Mar 19 2013

Représentation des Français hors de France – vote par correspondance

L’amendement n° 69, présenté par Mme Garriaud-Maylam et M. Ferrand, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 2

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

Ils peuvent, par dérogation à l’article L. 54 du code électoral, à condition d’en avoir fait la demande au poste consulaire dans les délais prévus, voter par correspondance sous pli fermé. Les électeurs ayant opté pour le vote par correspondance sous pli fermé reçoivent par voie postale le matériel de vote.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cet amendement tend à rétablir le vote par correspondance sous pli fermé pour l’élection des conseillers consulaires. Ce mode de votation est actuellement autorisé par la loi pour l’Assemblée des Français de l’étranger et pour les élections législatives à l’étranger.

Les pourfendeurs du vote par correspondance sous pli fermé mettent en avant – je cite le rapport de la commission – les « possibilités d’altération de la sincérité du scrutin ». Je ferai remarquer que ce risque existe dès que l’on s’écarte du vote à l’urne.

Le vote par procuration, lui aussi, peut altérer la sincérité du scrutin, car il oblige le mandant à dévoiler son vote au mandataire, sans que ce dernier lui apporte, en retour, de garantie quant au respect effectif de son choix.

Le vote électronique, quant à lui, fait l’objet de critiques récurrentes, notamment de la part du parti pirate. Outre les problèmes de sécurité informatique, il présente exactement les mêmes déficiences que le vote par correspondance sous pli fermé : risque qu’une personne autre que l’électeur ne vote, risque de pressions sur l’électeur par des membres de son entourage, etc.

Ces limites n’ont pas empêché le Conseil constitutionnel de valider, dans sa décision du 15 février 2013, le principe du vote par correspondance sous pli fermé et du vote électronique. Je ferai remarquer d’ailleurs que, pour sa part, la Cour constitutionnelle fédérale allemande, dans un arrêt du 3 mars 2009, avait conclu que le vote par ordinateur était spécifiquement anticonstitutionnel. Elle avait en effet considéré que l’utilisation d’ordinateurs empêchait les électeurs et les scrutateurs de vérifier le bon déroulement du scrutin et le dépouillement des votes.

Si le vote électronique, bien plus risqué pour la sincérité du scrutin que le vote par correspondance sous pli fermé, est jugé conforme à la Constitution en France, il n’y a pas lieu de mettre en avant la menace d’une altération de la sincérité du scrutin pour supprimer la possibilité du vote par correspondance.

Le second argument allant à l’encontre du vote par correspondance est son coût. Je ferai toutefois remarquer que celui-ci est sans commune mesure avec le coût du vote par internet.

Pour les seules élections législatives de 2012, le coût du vote électronique est, au bas mot, de 1,5 million d’euros. Dans le budget pour 2011, un million d’euros a été consacré à l’adaptation des outils de vote par internet ; dans le budget pour 2012, près de 500 000 euros ont été nécessaires pour financer les ressources humaines spécifiquement allouées aux évolutions logicielles et à la gestion des opérations de vote électronique, ainsi qu’aux différents tests. Et je ne comptabilise pas ici les centaines de milliers d’euros consacrés à la refonte du portail GAEL – le guichet d’administration électronique –, largement motivée par la nécessité d’utiliser cette plateforme pour le vote électronique.

On m’objectera que certains de ces coûts sont liés à la nouveauté de l’organisation d’un tel mode de votation. Je n’en suis pas si sûre, car l’évolution des technologies informatiques obligera l’administration à mobiliser pour chaque élection de coûteux experts, à acquérir de nouveaux logiciels et à effectuer différents tests.

D’ailleurs, les projections budgétaires de l’étude d’impact montrent que, après la réforme, le vote électronique coûtera environ 3 millions d’euros par année d’élection.

