Question écrite n° 13850 adressée à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international (JO du 20/11/2014):
Mme Joëlle Garriaud-Maylam interroge M. le ministre des affaires étrangères et du développement international sur la reconnaissance de la charia dans certaines régions de la Grèce, avec de lourdes conséquences pour les femmes. Elle s’étonne que le droit coranique puisse ainsi primer sur le droit national au sein même de l’Union européenne. Cette reconnaissance de la charia par le droit grec s’enracine dans une loi du 5 janvier 1914 et dans le traité de Lausanne signé entre la Grèce et la Turquie le 24 juillet 1923, qui permettait aux muftis de régler les questions relevant du statut familial et personnel pour les musulmans de Thrace occidentale. Cette disposition, non abolie lors de l’instauration du code civil en 1946, a vu son champ d’application s’étendre au fil du temps : d’une part aux musulmans grecs vivant hors de la Thrace occidentale, voire hors de Grèce, d’autre part à des couples dont l’un des conjoints n’était pas musulman ou pas de nationalité grecque. De même le périmètre des compétences juridictionnelles des muftis s’est progressivement élargi, notamment en matière de règlement de mariages de mineures, de divorces, de droits de garde des enfants ou d’héritage amputés pour les femmes. Le Conseil de l’Europe s’est à plusieurs reprises inquiété de l’application de la charia en Grèce, appelant le gouvernement à contrôler les décisions judiciaires rendues par les muftis. En février 2014, une femme grecque réclamant l’héritage de son mari, malgré la pression de sa communauté, a porté plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme. Elle demande que la France s’engage plus résolument dans une action diplomatique en faveur de l’abolition de la charia en Grèce. Sa propre expérience en la matière – puisque la charia était légalement appliquée à Mayotte jusqu’à la loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 relative à Mayotte – pourrait constituer un argument précieux pour aider les autorités grecques à sortir de la présente impasse juridique.
Réponse de M. le ministre des affaires étrangères et du développement international (JO du 19/02/2015, page 371):
La spécificité du système judiciaire en Thrace occidentale est reconnue dans le droit grec par la loi du 5 janvier 1914 et par le traité de Lausanne, signé par la Grèce et la Turquie en 1923. Elle n’a pas été remise en cause par le code civil adopté par la Grèce en 1946. Dans la pratique, ce système est toutefois fortement encadré. Le droit islamique ne s’applique qu’aux citoyens grecs musulmans, qui résident dans les juridictions de Komotini, Xanthi et Didimoticho, dans lesquelles trois muftis sont nommés par l’État grec. La compétence des muftis est auxiliaire et facultative. Tout citoyen grec musulman a la possibilité de choisir librement entre le juge islamique et le juge grec, sous condition d’un parallélisme des formes (un mariage prononcé par un mufti ne pourra être annulé que par un mufti). Par ailleurs, les décisions prises par les muftis sont soumises à un contrôle de légalité et de constitutionnalité, selon la nature des affaires, par un officier d’état civil ou une juridiction grecque. Elles doivent donc impérativement être conformes au droit grec et européen. En dehors de quelques cas médiatisés, on assiste à un phénomène de rapprochement du droit islamique appliqué en Thrace occidentale avec le droit grec. En outre, de plus en plus de litiges, notamment en matière de succession, sont désormais systématiquement portés devant les juridictions civiles grecques. Les décisions de muftis en matière successorale restent aujourd’hui exceptionnelles. On observe également une augmentation des mariages civils au sein de la communauté musulmane de Thrace, le mariage religieux n’intervenant qu’en complément.