En déplacement à Paris, un député syrien indépendant autorisé par le régime, prône un retour au dialogue. De la poudre aux yeux pour les opposants.
Le député syrien Boutros Marjaneh (DR)
« Le changement doit être progressif, se mettre en place par le dialogue, en suivant une feuille de route ». Le député syrien indépendant Boutros Merjaneh était de passage à Paris mardi 28 octobre. Elu après la réforme constitutionnelle de 2012 voulue par Bachar al-Assad comme un signe de bonne volonté et d’ouverture face à une opposition qui avait déjà pris les armes pour faire face à la répression du régime, le député chrétien d’Alep est en mission de représentation du pluralisme politique syrien. Mais il vient, aussi, prôner une voie qu’il affirme être la seule modérée pour un pays ravagé par la guerre. Une voie à paver « avec Bachar al-Assad car il est évident qu’il ne partira pas du jour au lendemain », dit-il. « On ne peut pas chercher la cause de l’incendie avant de l’éteindre », explique le député. « Dès le début, les manifestants demandaient le départ de Bachar al-Assad comme préambule à tout. C’était tout bonnement inacceptable », affirme le député d’Alep qui, sans défendre mordicus Bachar al-Assad, condamne tout ce qui est lié de près ou de loin à l’opposition au régime, qualifiant notamment tout combattant de « djihadiste ».
« Laisser les Syriens être maîtres de leur destin »
« Les choses se passent sur trois niveaux dans le règlement du conflit syrien », estime Boutros Merjaneh. « Il y a tout d’abord le jeu americano-russe, ensuite l’implication des acteurs étrangers régionaux (Iran, Qatar, Arabie saoudite, Turquie…), et enfin le niveau syro-syrien. Pour apaiser la situation, il faut laisser les Syriens être maîtres de leur destin, seuls », veut croire le député.
De la poudre aux yeux, selon l’opposition. « Il est dans l’intérêt du régime, qui continue de massacrer son peuple chaque jour, de montrer à l’étranger qu’il existerait dans le pays des opposants indépendants. Mais qui est ce monsieur ? En quoi est-il indépendant ? », demande Monzer Makhous, ambassadeur de la coalition nationale syrienne, qui poursuit :
Il n’y a aucune indépendance de qui que ce soit aujourd’hui dans le pays et si Boutros Merjaneh est à Paris aujourd’hui, c’est qu’il a obtenu l’autorisation du régime, qu’il sert ses intérêt ».
Le député ne nie d’ailleurs pas être « en visite autorisée ». Et son discours modéré plait à certains. Il a été reçu par plusieurs élus français mardi, et notamment la vice-présidente du groupe UMP au Sénat, Joëlle Garriaud-Maylam. « Il est tellement urgent de trouver une porte de sortie à ce conflit sanglant qui dure depuis si longtemps maintenant », affirme la sénatrice. « Je trouve important de rencontrer toutes les voix modérées pour leur dire combien nous les soutenons », soulignait-elle mardi soir lors de la rencontre avec le député syrien. Ardente opposante à toute livraison d’armes aux opposants au régime, Joëlle Garriaud-Maylam rappelle sa rencontre en 2008 avec Bachar al-Assad, soulignant l’impression qu’il laissait, alors, « d’être un homme tourné vers l’Occident et ses valeurs ».
« Que le régime arrête ses massacres »
Boutros Merjaneh fait mine d’y croire encore et prône une solution négociée avec l’homme fort de Damas, défendant les actions de l’armée régulière syrienne. L’armée est d’ailleurs sur le point, selon le député, de reprendre les quartiers d’Alep encore contrôlés par les insurgés. Des quartiers visés par des bombardements incessants qui touchent de façon indiscriminée les habitations et les civils.
Voie de sortie pour un pays ravagé ? Poudre aux yeux comme l’estime l’ambassadeur du CNS à Paris Monzer Makhous ? « Un jour, la situation sera mature pour une solution, les rapports de force le permettront. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. La seconde guerre mondiale a duré 6 ans. En 1941 ou 1942, qui pouvait proposer une solution ? Personne. Peut-être que cette guerre durera encore des années. La situation s’est internationalisée et nous sommes prisonniers de ce chaos », estime l’opposant. « Le plus important c’est le sort des populations sur place qui meurent sous les bombes. Que le régime arrête ses massacres, cela sera un premier pas pour une solution pacifique. »
Céline Lussato
Source: L’Obs