Jan 14 2014

Pensions alimentaires impayées : elles affichent les « pères indignes » (Rue89)

C’est le tweet d’une campagne très provoc qui nous a fait découvrir le collectif Abandon de famille-Tolérance Zéro ! et sa cofondatrice Stéphanie Lamy. En 2004, elle se sépare du père de sa fille. Dix ans plus tard, elle n’a toujours pas touché la pension alimentaire fixée par le juge des affaires familiales au moment de la séparation.

Pour faire changer les mentalités et la loi, la cofondatrice du collectif lance « Contribuable, ce père vous dit merci », une campagne de sensibilisation sur les réseaux sociaux.

Sur l’image, un homme flouté. Il est écrit qu’il a abandonné trois enfants depuis 74 mois. Le « père indigne » sur la photo, c’est « l’ex-conjoint d’une des membres du collectif », nous confie Stéphanie.

3 milliards d’euros d’impayés par an

Joëlle Garriaud-Maylam est sénatrice des Français établis hors de France et vice-présidente du groupe UMP du Sénat. Dans une tribune publiée en mai 2013 sur le site du Huffington post, elle assure que « les impayés de pensions alimentaires pèsent trois milliards d’euros par ans au budget de l’Etat ».

Ce chiffre, Joëlle Garriaud-Maylam le martèle depuis 2011. Elle a fait du sujet sa priorité. Elle a même proposé de créer une agence de recouvrement des pensions alimentaires. Reprise l’année suivante par Nicols Sarkozy, alors en pleine campagne présidentielle, la proposition n’est jamais devenue loi.

Le 20 janvier prochain c’est la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, qui défendra son projet de loi d’égalité hommes-femmes. Le texte de loi a déjà été adopté par le Sénat. L’article six du projet promet l’expérimentation d’un « mécanisme de renforcement des garanties contre les impayés de pensions alimentaires ». Pour Stéphanie, ce n’est pas la bonne solution :

« Je ne vois pas pourquoi le contribuable devrait payer pour les parents qui se soustraient à la loi. Ce n’est pas une solution, c’est de la déresponsabilisation. »

« On a pensé qu’elle n’en avait pas besoin »

Stéphanie Lamy sait que certains la voient comme une pleurnicheuse. Mais elle ne lâchera pas. Elle dit se battre pour l’éducation et le bien-être de sa fille, pas pour « s’acheter une paire de Louboutin ».

« On est dans une position honteuse. On n’a pas forcément envie d’en parler à nos proches puisque souvent ils nous conseillent de s’affranchir de notre ex et de ne rien demander. »

Demander une pension alimentaire, certaines n’y pensent même pas. Elles se retrouvent alors en difficulté financière une fois les accords d’un divorce à l’amiable conclus.

C’est l’exemple donné dans le livre du collectif Onze, « Au Tribunal des couples ». L’ouvrage analyse la situation de parents d’un enfant mineur, qui ont décidé de divorcer par consentement mutuel.

Seule face à la juge pendant son audition, la mère semble « déboussolée » quand on lui parle de pension alimentaire. Ils n’en ont pas vraiment discuté. Elle se dit qu’elle pourra toujours revenir dessus. La juge l’avertit que ce ne sera pas si simple. Quand vient son tour, le père n’est pas plus loquace sur le sujet. Il coupe court :

« On a pensé qu’elle n’en avait pas besoin. »

La femme, qui gagne 1 400 euros par mois avec un enfant de douze ans à sa charge, devra faire sans pension alimentaire. La juge ne poussera pas.

La première source de désaccord

« On est pas là pour attiser les problèmes », affirme la juge Anna de Mattéi interrogée par les sociologues auteurs du livre.

On apprend dans leur enquête que les juges n’interviennent pas quand les deux parties sont d’accord. Même dans le cas où un père au chômage propose une pension plus élevée que celle qui lui aurait été imposée par le tribunal.

Le collectif Onze observe encore que même si les juges arrivent souvent à mettre les parents d’accord, la contribution financière à l’éducation de l’enfant est la première source de désaccord. Le conflit se solde alors par une décision de justice qui contraint le parent n’ayant pas pas la garde à verser une pension alimentaire à son enfant.

C’est alors l’article 371-2 du code civil qui prévoit les critères qui définiront son montant. Les « ressources » des parents et les « besoins » de l’enfant sont les deux éléments qui permettent au juge de chiffrer.

