Mar 08 2013

Pensions alimentaires : une piste insuffisante ? (Le Monde)

La ministre déléguée au droit des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, s’est prononcée, vendredi 8 mars, en faveur d’un « dispositif de garantie pour les pensions alimentaires ». Dans un entretien au Figaro, celle qui est aussi porte-parole du gouvernement estime que les caisses d’allocation familiale (CAF) devraient verser les pensions alimentaires en cas de défaillance du payeur :

« Nous allons créer un dispositif de garantie pour les pensions alimentaires. Près de la moitié des femmes seules qui vivent dans la précarité ne touchent pas ces pensions. Nous allons leur permettre de se tourner vers les caisses d’allocations familiales, qui prendront le relais des débiteurs défaillants et pourront ensuite faire jouer les mécanismes de recouvrement dont elles disposent pour se tourner vers ces pères qui ne répondent pas à leurs devoirs. C’est une évolution très attendue, qui s’appuiera sur les mécanismes actuels de l’allocation de soutien familial. »

Quelqu’un a-t-il déjà évoqué cette piste ?

Cette proposition réveille certains souvenirs. Elle n’est, en effet, pas sans rappeler celle émise voilà précisément un an – Journée des droits des femmes oblige – par… Nicolas Sarkozy.

Le 8 mars 2012, le candidat de l’UMP annonçait, sur RMC et BFMTV : « Tant de pensions alimentaires ne sont pas payées ! Je propose la création d’une agence qui recouvrera les pensions alimentaires en lieu et place d’une femme abandonnée par le père de ses enfants. » Le chef de l’Etat sortant voulait, grâce à cette agence, mieux contrôler le versement des pensions en croisant les fichiers du fisc pour identifier qui paye et qui reçoit. Une proposition reprise d’une idée émise en 2011 par la sénatrice UMP Joëlle Garriaud-Maylam.

Que prévoit la loi ?

En réalité, la plupart des propositions citées par Mme Vallaud-Belkacem existent déjà. Ainsi, à l’heure actuelle, un parent ne percevant pas la pension due par son ex-conjoint pour lui ou leurs enfants peut soit se tourner vers la justice (civile ou pénale), soit demander à ce que la CAF le fasse à sa place. Celle-ci lance alors une procédure, généralement pour abandon de famille.

La CAF dispose de moyens judiciaires accrus pour se pourvoir en justice, notamment via une procédure de saisie directe sur le salaire du parent défaillant. Il existe en outre une aide que peut verser la CAF au parent lésé, « l’allocation de soutien familial » (ASF). Mais son montant est à peine symbolique : 89,34 euros par mois par enfant lésé, et 119,11 euros si les deux parents sont défaillants.

La proposition de Mme Vallaud-Belkacem laisse entendre que la CAF cesserait de verser cette allocation et « prendrait le relais » du débiteur défaillant, donc verserait le montant de la pension. Ce qui pourrait représenter des sommes importantes.

Combien de pensions ne sont pas versées ?

Dans un rapport de 2010, la Cour des comptes expliquait que les CAF avaient souvent du mal à exercer leur pouvoir de contrôle sur ces parents qui se disent dans l’incapacité de payer, et préféraient renvoyer leurs dossiers à la justice faut de temps et de moyens.

Le chiffre le plus récent dont on dispose sur le taux de versement des pensions alimentaires date quelque peu : 1985. A l’époque, une étude de l’Institut national d’études démographiques estimait qu’environ 60 % des pensions étaient versées régulièrement, 10 % partiellement et 30 % jamais, pour l’essentiel du fait de situations financières précaires.

Mais on peut se baser sur le versement de l’allocation de soutien familial (ASF) pour avoir une estimation. Selon la Cour des comptes, on comptabilisait au 31 décembre 2008 autour de 717 000 familles percevant l’ASF, donc dans une situation de défaillance de versement de pension, un chiffre en hausse de 14 % depuis 1999.

Cette même année 2008, l’ASF a représenté 1,17 milliard d’euros. Sachant que cette allocation ne correspond en général pas à l’intégralité de la pension due, on peut imaginer que la garantie des pensions dont parle Mme Vallaud-Belkacem reviendrait donc à une somme plus importante.

Comment recouvrer les pensions dues ?

On dispose de peu d’études fiables sur le nombre de pensions non versées en France. Un rapport de la CAF estimait qu’en 2007 « près de 450 000 enfants (en métropole) (…) peuvent théoriquement être concernés par un recouvrement, mais seuls 62 550 le sont de fait. (…) Pour les autres enfants (plus de 380 000), les débiteurs ont été soit déclarés hors d’état de payer leur pension, soit exemptés de pension par le juge des affaires familiales. »

En clair, seuls 13,9 % des cas de pensions mal versées donnent lieu à des procédures de recouvrement victorieuses. Pour les autres, la justice a estimé que le parent défaillant était dans l’incapacité de régler la somme due, et l’en a dispensé.

Autre indicateur, l’ASF est scindée en deux allocations distinctes : l’ASFR (recouvrable), qui est une « avance » de la CAF sur les pensions non versées, et l’ASFNR (non recouvrable), lorsque la CAF reconnaît que le parent défaillant ne pourra pas s’acquitter de la somme due, notamment à la suite d’une décision de justice. Or, selon la Cour des comptes, « l’ASFNR représentait en effet 96,9 % des dépenses d’ASF de la branche famille en 2008 ». Ce qui signifie que dans l’immense majorité des cas de défaillances de paiement de pensions, le parent débiteur est jugé incapable de payer, quoi qu’il advienne.

Jusqu’en 2007, l’allocation de parent isolé (API) perçue par les parents élevant seuls leurs enfants était augmentée en cas de défaillance de paiement de la pension. Mais ce n’est plus le cas, d’autant que le revenu de solidarité active (RSA) a remplacé l’API, et n’est pas revalorisé.

Les magistrats de la rue Cambon préconisaient d’ailleurs de limiter la saisine du juge aux affaires familiales par les CAF « aux seuls cas où le débiteur défaillant est localisé et solvable », et d’améliorer le montant de l’ASF, afin de mieux indemniser les familles victimes d’une défaillance de versement.

Article de Samuel Laurent
Source : LeMonde.fr