Sep 17 2013

Egalité entre les femmes et les hommes – Pensions alimentaires

Mon intervention en séance publique sur l’article 6 du projet de loi, consacré au recouvrement des pensions alimentaires :

Même si la précarité ne se résume pas, hélas ! aux impayés de pensions alimentaires, et même si j’aurais préféré que d’autres mesures soient inscrites dans ce titre II consacré aux dispositions relatives à la lutte contre la précarité, je salue la prise en compte de ce problème dans le projet de loi.

Le phénomène des impayés de pensions alimentaires est extrêmement répandu, puisqu’il se rencontrerait dans 40 % des cas.

Le scandale est évidemment celui des chefs de famille monoparentale – le plus souvent des femmes – confrontés à un manque important et très pénalisant de revenus, mais il est aussi celui d’un manque à gagner pour les finances publiques, estimé à 3 milliards d’euros par an, alors qu’il existe des moyens de remédier à cette situation.

Je ne remets pas en cause le bien-fondé de l’allocation de soutien familial, l’ASF, mais je considère que son versement exonère trop souvent les pouvoirs publics de mener une action résolue pour prévenir les défaillances et punir les mauvais payeurs.

En 2009, sur 1,6 million de familles monoparentales, seulement un tiers bénéficiaient d’une pension alimentaire, alors que plus de la moitié percevaient l’ASF. Si le taux de recours n’est que de 6 %, c’est parce que la plupart des parents concernés sont découragés par la complexité des procédures et les maigres chances de succès.

Avant d’augmenter l’ASF, il faudrait la réformer profondément, comme l’avait d’ailleurs réclamé la Cour des comptes dans son rapport sur la sécurité sociale de 2010. Pour les familles monoparentales elles-mêmes, il serait bien plus efficace d’obtenir la pension alimentaire à laquelle elles ont droit plutôt que d’attendre le versement d’une allocation dont le montant est, dans 86 % des cas, inférieur à la pension due et cesse dès lors que le parent entame une nouvelle vie de couple.

Moralement, l’ASF place les allocataires dans une position d’« assistés », alors qu’ils ou – le plus souvent, bien sûr – elles sont bel et bien victimes d’un délit d’abandon de famille, puni par le code pénal.

Améliorer l’efficacité des mesures de recouvrement aurait davantage d’incidence pour les familles en situation de précarité qu’opter pour une simple augmentation symbolique du niveau de l’allocation.

Le dispositif expérimental de renforcement du rôle des caisses d’allocations familiales, les CAF, est loin de me convaincre. Il est très limité, puisque proposé dans une petite dizaine de départements seulement. Surtout, il n’apporte pas grand-chose de nouveau, les CAF étant déjà censées pouvoir se pourvoir en justice pour obtenir le paiement d’une pension alimentaire, notamment via une procédure de saisie directe sur le salaire du parent défaillant. Or, actuellement, des procédures de recouvrement sont menées avec succès dans à peine plus de 10 % des cas de pensions mal versées.

Le recouvrement nécessite un important travail de coordination entre divers organismes, notamment une interconnexion des fichiers sociaux et fiscaux pour identifier les débiteurs de mauvaise foi. Cela ne correspond pas au cœur de métier des CAF, qui n’ont d’ailleurs, en l’état, pas les moyens humains et matériels de mener efficacement à bien cette lourde mission. En outre, il semblerait que le budget des CAF soit encore amené à diminuer.

J’avais déposé, en 2011, une proposition de loi visant à créer une agence pour le recouvrement des pensions alimentaires, sorte de guichet unique facilitant l’accès des familles à l’information et améliorant le suivi des dossiers. L’idée avait d’ailleurs été reprise par l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. Malheureusement, cette proposition de loi n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour du Parlement.

En Australie, où deux pensions sur trois n’étaient pas correctement versées, la création d’une telle agence a permis d’atteindre un taux de recouvrement de 97 % ! Les États-Unis ou la Norvège ont également très sensiblement amélioré leur taux de recouvrement grâce à la mise en place d’une instance de ce type.

L’instauration d’une agence pour le recouvrement des pensions alimentaires permettrait de faire le lien entre les différentes procédures afin que, en cas d’échec de l’une, les preuves déjà recueillies puissent être directement mobilisées pour une autre. Cela permettrait de gagner un temps précieux pour les mères concernées, qui, trop souvent, se découragent face à la complexité et à la longueur des multiples procédures de recouvrement.

Cette agence pourrait avoir une mission de coordination à l’échelon international, particulièrement utile dans les cas de plus en plus nombreux de divorces de couples mixtes et facilitée par le développement d’outils informatiques internationalement standardisés. Elle apporterait également une aide juridique, car de trop nombreuses mères isolées renoncent à une action en justice par crainte de son coût lorsqu’elles ne remplissent pas strictement les conditions requises pour bénéficier de l’aide juridictionnelle. Là encore, la baisse annoncée du budget de l’aide juridictionnelle n’est pas une bonne nouvelle pour ces femmes…

La rédaction actuelle de l’article 6 me semble donc très insuffisante pour promouvoir des procédures de recouvrement plus efficaces et réactives.