, Sheikha Hasina Wajed est une femme exceptionnelle, qui préside la Ligue Awami depuis plus de trente ans. Devenue leader de l’opposition en 1991, dès le retour des premières élections démocratiques, elle remporte les élections générales de 1996. À nouveau dans l’opposition après sa défaite aux élections générales de 2001, elle est arrêtée en 2007 par le gouvernement intérimaire. Elle est alors accusée faussement d’extorsion de fonds et de complicité de meurtres, mais remise en liberté par la Haute Cour de Dacca qui suspend son  procès. Après de multiples péripéties, elle redevient Premier Ministre en janvier 2009.

Notre entretien, qui portera sur les enjeux de la présence française dans ce pays et les relations entre le Bangladesh et la France, où elle s’est rendue à plusieurs reprises, notamment pour y recevoir la Médaille d’Or de l’Université Paris Dauphine,  pour sa contribution en faveur de la démocratisation de son pays et de l’émancipation de la femme, se déroule dans son bureau du Parlement,  où elle doit prononcer un discours important. La veille, le Bangladesh avait obtenu victoire dans le litige l’opposant à la Birmanie sur les eaux territoriales, dans une zone riche en matières premières du golfe du Bengale – litige qui avaient failli dégénérer en conflit armé en 2008. Dans sa décision relative à la délimitation de la frontière maritime, le tribunal international du droit de la mer a estimé que les deux pays devaient avoir la souveraineté sur leur plateau territorial respectif : s’il a retenu la méthodologie proposée par la Birmanie pour ses calculs, il a accordé davantage de surface maritime au Bangladesh. Cette décision met fin à une quarantaine d’années de litiges et va permettre au Bangladesh de commencer l’exploitation du pétrole et du gaz dans la zone. C’est une immense victoire personnelle pour Sheikha Hasina Wajed, qui s’est engagée dès le début de son mandat sur ce dossier et les députés allaient d’ailleurs lui réserver un accueil enthousiaste dans l’hémicycle, où elle nous autorisa, le Chargé d’Affaires, Bakou Kamichetty et moi-même,  à la  suivre.

Entretien avec la Ministre pour le bien-être des femmes et des enfants, Dr. Shirin Sharmin Chaudhury

La ministre, titulaire d’un doctorat en philosophie du droit de l’Université d’Essex au Royaume-Uni , m’explique que l’action du gouvernement à cet égard vise avant tout la réduction de la féminisation de la pauvreté, par le biais de mesures adaptées et ciblées à l’intention des veuves, des femmes enceintes, des mères de familles et des femmes vivant dans l’extrême pauvreté. Des petits crédits à taux préférentiel sont ainsi octroyés aux femmes rurales pour leur permettre de devenir indépendantes au plan économique ; les femmes les plus démunies se servent de ces crédits pour monter des activités génératrices de revenus. L’égalité entre les sexes est une réalité dans le domaine de l’éducation, a indiqué Mme Chaudhury. La scolarisation secondaire des filles dépasse désormais celle des garçons. L’éducation obligatoire étant gratuite pour les filles à condition qu’elles ne soient pas mariées, le taux de scolarisation a augmenté en même temps qu’ont chuté les taux de mariages précoces et d’abandon. Des progrès ont aussi été réalisés en matière de santé de la femme, des mesures ayant été prises pour prodiguer des soins de santé primaire aux femmes rurales par le biais d’un réseau de dispensaires.

La ministre a également fourni des précisions sur la participation accrue des femmes dans la vie active. Cette participation améliorée concerne aussi bien le secteur privé que la fonction publique, soumise à un quota de 15%. L’émancipation politique des femmes est assurée depuis l’adoption de la loi de 1997 qui prévoit leur élection directe à un certain nombre de sièges au niveau des autorités locales.