Coucher pour toucher la pension

La cofondatrice parle de « violence économique », quand le versement de la pension est conditionné à des pressions sur les droits de visite ou ou sur les liens avec l’ex :

« J’ai des femmes qui m’appellent en pleurs à deux heures du matin. Leur ex leur propose de coucher pour toucher la pension. »

Elle souhaite donc que la loi égalité hommes-femme prévoie une sanction pénale « en cas de violence psychologique ou économique de la part de celui qui ne s’acquitte pas du paiement de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant ».

Ne pas s’acquitter, pendant plus de deux mois, du paiement de la somme fixée par un juge dans le cadre d’une pension alimentaire constitue un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Même s’ils y sont contraints, les mesures de recouvrement prévues par la loi ne sont pas toujours efficaces.

Les juges renoncent souvent à mener des mesures d’investigation dans le cas de professionnels indépendants. Selon le collectif des Onze, la difficulté de telles investigations, leur coût, mais aussi leur rapide obsolescence qui découragent les juges.

Peu de poursuites et classements sans suite

Le père de la fille de Stéphanie Lamy serait dans ce cas. Selon elle, il aurait organisé son insolvabilité, en prenant le soin de ne rien mettre à son nom. Stéphanie se sait impuissante :

« Une procédure de recouvrement public a été ouverte il y a plus de cinq ans. Le Trésor Public sait que le père de ma fille cache son argent, mais personne ne fait rien. »

Certaines mères portent plainte au commissariat. On leur fait remarquer qu’elles peuvent toucher l’allocation de soutien familial, l’ASF. Contacté par Rue89, l’avocat spécialisé en droit des personnes Xavier Prugnard de la Chaise confirme :

« Il y a assez peu de poursuites. Les plaintes sont presque toutes classées sans suite. »

L’ASF, une aide très années 50

L’ASF est gérée par la CAF et aide financièrement les parents qui élèvent seul leur enfant. Pour les victimes d’abandon de famille, la CAF verse en moyenne la moitié de la pension alimentaire due par l’autre parent. Mais en partant d’une pension de 188 euros par mois (lorsqu’elle est versée à la mère, 111 quand elle est versée au père, et seuls 10% dépassent 300 euros par enfants), la moyenne en France, il ne reste plus grand chose.

Le versement de l’ASF cesse dès que la femme se remet en ménage. Très années 1950, le principe insinue qu’aussitôt un homme retrouvé, la femme n’a plus de problèmes financiers.

« On est pas forcément victime de manque de fortune mais on est victime d’un délit ! Dans notre cas je trouve ça injuste d’appeler l’ASF une allocation, ça devrait porter le nom “d’avance”, en attendant de retrouver le délinquant qui ne paie pas.

Il faudrait aussi changer le terme de pension alimentaire. L’abus de langage veut que l’on mette tout dans le même panier. Ce que verse un parent chaque mois pour l’éducation s’appelle la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant, qui est versée sous forme de pension alimentaire. Parler de pension alimentaire peut faire penser à l’assistance financière qui est dû entre époux. Ce qui n’a évidemment rien à voir. »

40% des pensions alimentaires non-versées

17 000 signataires pour sa pétition, 700 adhérents sur son compte Facebook et une rencontre avec la ministre Najat Vallaud-Belkacem : le collectif ne reste pas dans l’ombre. Même si Christiane Taubira, la ministre de la Justice, n’a toujours pas réagi à sa pétition, qui la vise pourtant directement.

Quarante pour cent des pensions alimentaire ne sont pas versées, ou du moins pas dans leur intégralité, un « sport national » selon l’Union nationale des associations familiales, et 96% des victimes d’abandon de famille sont des femmes. Ou plutôt, des enfants élevés par leur mère.

Les chiffres de la pension alimentaire

Tous les mois, 161 millions d’euros de pension alimentaire ne sont pas versés.

40% des pensions alimentaires ne sont pas payées entièrement.

3 millions d’enfants sont concernés.

89,34 euros par mois et par enfant, c’est le montant de l’allocation de soutien familial (ASF).

120 euros par mois et par enfant c’est le nouveau montant de l’ASF prévu par le gouvernement.

Il y a aujourd’hui 731 346 bénéficiaires de l’ASF.

URL : http://rue89.nouvelobs.com/2014/01/13/pensions-alimentaires-impayees-elles-affichent-les-peres-indignes-248932