Juin 04 2015

Entraide judiciaire avec les Etats-Unis

Extrait du compte-rendu intégral du 4 juin 2015 :

Mme Joëlle Garriaud-Maylam,rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion de présenter l’accord dont nous débattons aujourd’hui en commission des affaires étrangères, laquelle l’a adopté, ainsi que mon rapport, à l’unanimité des présents.

Ce texte s’inscrit dans le cadre d’une coopération déjà ancienne entre la France et les États-Unis. En effet, nos deux pays sont déjà liés par deux accords : le premier, datant de 1996, est relatif à l’extradition ; le second, adopté deux ans plus tard, est relatif à l’entraide judiciaire.

Depuis 2007, 475 demandes d’entraide ont été adressées aux États-Unis par les autorités françaises, dont 48 en matière de terrorisme. Parallèlement, les autorités américaines ont adressé 225 demandes d’entraide à la France, dont 37 en matière de terrorisme.

Cela étant, la France refuse toute entraide dans une affaire judiciaire pouvant conduire à une condamnation à la peine de mort aux États-Unis. Il est important de le souligner !

À cette coopération judiciaire s’ajoute une coopération opérationnelle très efficace, notamment avec le ministère de la sécurité intérieure et les agences fédérales qui dépendent du ministère de la justice, comme le FBI ou la Drug Enforcement Administration.

Le caractère international des mouvements terroristes et des réseaux du crime organisé, l’extrême mobilité de leurs membres, leur remarquable capacité à contourner les techniques d’investigation des services d’enquêtes, même les plus modernes, rendent nécessaires le renforcement de la coopération. Le but est de pouvoir identifier de manière certaine, au moyen des données dactyloscopiques et génétiques, des personnes qui utilisent de multiples identités.

À l’heure actuelle, les échanges de données biométriques entre la France et les États-Unis s’effectuent dans le cadre de lettres d’entraide internationale via Interpol et restent très limités, faute d’un outil adapté.

Les États-Unis sollicitent le renforcement de cette coopération. Ils conditionnent le maintien du programme d’exemption de visas pour des séjours de moins de trois mois, le Visa Waiver Program, mis en place en 1986 avec un certain nombre de pays, au développement des échanges d’informations dans les domaines de la prévention et de la répression du terrorisme et de la criminalité grave.

Ainsi, en 2008, la France a été invitée à négocier un accord sur l’échange de données génétiques et dactyloscopiques, lequel a finalement été signé en mai 2012.

Inspiré du traité dit « de Prüm », du 27 mai 2005, lui-même partiellement incorporé dans les décisions du Conseil de l’Union européenne en date du 23 juin 2008, le présent accord prévoit une coopération judiciaire pénale reposant essentiellement sur un accès automatisé d’une partie aux bases de données d’empreintes génétiques et dactyloscopiques de l’autre partie.

Toutefois, notons que le champ du présent accord est un peu moins étendu que celui du texte européen.

Premièrement, cet accord ne vise que la consultation des données dactyloscopiques et génétiques ainsi que l’éventuel transfert des données correspondantes. A contrario, le traité de Prüm permet, par exemple, la consultation des registres d’immatriculation de véhicules.

Deuxièmement, le présent accord n’implique pas une transmission automatique des données personnelles.

Troisièmement, ce texte encadre plus fortement les conditions d’envoi des données.

Cet accès est assuré via des points de contact nationaux, désignés par les parties qui les autorisent, dans un premier temps, à procéder à des comparaisons par une interrogation de type « concordance ou pas de concordance ». Ce n’est qu’une fois la concordance établie définitivement que la transmission de données à caractère personnel est effectuée, selon la législation nationale de la partie requise.

C’est à ce stade que devra être précisément justifiée l’inscription de la demande de transmission des données personnelles dans un cadre de police judiciaire. Pour que ces données puissent être valablement utilisées comme preuves ultérieurement, leur transmission sera encore souvent assurée par le biais d’une demande d’entraide judiciaire.

En France, le point de contact devrait être la sous-direction de la police technique et scientifique de la direction centrale de la police judiciaire.

Ces droits de consultation sont strictement encadrés. Ainsi, ils doivent être exclusivement employés dans le cadre d’une procédure judiciaire ou d’une procédure d’enquête relatives à des crimes graves et visant une ou plusieurs personnes déterminées.

Sont concernées les infractions relatives à la criminalité grave et au terrorisme, définies en annexe, ainsi que les autres faits passibles d’une peine privative de liberté égale ou supérieure à trois ans.

