Ma tribune publiée par Atlantico :
Nouvelles élections, nouveau record d’abstention chez les Français de l’étranger. Ce sont cette fois 89 % des inscrits qui se sont abstenus lors des élections européennes. La barre symbolique des 90% avait certes déjà été franchie en juin 2013, mais c’était lors d’une élection législative partielle dans la seule 8e circonscription (Europe du Sud, Turquie, Israël). Mais cette abstention record lors d’un scrutin d’ampleur nationale – et même européenne ! – est un signal fort.
Une nouvelle fois, certains pointent le désintérêt des Français de l’étranger envers la chose publique. Certes, l’éloignement fait paraître quelque peu dérisoires certaines querelles politiciennes hexagonales. Mais un très grand nombre d’expatriés continuent à suivre avec une attention très soutenue l’évolution politique française. Paradoxalement, c’est peut-être même en vivant à l’étranger que l’on prend conscience de l’importance de son identité française. Plus qu’une désaffection envers les urnes, c’est donc une nouvelle fois les difficultés matérielles qui expliquent cette participation famélique.
Facteur évident : l’obstacle géographique. Lorsque voter nécessite un aller-retour en avion ou des heures de bus, seuls les militants les plus convaincus braveront le parcours du combattant ! Dans les métropoles concentrant au contraire une forte population française, c’est moins l’éloignement que l’engorgement des bureaux qui limite la participation. En Grande-Bretagne, pour près de 80 000 inscrits sur la liste consulaire, seuls 4 centres de vote ont ainsi été ouverts, avec à la clé d’interminables files d’attente.
Une parade vient immédiatement à l’esprit : la procuration. Sauf que le mandant doit trouver un mandataire inscrit sur la même liste électorale que lui, et que l’établissement de la procuration nécessite un déplacement en personne au consulat (sauf rares cas de tournées consulaires).
Dans ce contexte, le vote à distance – par Internet ou par correspondance postale – est apparu presque providentiel… même si, dans les deux cas, l’absence de passage par l’isoloir rend impossible de garantir le secret du vote. Le vote électronique, autorisé depuis 2003 pour l’élection des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) et utilisé pour la première fois aux législatives de 2012 pour un scrutin de portée nationale, pourrait bien être une fausse bonne idée. Seuls 7,08% des inscrits y ont eu recours pour cette élection des conseillers consulaires de mai 2014. De très nombreux votants potentiels se sont plaints de ne pas réussir à voter, que ce soit par manque de réception des identifiants ou parce que l’interface de vote nécessitait une version non à jour du logiciel java – bug déjà repéré lors des législatives de 2012 et non corrigé depuis ! La possibilité de voter par Internet pour les seules élections consulaires, à l’exclusion des européennes se déroulant pourtant simultanément, a aussi contribué détourner les électeurs des urnes pour les européennes.
Surtout, l’autorisation du vote par Internet a été utilisée pour légitimer la disparition du vote par correspondance postale, alors même que lors des dernières élections à l’AFE, près des deux tiers des électeurs avaient voté par correspondance, contre seulement 9% par voie électronique. L’argument fallacieux du coût, utilisé pour justifier cette suppression, tombe de lui-même, puisque le vote Internet nécessite l’envoi, depuis Paris (!) et par voie postale, de deux courriers à l’ensemble des électeurs.
Les obstacles matériels ne sont pas tous imputables à l’administration française. Pour le scrutin européen, le manque de coordination entre Etats européens a également frappé. Les Français inscrits sur les listes électorales de leur pays de résidence pour y voter aux élections locales y ont été automatiquement enregistrés comme y votant aussi pour les élections européennes… même lorsqu’ils avaient expressément précisé au consulat de France qu’ils votaient pour des listes françaises aux élections présidentielles, aux référendums… et aux élections européennes ! Des dizaines de milliers d’électeurs ont ainsi appris, moins d’une semaine avant le vote, qu’ils avaient été radiés des listes françaises « pour éviter le double-vote » !
Le manque de considération de l’administration consulaire envers ces échéances électorales n’a pas aidé. Très peu de communication a été faite auprès des expatriés pour annoncer ces deux scrutins et en expliquer la portée. La publication extrêmement tardive des résultats (plus d’une semaine après la clôture du vote internet !) est révélatrice de la faible priorité assignée à ces rendez-vous électoraux.
Enfin et surtout, pour combattre efficacement l’abstention, il faut redonner du sens à ces élections. Cela passe par la transformation des conseillers consulaires en de véritables élus locaux dotés de véritables missions et de moyens d’exercer leur mandat. Cela nécessiterait aussi de doter les Français de l’étranger d’une circonscription spécifique – les divergences entre leurs orientations politiques et celles de la circonscription à laquelle ils ont artificiellement été rattachés ayant amplement été démontrées lors du scrutin du 25 mai 2014, avec un Front national à 9% chez les Français de l’étranger contre 25% en Ile-de-France !
Plus que jamais, des états généraux de la citoyenneté française à l’étranger sont indispensables.