Mai 15 2015

Sauver Palmyre, bien plus qu’un enjeu de patrimoine

palmyreOui, il faut sauver Palmyre, cité antique classée au patrimoine mondial de l’humanité sur le point d’être détruite par Daech. N’en déplaise à ceux qui, au prétexte que la Syrie est toujours dirigée par Bachar-Al-Assad, préfèrent l’inaction. N’en déplaise à ceux qui minimisent l’impact de ce « nettoyage culturel » eu égard aux victimes humaines.

Prétexter de l’incapacité de la communauté internationale à faire cesser les exactions contre les civils pour justifier l’inaction à Palmyre n’a aucun sens. D’un point de vue pratique, il est infiniment plus aisé de sécuriser un site que de faire cesser les hostilités dans un immense ensemble régional. Pourquoi donc s’en priver ? D’autant que des milliers de familles se sont ces derniers jours réfugiées dans les centres d’accueil de Palmyre.

Surtout, il n’y a nulle opposition entre un engagement en faveur des victimes du conflit – au premier rang desquelles les minorités ethniques et religieuses, et notamment les Chrétiens d’Orient – et la défense du patrimoine. Nul hasard dans l’acharnement des djihadistes contre les sites antiques : ils représentent la profondeur historique des échanges entre civilisations perses, musulmanes et gréco-romaines, qui ont fait du Moyen-Orient une zone culturellement unique… le parfait contre-modèle du fanatisme religieux qui met aujourd’hui la région à feu et à sang ! La culture prend donc ici une véritable dimension idéologique et politique.

Si j’appelle à une action pour sauver Palmyre, ce n’est donc pas par conservatisme culturel. Cela fait des mois que j’appelle à une mobilisation internationale en faveur des Chrétiens d’Orient (j’avais notamment initié un appel parlementaire et demandé à la France de saisir la Cour Pénale Internationale). De surcroît, les pillages de sites archéologiques sont, avec le pétrole et les rançons, l’une des principales sources de financement de Daech.

S’il faut sauver Palmyre, c’est aussi parce Daech fait une guerre de communication sans merci et que ce site, joyau inestimable, est un emblème culturel pour nos civilisations.  Après les immondes décapitations et crucifixions de chrétiens, la prise de Palmyre et l’inévitable alors mise en scène, comme pour d’autres sites emblématiques,  de sa destruction par des bulldozers, serait pour eux un signal de quasi-invincibilité et contribuerait à renforcer leur attrait auprès de ces jeunes djihadistes qui rejoignent leurs rangs en nombres croissants.

Comme je l’écrivais déjà en 2013, aucune solution militaire ou diplomatique ne pourra être trouvée tant que nous nous obstinerons à refuser de parler avec le nouvel « axe du mal » : Russie-Iran-Syrie. Que nous le souhaitions ou non, ces trois pays jouent un rôle important dans cette crise. Refuser le dialogue au prétexte que les dirigeants de ces Etats ne respectent pas les droits de l’Homme (dans d’autres pays, la France est d’ailleurs moins tatillonne…) c’est se priver de leviers diplomatiques cruciaux. La bonne conscience et la respectabilité médiatique ont un prix : celui de dizaine de milliers de nouvelles victimes. Il est ainsi révélateur que Laurent Fabius ait répondu à ma demande de saisine de la Cour Pénale Internationale contre Daech… en évoquant la volonté de la France de déférer le régime syrien devant cette même CPI ! Ce glissement est significatif des blocages de notre diplomatie : plutôt laisser le champ libre à Daech que de risquer, même indirectement, d’avantager Bachar-Al-Assad… Plutôt armer des rebelles aux profils instables – voire franchement extrémistes – que de laisser le dictateur syrien lutter contre l’Etat Islamique. Je le disais à la tribune du Sénat en septembre dernier, cette stratégie est celle du chaos. Alors que, partout dans la région, c’est la déliquescence des Etats qui a favorisé la montée en puissance des groupes djihadistes, cet aveuglement est criminel.