Les fichiers automatisés susceptibles d’être consultés à la demande des États-Unis sont le fichier national automatisé des empreintes génétiques pour les profils ADN, le FNAEG, et le fichier automatisé des empreintes digitales, le FAED.

Dans les cas d’urgence ou de péril imminent, l’accord ouvre la possibilité d’une transmission spontanée de données personnelles, à titre préventif, au vu de circonstances particulières laissant présumer qu’une personne est susceptible de commettre des infractions terroristes ou liées à la grande criminalité. Cette transmission est opérée par l’intermédiaire des points de contact désignés et peut être assortie de conditions d’utilisation.

En France, c’est l’unité de coordination de la lutte anti-terroriste, l’UCLAT, rattachée au directeur général de la police nationale, qui devrait être le point de contact.

J’en viens à la protection des données à caractère personnel.

La longueur des négociations s’explique par les garanties exigées par la France en la matière, étant donné que les États-Unis ne sont pas considérés comme un État tiers hors Union européenne qui assure « un niveau de protection suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux » au sens de l’article 68 de la loi du 6 janvier 1978.

Ces garanties sont détaillées à l’article 10 du présent accord, lequel érige en principe le respect de la confidentialité et la protection appropriée des données à caractère personnel transférées.

En conséquence, les parties s’engagent à ne transmettre que les données à caractère personnel « adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont communiquées », à s’assurer que toute erreur constatée soit signalée à la partie destinataire en vue de sa rectification et à conserver les données transmises pendant la seule durée d’utilisation nécessaire à la procédure judiciaire pour lesquelles elles ont été demandées.

S’y ajoute une garantie supplémentaire : la transmission des données obtenues en provenance d’un État tiers est soumise à l’autorisation de ce dernier. La tenue d’un registre des données reçues ou transmises permet d’assurer la traçabilité des échanges, la sécurité des données et le contrôle effectif des dispositions de l’accord.

Ainsi, mes chers collègues, la France peut refuser de répondre positivement à une demande d’entraide judiciaire si l’exécution de cette dernière risque de porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à son ordre juridique ou à d’autres intérêts essentiels. De surcroît, je le répète, elle refuse toute entraide dans une affaire judiciaire pouvant conduire à une condamnation à la peine de mort aux États-Unis.

L’accord comporte également des engagements de la partie américaine à assurer la protection des données communiquées. Là encore, il revient au Gouvernement français, comme à notre administration, d’être vigilant quant à la réalité de sa mise en œuvre.

Un mécanisme de contrôle par une autorité indépendante est prévu, qui peut être l’autorité compétente en la matière de la partie concernée, comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, en France. La transparence et l’information des personnes concernées sont exigées.

En outre, un droit de recours approprié est garanti à toute victime d’une violation de ses droits, ainsi que la protection des données à caractère personnel, indépendamment de la nationalité ou du pays de résidence de l’intéressé.

L’effectivité de ce recours suppose une adaptation de la législation américaine par le Congrès en vue d’étendre aux Français, et plus généralement aux Européens, le droit de recours judiciaire prévu par le Privacy Act de 1974, qui ne concerne actuellement que les Américains et les résidents aux États-Unis.

Annoncée par le président Obama en janvier 2014, puis réclamée par l’ancien procureur général des États-Unis et ministre de la justice américain Éric Holder en juin 2014, cette extension n’a pas encore été adoptée. J’appelle donc notre diplomatie à s’engager fortement sur ces dossiers essentiels.

Un suivi et des consultations entre les parties au sujet de la mise en œuvre de l’accord sont prévus, particulièrement en cas d’évolution des négociations sur l’accord dit « parapluie » entre l’Union européenne et les États-Unis, relatif à la protection des données personnelles lors de leur transfert et de leur traitement aux fins de prévenir les infractions pénales, dont les actes terroristes.

Il importe de souligner que toutes les données conservées en contravention avec les dispositions de l’accord pourront être écartées comme éléments de preuve, et leur pertinence réexaminée.

Par ailleurs, l’accord peut être suspendu en cas de manquement substantiel, et après consultation bilatérale des parties.

En conclusion, ce projet de loi facilitera la coopération judiciaire entre la France et les États-Unis, à un moment où les services de police français et américains ont de plus en plus besoin d’échanger rapidement des données dans des conditions techniques et juridiques sûres. Il permettra, de surcroît, de maintenir à nos compatriotes le bénéfice de l’exemption de visa pour des séjours de moins de trois mois.

C’est pourquoi la commission s’est prononcée à l’unanimité de ses membres présents en faveur de l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l’UDI-UC, du RDSE et du groupe socialiste.)

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