Juin 14 2013

Les sénateurs pas pressés de légiférer sur les conducteurs âgés (Libération)

Une proposition de loi visant à imposer aux conducteurs de plus de 70 ans une «évaluation médicale à la conduite » a été finalement renvoyée en commission.

Après le rejet de son texte par la commission des lois du Sénat le 5 juin dernier, le sénateur UDI de la Marne, Yves Détraigne, 59 ans, avait précisé vouloir seulement «ouvrir le débat» sur l’évaluation médicale à la conduite. Arguant que d’autres pays européens ont déjà fait un pas dans ce sens. Débat ouvert en séance et vite refermé jeudi : les sénateurs ont préféré renvoyer le texte en commission, pour la retravailler, avant de la soumettre au vote. UMP, socialistes, communistes, écologistes… sa proposition de loi «visant à instituer une évaluation médicale à la conduite pour les conducteurs de 70 ans et plus», a fait la quasi-unanimité contre elle…

«Merci de nous inviter à débattre de ce sujet» : comme Gilbert Barbier (RDSE) qui a ouvert la discussion, sénateurs et sénatrices se sont bien succédé à la tribune pour remercier ainsi Yves Détraigne. Mais aussi pour lui expliquer qu’en l’état actuel du texte, il leur serait impossible de l’adopter.

Trop «discriminatoire», le mot est revenu à chaque intervention. Pourquoi devrait-on stigmatiser les conducteurs de plus de 70 ans en les obligeant à passer un examen médical, alors que «l’essentiel des accidents est le fait des 18-24 ans » selon l’UMP Joëlle Garriaud-Maylam ? Elle cite un auteur américain : «les personnes âgées sont les seules à avoir le temps de respecter les limites de vitesse!».

D’autres sénateurs y voient un risque de «perte d’autonomie et d’indépendance» pour les personnes âgées auxquelles la préfecture retirerait le permis. Une situation d’autant plus grave en milieu rural.

La communiste Laurence Cohen y voit de son côté un paradoxe, au moment où une nouvelle réforme des retraites est sur les railles : «On peut donc être suffisamment en bonne santé pour travailler plus longtemps, mais pas assez pour conduire?»

Et pourtant, comme l’explique Esther Benbassa – groupe écologiste – «chacun a, dans sa famille ou parmi ses proches, quelqu’un qui continue à rouler malgré des problèmes de vue ou d’ouïe». Arrêt en pleine route pour lire un panneau de signalisation, prise d’une autoroute en contresens, réflexes amoindris ou manœuvres surprenantes; ces exemples «surmédiatisés», aux dires de certains, focaliseraient l’attention sur les personnes âgées. Et tendraient à provoquer une confusion entre âge avancé, et maladie. D’où la nécessité d’un contrôle ; l’idée fait consensus. Mais pas en fonction de l’âge, et encore moins par un médecin agréé de la préfecture.

«Pas l’apanage des personnes âgées»

«La plupart des experts s’accordent à dire que la baisse de vigilance intervient dès 45 ans», explique une autre sénatrice. Maladies dégénératives, diabète, neuroleptiques ou psychotropes jouent aussi un rôle au volant «et ne sont pas l’apanage des personnes âgées» renchérit la socialiste Virginie Klès, à l’origine de la motion de renvoi en commission. Pas de visite médicale obligatoire donc, mais une vigilance accrue du médecin traitant, chargé de déceler les inaptitudes à la conduite. «Des brochures à destination des professionnels de la santé et des automobilistes» sont en préparation indique Michèle Delaunay, la ministre chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie. Quid de la responsabilité du médecin en cas d’accident futur ? Du secret médical ? Des possibles sanctions si le patient n’écoutent pas les «conseils» de son généraliste ? Autant de questions qui devraient être réabordées en commission, dans un tout nouveau groupe de travail sur le sujet.

Gisèle Printz, sénatrice socialiste, 80 ans, est la dernière à prendre la parole, en ironisant : «Je profite qu’il n’y ai pas encore de loi qui interdise aux plus de 70 ans de prendre la parole pour le faire». Elle fait en effet partie des 60% de sénateurs âgés de plus de 60 ans.