Plus spécifiquement, et en partenariat avec l’UNICEF et des ONG, la Ministre m’entretient longuement de son soutien à des actions destinées à mettre fin au harcèlement sexuel contre les filles et les femmes. Parmi les multiples combats à mener pour protéger les femmes et les enfants, celui de l’ « Eve teasing », expression utilisée pour décrire le harcèlement des filles et des femmes dans les lieux publics par les garçons et les hommes. L’ « Eve teasing » est devenu une forme souvent brutale de harcèlement sexuel qui peut provoquer des dommages physiques et psychologiques permanents et profondément altérer la vie d’une fille. Le harcèlement lui-même se manifeste de différentes façons, de l’agression verbale et des allusions sexuelles à l’enlèvement, au jet d’acide et au viol. En réaction, certains parents choisissent de garder leurs filles à la maison plutôt que de les envoyer à l’école ou bien ils les marient lorsqu’elles sont jeunes pour tenter de protéger leur honneur et d’assurer leur sécurité. Vouées à la servitude domestique et sans beaucoup de mobilité, ces adolescentes se retrouvent elles-mêmes privées à la fois de la possibilité de faire des études et de trouver des débouchés sociaux. Elles sont aussi vulnérables aux risques qui, en matière de santé, sont associés au mariage précoce et à la grossesse. Au Bangladesh, les effets du harcèlement ont même poussé certaines filles et femmes à se suicider. Selon la Ministre, blâmer les victimes ne résoudra pas le problème. Nous devons encourager les filles à parler afin de créer une prise de conscience au sein de la communauté et de travailler ensemble pour empêcher l’  « Eve teasing ». Ainsi, avec l’UNICEF, une telle prise de conscience a permis la mise en place de groupes locaux d’adolescents appelés les « Clubs Kishori ». Ces clubs ont pour but d’assurer un environnement sûr où les filles et les garçons se réunissent et communiquent de façon positive. Les membres du club participent à diverses activités et à des séances d’information et acquièrent les moyens qui leur permettent de devenir des vecteurs de changement. Grâce à des fonds provenant de l’Union européenne, il existe aujourd’hui près de 3000 clubs Kishori dans près de 30 districts du Bangladesh.

Une autre action concrète, toute récente de la ministre, est la création du grand espace de vente le Joyeeta – Winner Women, en plein centre de Dacca, dédié à la vente de produits d’artisanat réalisés par des femmes entrepreneurs.

Visite du bateau hôpital de Yves Marre

A l’origine, il faut noter l’implication d’un personnage hors du commun Yves Marre, steward chez Air France, première personne à avoir traversé la Manche en parapente motorisé, pilote d’hydravion en Amazonien, ayant réussi à la traversée Paris-Miami en péniche en 38 jours … Sportif hors du commun, Yves Marre a aussi toujours mis son extraordinaire énergie au service de grandes causes.

Après plusieurs missions humanitaires pour Aviation Sans Frontières, il fonde il y a 18 ans avec Runa Khan, figure de l’entrepreneuriat social au Bangladesh, une association, l’organisation Friendship, afin d’apporter des soins médicaux aux habitants des îlots situés au Nord du Bangladesh. Comme ces îlots sont isolés et éloignés des côtes, Yves Marre et son épouse ont eu l’idée de transformer des barges en hôpitaux flottants, qui pourraient ainsi se déplacer facilement sur les rivières et venir en aide aux populations locales. Le Lifebuoy Friendship Hospital (LFH), que j’ai pu visiter, fut le premier hôpital flottant de Friendship, opérationnel depuis décembre 2001. Il est équipé de chambres pour les docteurs, de deux blocs opératoires, d’un service de gynécologie, d’un service de traitement médical réservé aux femmes, d’un cabinet dentaire complet, d’un laboratoire pathologique, d’un service ophtalmologique équipé pour des opérations chirurgicales, et d’un service de radiologie. L’hôpital offre des traitements anti-natals et post-natals, gynécologiques, pédiatriques, et s’occupe d’un certain nombre de maladies relevant de la médecine générale. Le bateau est également équipé d’un dispensaire qui distribue gratuitement des médicaments aux patients. Jusqu’à vingt membres d’équipage peuvent embarquer simultanément. En plus des services médicaux proposés à bord, le LFH organise des « camps médicaux spécialisés » pour fournir des soins de santé secondaires avancés, grâce à l’aide de médecins locaux et internationaux renommés qui viennent exercer gratuitement des opérations chirurgicales ou offrent des consultations. L’hôpital flottant fournit également des traitements médicaux d’urgence en cas de catastrophes naturelles (inondations, cyclones). Depuis sa création, le LFH a reçu 398 768 patients, dont 2/3 pour des soins primaires et 1/3 pour des soins secondaires.

