Depuis plusieurs années, la sénatrice UMP Joëlle Garriaud-Maylam tente de sensibiliser le gouvernement à l’intérêt des nouvelles technologies dans la diffusion du livre. En mai 2013, elle avait interrogé le ministère de l’Économie et des Finances sur les conditions de diffusion des livres numériques pour les Français à l’étranger. Le combat n’en était qu’à ses premiers pas.
À cette époque, la sénatrice incitait le gouvernement à « une politique volontariste » sur ce point « afin de capitaliser sur les nouvelles technologies pour faciliter la diffusion de notre littérature française contemporaine à l’étranger ». Mais à ce moment, GfK comptabilisait 300.000 lecteurs ebook vendus en France, et 0,6 % du marché du livre (données 2012). La question restait entière, et Benoît Hamon alors à l’Économie sociale et solidaire et à la Consommation donnait des gages de bonne volonté, évoquant une dimension « économique incontestable ». Et déplorait surtout la possible existence de restrictions « qui seraient injustifiées ».
Sous le sable et la plage, la discrimination
Deux ans plus tard, la sénatrice n’évoque plus les restrictions géographiques qui empêchent les habitants des territoires d’outre-mer d’acheter des ebooks. Cependant, rien n’a vraiment changé. Et c’est à la ministre de la Culture d’apporter une réponse à un point crucial : « [L]a plupart des distributeurs français soit exigent une carte bleue française soit limitent les possibilités d’achat aux clients dont l’adresse IP est située en France. » Que faire ?
Se confronter une fois de plus aux clauses de territorialité qui sont introduites dans les contrats proposés par les éditeurs. Et la sénatrice de souligner :
La vente à l’étranger d’œuvres numériques est freinée par des clauses de territorialité des droits d’auteur, prévues dans les contrats de mandats signés avec les éditeurs. De plus, la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix unique du livre numérique dispose que le régime du prix unique est valable uniquement pour les acheteurs situés en France : les conditions dans lesquelles un distributeur peut vendre des livres numériques à des non-résidents français relèvent donc de sa propre stratégie commerciale.
À cela s’ajoute la directive européenne 2006/123/CE, qui dans son article 20 interdit « des discriminations fondées sur la nationalité ou le lieu de résidence », dans le cadre des services du marché intérieur. Comment s’en sortir ?
La question de la territorialité ne relève pas, nous précisait-on, du droit d’auteur confié à l’éditeur, mais d’un accord commercial. Toutefois, le SNE est clair sur ce point : la territorialité est un point qui relève du droit d’auteur. Étant cessionnaires de l’ensemble des droits, c’est par un effet de restriction technique que les éditeurs limitent la libre commercialisation des œuvres. « Il ne faut pas casser le droit d’auteur pour corriger cela, mais plutôt contraindre les éditeurs à ouvrir ces ventes », nous précisait une source proche du dossier.
La technique de la clause de territorialité
Or, que ce soit sur l’accessibilité des œuvres numériques par delà les frontières, sans obstacle ni discrimination, ou la question de la géolocalisation de l’adresse IP, deux réponses avaient été apportées en 2013, mais insatisfaisantes. Tout simplement parce que restées sans suite à ce jour. La sénatrice souhaiterait donc connaître « l’état d’avancement de ces discussions avec les distributeurs et avec nos partenaires européens, afin de remédier au plus vite à un état de fait qui pénalise non seulement les consommateurs français à l’étranger, mais aussi notre commerce extérieur et la francophonie ».
Les rapporteurs d’une mission sur la question, Corinne Desforges et François Hurard, avaient affirmé en septembre 2014 que des problèmes techniques étaient à l’origine de ces questions. Leur conclusion est troublante :
Le développement encore très embryonnaire de l’offre par les libraires se double, dans les DOM, d’un problème technique qui est de nature à freiner la vente de livres numériques : les difficultés rencontrées par certains acheteurs domiciliés outre-mer à récupérer les fichiers des livres dont ils font l’acquisition sur un site de vente en ligne d’e-books. Ce problème serait lié, comme l’a souligné récemment un parlementaire ultramarin (M. Bruno Nestor Azerot, député de Martinique) au fait que les adresses IP des abonnés ultramarins peuvent être attribuées non pas par l’organisme régional chargé d’attribuer les adresses IP en Europe, comme c’est le cas pour la France métropolitaine, mais par des registres Internet locaux tels que l’AfriNIC (Afrique – Océan indien) pour la Réunion, le LACNIC (Amérique du sud) pour la Guyane, l’ARIN (Amérique du nord – Caraïbe) pour les Antilles.
Tant les éditeurs que les librairies en ligne sont conscients de ces problèmes et – interrogés par la mission — travaillent actuellement à les résoudre. Néanmoins, les rapporteurs, lors de leur mission sur le terrain, ont pu constater que cet obstacle n’était pas généralisé à tous les abonnés à Internet ultramarins. (voir le rapport)
Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, avait répondu sensiblement la même chose en octobre 2013 – les détails en moins : « [Les limitations] peuvent également être la conséquence de difficultés d’ordre technique rencontrées par les revendeurs dans la mise en place et la maintenance de systèmes susceptibles de gérer les disparités fiscales et légales existantes dans les différents pays ainsi que de prendre en compte les différents types de fichiers et de métadonnées fournis. »
Se réfugier derrière des questions techniques dénote tout de même que l’on n’est pas vraiment disposé à solutionner le sujet. George Pau-Langevin, ministre des outre-mer avait assuré qu’elle évoquerait le sujet avec Fleur Pellerin, et dans l’intervalle…
Source: ActuaLitté