Ma question d’actualité au gouvernement du 15 janvier 2015, et la réponse du Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve :
La France a été touchée au cœur et à l’âme par des attentats abjects, mais elle s’est redressée avec un esprit de détermination et de courage exemplaire. Nous sommes fiers de notre pays, fiers de nos policiers, de nos gendarmes, de nos concitoyens et de notre union nationale.
Cependant, après l’émotion, arrive le temps des questions, et surtout le temps de l’action.
Les Français attendent de nous du concret, ils attendent de nous l’application des lois qui ont déjà été votées et le renforcement des services de renseignement, car le contre-terrorisme est un processus au long cours.
Dans un monde où les projets terroristes ne connaissent plus de frontières et s’échafaudent avec le soutien d’organisations basées à l’étranger, le renforcement de notre capacité de renseignement passe évidemment par la coopération internationale judiciaire et technique.
Certains pays, comme la France, ont davantage de moyens et d’expertise que d’autres. Ils ont le devoir d’aider les États plus vulnérables, car la sécurité internationale est un bien commun mondial. Il est essentiel que les synergies jouent à plein, notamment entre partenaires de l’OTAN, pour renforcer par exemple la surveillance des trafics d’armes et des financements criminels illicites.
Davantage doit aussi se jouer au niveau européen. Une harmonisation des mesures antiterroristes est indispensable. Je pense par exemple au programme PNR – passenger name record – de transfert des données des dossiers des passagers.
Comme je le soulignais voilà quelques mois dans mon rapport sur le terrorisme à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, ces réseaux de partenariats ne doivent pas être limités aux instances gouvernementales. Il nous faut associer la société civile à l’effort de sécurité nationale.
C’est tout l’enjeu des réserves opérationnelles et citoyennes, qui pourraient mobiliser les personnes disposant de compétences spécifiques, notamment sur les plans linguistique, technologique ou psychologique, pour l’encadrement de jeunes en mal de repères, la sensibilisation à la citoyenneté et la mise en œuvre de programmes de prévention et de déradicalisation.
Hélas, les décrets d’application de la loi du 28 juillet 2011 tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure ne sont toujours pas parus, alors qu’il s’agit d’un vivier formidable.
M. Alain Gournac. C’est vrai !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le Premier ministre, les mobilisations massives de ce week-end ont montré que la France était capable de cet élan d’union pour défendre la liberté et le vivre-ensemble. Donnons-nous les moyens de mieux impliquer tous les citoyens au service de cette résilience. En particulier, aidez-nous à développer ces réserves civiles citoyennes et opérationnelles. Nous sommes tous Charlie, mais nous voulons tous redevenir pleinement la France. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, vous avez raison d’insister sur la nécessité de mobiliser ces réserves citoyennes dans le contexte actuel. Le rassemblement, l’unité, la conscience de leur rôle de tous les citoyens français qui se sont manifestés nous imposent de mettre en œuvre rapidement les dispositions législatives à l’élaboration desquelles le Sénat a largement participé. Les décrets d’application seront présentés au comité technique ministériel de mon ministère le 12 février et, dans la foulée, au Conseil d’État par le secrétaire général du Gouvernement. Par conséquent, ces décrets seront pris de manière à rendre possible la mobilisation que vous souhaitez. Cela est nécessaire, et le Gouvernement en est parfaitement conscient.
Ensuite, il faut que les dispositions adoptées au mois de novembre soient mises en œuvre. Nous avons présenté hier en conseil des ministres les textes d’application de l’interdiction administrative de sortie du territoire et de l’interdiction d’entrée sur le territoire pour les ressortissants étrangers ayant été engagés dans des opérations à caractère terroriste sur les théâtres d’opérations que l’on sait. Ces personnes ne doivent en aucun cas pouvoir entrer sur le territoire national. La plus grande fermeté s’appliquera à leur encontre. Je le dis avec la plus nette détermination. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Nous sommes tout aussi déterminés à procéder à l’expulsion de France des ressortissants étrangers impliqués dans des activités terroristes. Nous avons multiplié par deux, entre 2013 et 2014, le nombre de ces expulsions. Nous poursuivrons avec la plus grande fermeté cette politique,…
M. Éric Doligé. Très bien !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. … car il faut regarder la réalité en face.
Enfin, vous évoquez à juste titre la nécessité de renforcer les coopérations européennes. Nous avançons dans un certain nombre de domaines, mais il faut accélérer. Le Conseil européen et la Commission européenne sont tombés d’accord sur le PNR européen, mais il y a un blocage au niveau de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen.
Il faut convaincre les parlementaires européens (Mme Joëlle Garriaud-Maylam acquiesce.), qui observent les événements et sont conscients de la gravité de la situation, qu’il est possible de trouver un équilibre entre un renforcement de la sécurité à travers la mise en place de ce PNR et une amélioration de la protection des données, de manière à assurer la préservation des libertés publiques.
Comme l’a dit avec beaucoup de force au Sénat M. le Premier ministre, la lutte contre le terrorisme ne saurait conduire à sacrifier les libertés publiques au profit de la sécurité, car sinon nous concéderions aux terroristes une première victoire.
Il convient donc de définir cet équilibre avec pragmatisme, efficacité, détermination, lucidité et responsabilité.
En conclusion, j’insisterai sur le fait que nous allons, de façon résolue, multiplier les initiatives à destination des grands opérateurs de l’internet. Je me rendrai aux États-Unis au début du mois de février pour rencontrer les responsables de ces grands opérateurs en vue de les sensibiliser à la responsabilité collective qui doit être la nôtre et de leur faire passer le message que liberté et responsabilité doivent aussi se conjuguer sur internet. (Applaudissements.)