En comparaison, le coût du vote par correspondance est minime. Certes, il a nécessité l’expédition du matériel de vote aux électeurs en ayant fait la demande. Toutefois, cet envoi postal n’est pas plus coûteux que l’envoi par courrier des identifiants pour le vote par internet.

Le principal argument brandi contre le vote par correspondance est le faible nombre d’électeurs qui y ont recouru lors des dernières élections législatives. Là encore, l’argument est fallacieux. Si seulement 2 % des électeurs ont utilisé le vote par correspondance, cet échec est en partie imputable à la nouveauté du vote par internet, très médiatisé, puisque seuls les Français de l’étranger y ont eu accès, ce qui a poussé de nombreux votants à l’expérimenter.

Pour abréger mon propos, je n’évoquerai pas les nombreux problèmes techniques rencontrés avec le vote par correspondance. Si l’administration a très fortement investi dans le vote électronique, tel n’a pas été le cas pour le vote par correspondance. La mise en œuvre d’un certain nombre de correctifs simples aurait rendu ce vote bien plus performant.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. Madame la sénatrice, vous êtes très prolixe, peut-être trop d’ailleurs. Dois-je avoir la cruauté de vous rappeler les termes de votre motion d’irrecevabilité d’hier, celle qui attaquait un vote sous pli fermé offrant des garanties pourtant bien supérieures au dispositif que vous défendez aujourd’hui ? À présent, vous nous expliquez que tout est impossible et qu’il faudrait quasiment placer une urne devant chaque électeur… J’en suis désolé, mais nous connaissons tous ici les principaux risques du vote par correspondance. En 2012, on a constaté qu’il coûtait cher et que l’application des dispositions règlementaires visant à en garantir la sincérité l’a rendu ineffectif. Auparavant, lors des élections de 2009, un certain manque d’encadrement a permis au contraire de faire du « ramassage de votes ». Dois-je, ici encore, avoir la cruauté de rappeler les scores de certains, qui ont rapporté des paquets contenant autant d’enveloppes que le nombre de suffrages exprimés en leur faveur ?

Par conséquent, il faudrait à mon sens rester relativement humble sur ce sujet et se satisfaire plutôt de la suppression du vote par correspondance. L’avis de la commission est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée. Madame la sénatrice, je vous rappellerai que si nous ne prévoyons pas la possibilité du vote par correspondance, le vote à l’urne, le vote par procuration – trois procurations sont admises, comme pour les élections des députés des Français de l’étranger – et le vote électronique sont prévus.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur, nous avons constaté en 2012 une désaffection des électeurs pour le vote par correspondance, puisque celui-ci a concerné moins de 2 % des suffrages exprimés.

Par ailleurs, pour répondre à votre attaque contre le vote par internet, je rappellerai que 130 000 de nos compatriotes ont utilisé ce vote pour exprimer leur suffrage au premier tour des législatives ; 700 000 étaient inscrits et avaient communiqué une adresse électronique, ce qui nous renvoie à une discussion que nous avons eue antérieurement.

Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je regrette de n’avoir pas eu le temps d’expliciter davantage mon propos. Je comprends qu’il faille aller vite, mais il existe d’autres arguments qui réfutent votre position, monsieur le rapporteur.

J’indiquerai simplement que la plupart des pays européens utilisent le vote par correspondance. Certains d’entre eux recourent même exclusivement au vote par correspondance pour les législatives. Vous avez donné l’exemple du vote et de l’architecture de la représentation en Italie ; or les députés italiens sont uniquement élus par un vote par correspondance et en aucun cas par un vote à l’urne.

Tous les pays européens font cela. La France veut se singulariser. Pourquoi pas ? Cependant, cette suppression du vote par correspondance me paraît discriminatoire envers une population qui n’a pas toujours accès à internet, qui peut être âgée ou se trouver éloignée des centres de vote. Je trouve cela dommageable.

Mon amendement ne visait que l’intérêt général. Toutefois, connaissant déjà le résultat du vote, je préfère le retirer, monsieur le président.