Sep 07 2012

Diplomatie économique : nouveau concept ou recyclage corrézien ? (Le Monde)

Tribune publiée le 7 septembre 2012 sur le site Internet du Monde :

« Ambassadeurs de France, vous êtes aussi les Ambassadeurs de l’économie française. Mobilisez tous votre expérience, votre talent, votre énergie, votre imagination aussi, au service de nos entreprises et donc de l’emploi en France« . Cet appel n’a pas été lancé, lundi, par François Hollande, mais par… Jacques Chirac, le 28 août 1996, en ouverture de la même Conférence annuelle des ambassadeurs. Le changement… c’est plutôt du recyclage !

Cela fait près de 20 ans que la diplomatie économique figure parmi les « priorités » du Quai d’Orsay. D’Alain Juppé à Hubert Védrine en passant par Dominique de Villepin et Hervé de Charette, nombreux ont été les Ministres des Affaires étrangères appelant à une meilleure mobilisation des services de l’Etat et des collectivités françaises en vue de créer un environnement favorable au déploiement international de nos petites et moyennes entreprises. « Positionner l’ambassadeur à la tête de l’équipe de France de l’export » est l’une des mesures phares proposées par Laurent Fabius…

Un décret de 1950 avait pourtant déjà placé les services d’expansion économique sous l’autorité des ambassadeurs, et c’est en 2008 que « l’Equipe de France de l’export » a été lancée par Anne-Marie Idrac. Quant à l’annonce de la création, au sein du Quai d’Orsay, d’une direction dédiée au soutien aux entreprises, elle se résume à un changement de titre : elle existait déjà en tant que sous-direction au sein de la Direction de la Mondialisation.

Plus ambivalente est la création d’un « Conseil économique » dans les principales ambassades… car il ne s’agit plus là simplement de vendre l’existant sous un nouvel emballage, mais de contribuer à la multiplication des dispositifs, alors même que la Cour des Comptes, l’an dernier, s’inquiétait du foisonnement institutionnel et du manque de lisibilité. De multiples ressources précieuses existent (Ubifrance, les Conseillers du Commerce Extérieur, les chambres de commerce françaises et européennes à l’étranger, les Consulats et les Conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger) et sont sous-utilisées. Il y a certes un besoin de meilleure coordination, mais plutôt que de créer d’énièmes comités Théodule, l’urgence serait de clarifier les rôles respectifs de ces réseaux parfois concurrents, de mieux les mobiliser, de les ouvrir plus largement aux PME, et surtout de faire un travail d’implantation sur la durée. Nous perdons nombre de marchés à l’international parce que la présence de nos diplomates et conseillers économiques dans le pays, contrairement à celle de nos principaux concurrents, est bien trop courte. Trois ou quatre ans, cela ne suffit souvent pas à créer les relations de confiance et le suivi propices à une vigilance efficace et au gain de nouveaux marchés. D’où l’importance de mieux utiliser les compétences, l’expérience et les réseaux des élus et chefs d’entreprises implantés à l’étranger.

La réforme essentielle doit aussi aller vers une simplification et une meilleure accessibilité des dispositifs. Regardons encore ce qui se passe à l’étranger : le Japon dispose d’un guichet unique se déclinant à tous les échelons administratifs et territoriaux ; en Grande-Bretagne, l’agence UK Trade & Investment bénéficie de la double-tutelle du Foreign Office et du Ministère du Commerce ; aux Etats-Unis, Obama a mis en place d’un « Export Promotion Cabinet ». Il est crucial que le Ministre des Affaires étrangères réussisse à articuler son action avec celle de ses homologues de Bercy – notamment sur les questions d’aide au financement, sans oublier ceux du redressement productif et des PME.

« Le vrai enjeu du commerce extérieur se joue à l’intérieur » disait Christine Lagarde. Pour vendre à l’étranger, il faut avoir des choses à vendre, et une politique fiscale de rapatriement des productions semble indispensable. Pour faciliter l’internationalisation des PME, il importe aussi de leur offrir au préalable, en France même, des conditions propices à leur renforcement. Cela passe notamment par l’encouragement à l’entrepreneuriat grâce à une vraie action pédagogique, un soutien renforcé aux PME à l’export, souvent sous-capitalisées contrairement à l’Allemagne (fonds de capital de développement mais aussi garanties de prêts, et assurances crédit), un allègement des procédures administratives, un vrai contrôle de l’efficacité des pratiques et surtout plus de souplesse et de pragmatisme. Est-il normal que des commandes iraniennes d’un montant de 220 millions d’euros (95 millions d’euros pour l’achat de pièces détachées à Peugeot, dont l’Iran était le premier client étranger, et 125 millions répartis entre 270 sociétés françaises exportatrices) soient bloquées depuis plusieurs mois par Bercy, au prétexte du renforcement des sanctions, alors que même les États-Unis n’ont pas ces états d’âme et ont eux augmenté de plus de 60% ces cinq derniers mois leur part de marché en Iran ?

Il aussi impératif de ne pas laisser s’installer l’incertitude – voire l’insécurité – juridique et une politique fiscale confiscatoire qui mineraient l’attractivité internationale de notre territoire, au détriment de l’emploi. Il faut aussi transformer les mentalités : donner aux jeunes le goût de l’entreprise et la connaissance des enjeux internationaux, lutter contre le climat de morosité et de frilosité ambiant, cultiver l’esprit d’équipe de nos grandes et petites entreprises à l’international mais aussi leur inculquer le réflexe d' »acheter français –ou, à défaut, européen » à qualité et prix équivalents. La diplomatie économique est vouée à l’échec si les politiques nationales ne suivent pas.

La diplomatie économique doit également s’ouvrir à l’Europe. C’est un impératif pour peser dans les négociations internationales. C’est une source de financements et de programmes d’aides aux entreprises trop souvent méconnus. Ce serait aussi le niveau approprié pour adopter un « Small Business Act » favorisant l’accès aux marchés publics des PME européennes.

Soutenir notre commerce extérieur est un impératif. Y subordonner l’ensemble de notre politique étrangère pose question. Doit-on vraiment évaluer notre rayonnement culturel à l’aune d’impératifs commerciaux ? Le développement de notre commerce extérieur est indispensable à notre pays. Mais, alors que la France n’a pas su saisir l’occasion de sa présidence du Conseil de sécurité de l’ONU pour prendre le leadership sur le dossier syrien et alors que se profilent d’autres crises au Moyen-Orient et dans le Golfe persique, le Quai d’Orsay ne doit pas oublier les fondamentaux de l’influence de la France, et doit continuer à jouer le rôle de puissance médiatrice, d’écoute et d’influence pour préserver le respect dont elle a toujours bénéficié.