Mar 28 2013

Tenue des listes électorales à l’étranger : un tabou dans le débat sur la réforme de l’AFE

La réforme de la représentation des Français est urgente, nous dit-on. Urgente au moins d’amputer le mandat de la moitié des élus de la moitié de cette assemblée et de proroger celui de l’autre moitié, afin que la réforme s’applique dès 2014. Urgente donc, au point de prendre le risque d’une annulation de la loi par le Conseil constitutionnel.

Ce qui légitimerait cette urgence ? Principalement le très fort taux d’abstention… certes, la faible notoriété des élus à l’AFE et la non compréhension par les électeurs de leur rôle y contribuent. Mais l’abstention a frôlé les 80% aux législatives de juin 2012, alors que le rôle d’un député est, lui, clairement identifié. Et même pour une élection aussi mobilisatrice que la présidentielle, c’est à peine plus d’un inscrit sur trois qui ont voté à l’étranger en mai dernier.

Doit-on en déduire que les Français de l’étranger ne s’intéressent pas à la politique hexagonale et pointer leur incivisme ? Ce serait un formidable prétexte pour céder aux sirènes populistes et retirer purement et simplement le droit de vote à nos expatriés, comme l’exige encore la législation en vigueur dans de nombreux pays. Ce serait pourtant aller à l’encontre du sens de l’Histoire (de plus en plus d’Etat octroyant le droit de vote à leur diaspora) et serait discriminatoire vis-à-vis des centaines de milliers d’expatriés souhaitant conserver des liens étroits avec notre vie démocratique.

Il faut donc s’attaquer à l’autre facteur d’abstention : une mise à jour insuffisante des listes électorales.

Une première étape avait consisté en la fusion des listes électorales en un support unique pour tous les scrutins (loi organique n° 2005-821 du 20 juillet 2005) devant faciliter la procédure de mise à jour des listes. Un travail très lourd de vérification des listes électorales a cependant dû être réalisé pendant un an et demi par les postes consulaires à l’approche des élections de 2012. Il a abouti à la radiation de 100 000 électeurs, dont la présence sur les listes alors même qu’ils ne résidaient en apparence plus dans la circonscription aurait artificiellement gonflé le taux d’abstention. Néanmoins 11 000 personnes revenues en France mais toujours inscrites sur la LEC de leur ancien pays de résidence ont rencontré d’importantes difficultés lorsqu’elles ont voulu voter, et leurs cas ont dû être traités en urgence…

Le  Ministère estime par ailleurs que 20 000 à 30 000 électeurs ont été maintenus sur les LEC alors qu’ils ont quitté la circonscription, le Directeur des Français de l’étranger nous a d’ailleurs clairement dit lors du Bureau de l’AFE en juin 2012 qu’il s’agissait là d’ « un point très important (…) qu’il faudra traiter ce point qui nécessitera une approche avec le ministère de l’Intérieur, mais qu’il faudra revoir, si nous voulons résoudre ce problème, nos règles sur l’inscription à la LEC, parce que c’est trop flou, il y a trop de présomptions » ajoutant que des personnes pouvaient se trouver sur la LEC sans vraiment le savoir.

Pour améliorer la mise à jour des listes électorales, sans contraindre les postes consulaires à mener régulièrement la très lourde tâche de vérification, les commissions administratives convoquées étant bien incapables, surtout dans les pays à forte présence française, de confirmer ou d’infirmer la présence dans le pays de la plupart des électeurs inscrits, beaucoup changeant d’ailleurs d’adresse au sein même de la circonscription sans penser à en informer le Consulat, il devient donc urgent de se pencher sur les modalités d’inscription et de maintien sur les listes électorales consulaires.

Cette question n’a absolument pas été abordée dans le projet de loi réformant la représentation des Français de l’étranger. Et lorsque j’ai souhaité la porter dans le débat, le rapporteur PS, Jean-Yves Leconte, n’a pas hésité à m’accuser de « remettre en cause le code de la nationalité pour les Français qui vivent à l’étranger »… ! J’avoue avoir été assez stupéfaite d’une réaction aussi brutale qu’erronée. Le très fort taux d’abstention à l’étranger est largement dû à la présence sur les listes électorales de compatriotes ayant déménagé ou de binationaux n’ayant jamais vécu en France, certains ne parlant pas même pas le français, et n’étant pas intéressés par nos rendez-vous électoraux. S’il importe qu’ils demeurent inscrits au registre consulaire, il me semblerait pertinent que leur inscription sur les listes électorales ne soit plus automatique mais volontaire.

Certains États comme le Royaume-Uni établissent une durée maximale d’expatriation au-delà de laquelle les expatriés perdent leurs droits civiques : cette solution ne me semble pas satisfaisante, car certains expatriés de longue date gardent un intérêt très fort pour la vie publique de leur pays. D’autres, comme le Danemark, n’octroient le droit de vote qu’à certaines catégories d’expatriés (par exemple les diplomates, les militaires et leurs familles) : une approche qui me semble encore plus discriminatoire.

Une pratique qui me semblerait en revanche mériter toute notre attention est celle consistant à demander aux expatriés de se réinscrire périodiquement sur les listes électorales. Une telle démarche, volontaire, faciliterait la mise à jour des listes et garantirait que seules les personnes désirant faire usage de leur droit de vote soient effectivement comptabilisées comme inscrites sur les listes électorales. La citoyenneté resterait ainsi ouverte à tous les Français de l’étranger, mais seuls ceux démontrant un intérêt minimal pour les élections seraient intégrés aux listes électorales consulaires.

Afin de mettre en œuvre une telle mesure, il importerait que la réinscription sur la liste électorale soit facilitée et puisse être effectuée via Internet et par voie postale. A l’approche de la date d’expiration de leur inscription, les électeurs pourraient être avertis par courriel et par courrier de la nécessité de se réinscrire et de la procédure à effectuer pour ce faire. Ce rappel périodique contribuerait à améliorer leur bonne information quant à leurs droits et à l’imminence d’échéances électorales.

Lire mon intervention à la tribune du Sénat