Août 28 2012

Quelle réforme pour l’AFE ?

Pour sa rentrée politique, le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault a choisi de rassembler l’ensemble des parlementaires représentant les Français de l’étranger, en présence de leur ministre déléguée Hélène Conway et du ministre délégué aux relations avec le Parlement Alain Vidalies, pour débattre des projets du gouvernement concernant nos communautés françaises à l’étranger. Une marque d’intérêt appréciée, pour des chantiers nombreux … Mais il ne faudrait pas que le gouvernement, à l’instar de la manière dont fut expédié, en juillet, le démantèlement dela prise en charge de la scolarité dans les lycées français à l’étranger, persiste à confondre dynamisme et précipitation.

Ceci est particulièrement crucial concernant la réforme de l’Assemblée des Français de l’étranger. Le Premier Ministre n’a pas apporté de démenti formel aux rumeurs relatives à son éventuelle suppression, indiquant simplement qu’ « aujourd’hui les Français de l’étranger avaient une représentation complète, qu’il fallait faire un bilan des dernières élections législatives, qui avaient été lourdes à organiser pour une participation de l’ordre de 20%, donc beaucoup trop modeste » et qu’on ne voulait « pas de nouvelles charges sur les finances publiques ». Il a par ailleurs confirmé que la réforme de l’AFE était à l’ordre du jour et que, dans le cadre des travaux de la Commission Jospin qui doit rendre ses conclusions fin octobre une réflexion de fonds était en cours « avec consultation de l’ensemble des parties prenantes » sur les missions et l’organisation de l’AFE ainsi que sur le calendrier, les modes de scrutin et les découpages électoraux.

D’après nos informations (antérieures à cette réunion) les socialistes semblent privilégier la piste de l’accroissement du nombre de conseillers afin, notamment, d’élargir le collège électoral des sénateurs. Cela est plutôt positif puisqu’une telle augmentation du collège électoral, améliorerait le maillage territorial et réduirait les risques de clientélisme. Par contre leur souhait apparent de réduire les rares prérogatives des élus, avec par exemple la diminution de leurs maigres indemnités ou la suppression des réunions en session plénière à Paris (sauf une fois tous les trois ans pour l’élection des sénateurs) est très discutable.

Nous avons été plusieurs à faire part de nos inquiétudes et questionnements en ce domaine, que ce soit Robert del Picchia sur le maintien des séances plénières à Paris, Richard Yung sur le calendrier et l’examen du projet de réforme dans le cadre de la future loi sur les territoires ou moi-même qui ait tenu à insister sur le rôle innovateur de la France en matière de représentation institutionnelle et politique de ses expatriés, et les répercussions négatives en termes de rayonnement de notre pays si celui-ci décidait aujourd’hui de remettre en cause ces avancées.

Un démantèlement ou une fragilisation de l’Assemblée des Français de l’étranger irait en effet à contresens de l’évolution des principales démocraties. La France est, au plan mondial, une pionnière en matière de maintien d’un lien citoyen et politique avec ses expatriés (cf mon article dans l’ouvrage des Presses de Sciences-Po « Loin des yeux, près du cœur – Les Etats et leurs expatriés »). Comme je l’ai rappelé à Jean-Marc Ayrault, alors que de plus en plus d’Etat s’inspirent de notre modèle, supprimer l’assemblée des expatriés élue au suffrage universel serait une véritable aberration, et un signal catastrophique au plan international.

Le Premier Ministre nous a indiqué que les propositions déjà déposées étaient examinées – de manière non officielle- par le Conseil d’Etat, mais que rien n’était tranché.

Le gouvernement saura-t-il alors mener une véritable concertation ? Comment ne pas espérer alors – même si nous savons que cela a peu de chance d’aboutir – le franchissement d’une étape institutionnelle supplémentaire dans l’intégration des Français de l’étranger au mouvement de décentralisation ? Il faudrait, pour cela, avoir le courage de renforcer le pouvoir de l’AFE en la transformant en « conseil régional de l’étranger » avec un budget propre (ou du moins une capacité à voter les lignes budgétaires actuellement définies par la seule administration) et un véritable pouvoir délibératif sur les sujets touchant les expatriés (scolarité, protection sociale, sécurité, etc.). Il faudrait aussi aménager le cadre institutionnel pour que l’AFE puisse davantage remplir sa fonction de conseil auprès du gouvernement français en ce qui concerne les affaires internationales.

Une telle réforme, les sénateurs des Français de l’étranger, tous bords politiques confondus, l’ont appelée de leurs vœux depuis de nombreuses années (le projet le plus abouti étant la proposition de loi de Christian Cointat tendant à ériger un établissement public dénommé « collectivité d’outre-frontière ») et la commission des lois de l’AFE y a consacré de nombreux travaux. Espérons que le gouvernement aura la sagesse de s’en inspirer.