Mai 28 2015

Réforme du collège

Mon intervention lors de la séance de questions cribles thématiques consacrée à la réforme du collège (extrait du compte-rendu intégral du 28 mai) :

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les Français sont mondialement réputés pour leur piètre maîtrise des langues étrangères. Cette sous-performance est bien sûr liée à notre système d’apprentissage des langues à l’école et au collège. Il n’y a pas de miracle : deux ou trois heures de cours par semaine ne suffisent pas à devenir bilingue.

La plupart des postes à responsabilité, y compris en France, exigent aujourd’hui un véritable plurilinguisme. Les classes bilangues, européennes et internationales permettent de l’atteindre. En plus d’un volume horaire renforcé en langues, elles favorisent l’enseignement en langue étrangère de disciplines non linguistiques. Un enseignement pluridisciplinaire ludique ne parviendra jamais aux mêmes résultats.

Ces classes sont dites « élitistes », mais quel mal y a-t-il à permettre aux élèves qui le peuvent de maîtriser réellement des langues étrangères, tandis que les élèves en difficulté dans l’acquisition du socle fondamental en écriture ou en lecture seraient aidés par petits groupes ? Pourquoi contraindre l’ensemble des élèves à s’initier, dès la cinquième, à deux langues étrangères, alors que certains ne maîtrisent pas les fondamentaux et pourraient développer sur ce créneau horaire des talents non linguistiques ? Un vernis de LV2 est-il utile à la réussite professionnelle ? La « bilangue pour tous » dès la cinquième est un mensonge.

Le collège unique a fait la preuve de son échec. Pourquoi s’enfoncer encore dans la même mauvaise direction en généralisant le saupoudrage pour les langues vivantes et anciennes ? Plus que d’enseignement ludique, les élèves ont besoin de repères. Le collège doit leur donner les bases de leur future réussite.

N’oublions pas la dimension diplomatique des classes bilangues européennes. Leur suppression est très mal perçue outre-Rhin. Il est à craindre que, par le jeu de la réciprocité, l’enseignement du français en Allemagne n’en pâtisse durement.

L’enjeu est aussi celui de l’attractivité internationale de notre système éducatif. La renommée des lycées français à l’étranger est fondée sur celle de l’éducation « à la française ». Remettre en cause ce modèle, c’est affaiblir nos établissements dans un contexte de vive concurrence internationale.

Je m’interroge aussi sur la mise en œuvre pratique de la réforme. Sachant que 480 millions d’euros seraient nécessaires pour accompagner les nouveaux programmes, pourquoi votre ministère a-t-il inscrit seulement 60 millions d’euros dans son budget triennal ? Qui pâtira des arbitrages budgétaires ? Pour éviter qu’une génération de collégiens ne soit sacrifiée sur l’autel d’une réforme précipitée, pourquoi ne pas échelonner son entrée en vigueur sur deux ou trois ans ?

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam, dans votre propos, il y a une chose que je ne peux pas admettre, une chose contre laquelle je m’élève. Vous dites que, demain, les postes à responsabilité requerront une bonne maîtrise des langues étrangères, et que c’est pour cela qu’il faut former une élite à les maîtriser.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Pas de saupoudrage !

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. En réalité, tous les postes, à responsabilité ou non, requerront une maîtrise des langues étrangères ; c’est pour cela qu’il faut veiller à offrir cette maîtrise à tout le monde.

Il s’agit de savoir à quels métiers nous préparons les élèves qui commenceront à travailler en 2023. Je le répète, je ne crois pas qu’il restera des métiers faiblement qualifiés, et donc sous-payés, en 2023. Notre siècle exige un niveau de qualification élevé pour l’ensemble de la population. C’est l’objectif de cette réforme du collège.

Vous semblez croire que la réforme du collège va imposer exactement le même fonctionnement à tous les établissements, et vous rejetez cette forme d’uniformité. Je vous comprends : moi aussi, je suis contre l’uniformité. Je rappelle que, si la réforme prévoit d’accorder 20 % d’autonomie aux collèges à partir de 2016, c’est précisément pour que, eux qui sont les mieux placés, ils décident s’ils consacrent davantage de temps à de l’accompagnement personnalisé – ce sera le cas si beaucoup d’enfants sont en difficulté – ou à des enseignements pratiques interdisciplinaires, par exemple en langues vivantes étrangères. Si un collège souhaite développer l’enseignement des langues étrangères, il pourra le faire. C’est à cela que sert l’autonomie.

Je terminerai par deux remarques. Il était bien question de la réforme du collège dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Cessez de dire le contraire. Voici ce qu’on trouve dans la loi : réaffirmation du principe du collège unique, possibilité de proposer des enseignements complémentaires, autonomie des établissements et diversification des pratiques…

Un dernier mot : les manuels scolaires seront prêts pour l’entrée en vigueur de la réforme en 2016. (Mme Colette Mélot s’exclame.) Il était important de travailler en même temps à la réforme de l’organisation et des pratiques pédagogiques du collège et à la rédaction de nouveaux programmes et de nouveaux manuels en cohérence.

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour la réplique. Je vous demande d’être brève, ma chère collègue.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Madame la ministre, vous n’avez pas répondu à ma question sur le coût de la réforme.

Par ailleurs, 15 % des collégiens étudient aujourd’hui en classe bilangue. Il aurait fallu augmenter cette proportion. Cela, ça aurait été important ! Aujourd’hui, que se passe-t-il, madame la ministre ? Nous n’avons pas suffisamment de professeurs de langues vivantes.

Nous n’avons pas les moyens de former. Au CAPES d’allemand, de nombreux postes restent non pourvus. De qui se moque-t-on ?

S’il s’agit d’imposer des cours de langues dispensés par des enseignants qui n’ont pas les capacités requises, ce sera un échec !