L’équipe qui nous a reçu à bord nous a expliqué qu’un deuxième hôpital flottant, baptisé l’Emirates Friendship Hospital (EFH), avait été inauguré fin 2008 et est installé dans le Nord du pays. Il a déjà permis le traitement de 146 870 patients. Enfin, un troisième navire est en cours de transformation. Il s’agit du Rainbow Warrior 2, célèbre bâtiment de l’ONG Greenpeace International, rebaptisé Rongdhonu. Arrivé au Bangladesh en août dernier, des travaux de rénovation ont commencé dans le port de Chittagong et devraient durer encore quelques mois avant que ce nouvel hôpital flottant ne puisse longer les côtes, afin de venir en aide aux populations qui n’ont que peu ou pas d’accès à des soins médicaux.

Cette visite du bateau-hôpital d’Yves Marre fut aussi l’occasion de rencontrer des personnes aussi emblématiques que sympathiques, très engagées dans l’amélioration du quotidien des habitants du Bangladesh en matière de santé, d’éducation ou de microfinance.  Toute l’équipe des médecins du LFH bien sûr, mais aussi des jeunes français venus consacrer plusieurs mois de leur vie à l’aide humanitaire dans ce pays un peu oublié, et je voudrais tout particulièrement mentionner Corentin.  Etant venu faire un stage dans l’atelier de construction de bateaux d’Yves Marre, ce jeune ingénieur de 26 ans apprenant que la ressource essentielle du pays, la toile de jute, était de moins en moins demandée et que les ateliers fermaient les uns après les autres, réalisa que la  jute pourrait remplacer avantageusement le plexiglas pour la construction des bateaux,  avec un processus de fabrication moins coûteux (d’environ 15%) plus écologique et permettant surtout d’utiliser les ressources du Bangladesh et de redonner du travail à ses habitants. Les expériences étaient concluantes, mais il s’agissait de convaincre de la fiabilité du produit. Il décida alors de construire – ce qui lui prit 3 mois- un voilier en fibre de jute et , lui qui n’avait aucune notion de navigation en solitaire à la voile – de faire sur ce frêle esquif,  les 14 000 kilomètres séparant les rives du Gange de la France, en traversant certaines des zones les plus dangereuses du monde, infestées de pirates comme les golfes du Bengale et d’Aden. Une expérience fabuleuse qu’il relate dans un livre « l’Aventure de Tara Tari » (C. de Chatelperron, ed. la Decouverte) mais dont la réussite n’a entamé ni sa modestie, ni son désir de continuer à s’impliquer dans ce magnifique projet de solidarité avec le Bangladesh.

Le Bangladesh et la Francophonie

Un autre aspect marquant de mon séjour fut ma participation à la Conférence de presse pour le lancement de la Semaine de la Francophonie, célébrée partout dans le monde le 20 mars. Pendant une semaine à partir du 15 mars, le Bangladesh allait vivre à l’heure de la langue française et de la Francophonie. Comme tous les ans, l’Ambassade de France s’est associée aux représentations diplomatiques des pays francophones à Dacca, à savoir le Canada, l’Egypte, le Maroc, la Suisse et le Vietnam, ainsi que les Alliances françaises, afin de mettre en avant la Francophonie au Bangladesh. Un Festival du film francophone se déroulera à l’Alliance française de Dacca et Chittagong. Le 16 mars, une compétition pour les étudiants de l’Alliance sur le thème des Droits de l’homme se déroulera dans ces deux alliances, dont le vainqueur se verra offrir un séjour d’une semaine en France au mois de juillet en compagnie de francophones du monde entier. Enfin, une exposition autour de « dis-moi dix mots » sera visible à Dacca et Chittagong. Vive la francophonie !