Notre séminaire OTAN à Douchanbé s’est ouvert dans un climat relativement tendu, le patron des services secrets du pays ayant rejoint Daesh quelques semaines plus tôt, menaçant de mort un de nos interlocuteurs, le ministre de l’intérieur Ramazon Rakhimzoda, en l’accusant d’être responsable d’une politique sécuritaire visant à renforcer un Islam laïc et d’interdire le port de la Burqua pour les femmes et la barbe pour les hommes. Le Président Emomali Rakhmon (élu depuis 1994, et réélu en en novembre 2013 avec 83,16% des voix!) , tout comme l’ensemble des ministres rencontrés, en particulier le ministre de la défense Sherali Mirzo tout comme les différents experts militaires et civils rencontrés, responsables d’Instituts aux noms aussi improbables qu' »Académie du Dialogue » ou « Institut d’information sur la Guerre et la Paix » évoqueront tous la grande fragilisation du Tadjikistan depuis le retrait des troupes de la coalition de l’Afghanistan voisin. Rakhmon insistera d’ailleurs avec force et une certaine amertume sur le fait que son pays avait toujours beaucoup aidé les forces de l’OTAN, y compris dans la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan, sans être vraiment soutenu en retour. Il soulignera que la situation est bien pire aujourd’hui pour son pays qu’elle ne l’était il y a 10 ans et nous dressera par contre un tableau panégyrique de Poutine, son grand ami, qui selon lui ne veut que la paix , nous accusant presque de vouloir commencer une nouvelle guerre froide..
Tous insistent sur la nécessité absolue de nous investir davantage dans la reconstruction de l’Afghanistan, un pays où se sont installés plus de 100 000 Tadjiks après la guerre civile, sous peine de voir toute la région basculer avec des conséquences jusqu’en Europe, et la nécessité d’aider le Tadjikistan à lutter contre le terrorisme par un meilleur contrôle de ses frontières. 400 Tadjiks, recrutés essentiellement en Russie, seraient déjà partis faire le Jihad en Syrie et on compterait plus de 1400 combattants de l’EI massés sur la frontière entre le Tadjikistan et l’Afghanistan.
Car ce petit pays enclavé et montagneux de 143 000 km², dont plus de la moitié du territoire se trouve à plus de 3 000 m d’altitude, est le pays le plus pauvre de la CEI : 43% de la population vit avec moins de 2,5 dollars par jour et près de 50 % des revenus du pays proviennent des « remittances » les sommes transférées par son million d’expatriés de Russie, mais celles-ci s’appauvrissent suite aux sanctions. Dans ce contexte le pays est très vulnérable aux risques de trafic de stupéfiants, de crime organisé et bien sûr de terrorisme. Il lui est ainsi difficile de contrôler ses 1350 kms de frontières tadjiko-afghanes dans un relief montagneux et ils sont reconnaissants à la Russie, son premier partenaire économique (22% des importations) de l’envoi de 5000 (certains diront 10 000) de ses soldats, essentiellement la 201ème division de fusiliers motorisés, ce qui en fait la plus importante base militaire russe à l’étranger, avec un bail renouvelé jusqu’en 2042. Nous avons quant à nous signé en décembre 2002 un accord de coopération en matière de sécurité intérieure, inscrit dans les programmes de l’UE et de l’OSCE, mais ceux-ci restent insuffisants.
Le gouvernement a certes pris un certain nombre de mesures pour lutter contre l’extrémisme: rapatriement des étudiants tadjiks du Pakistan, du Maghreb et des pays du Golfe, contrôle des imams, dorénavant rémunérés par l’Etat, et de leurs prêches, fermeture de mosquées non accréditées (tout en construisant à Douchanbé la plus grande mosquée d’Asie centrale) mais tous se sentent démunis face aux progrès récents de l’islamisme radical, notamment en matière d’Internet et de cyberattaques et demandent avec insistance un renforcement de la coopération internationale.
La relation franco-tadjike est solide, avec des intérêts géostratégiques communs évidents. Le Tadjikistan nous a apporté une aide considérable pendant la guerre en Afghanistan, permettant au détachement aérien Détair d’utiliser l’aéroport de Douchanbé comme base d’opérations. La France a quant à elle contribué à moderniser l’aéroport et à en restaurer les pistes pour un montant de 28 Millions d’euros et nous achèvera cette année la construction de la tour de contrôle.
Notre communauté française est peu nombreuse, et surtout constituée d’hommes d’affaires. Plusieurs grandes entreprises françaises s’y sont en effet installées (23 sur l’excellent annuaire de présentation publié par l’Ambassade), dont Alstom (qui présent depuis 2000, participe notamment à la rénovation et à la modernisation du barrage de Nourek en constuisant des sous-stations de transformation), Airbus (à qui Tajik Air a pris en leasing deux hélicoptères H-125), ou encore Mérieux, Sofreco, SchneiderElectric ou Total qui en un an a embauché près de 2000 tadjiks pour l’exploitation et la protection d’hydrocarbures sur le champ Bokhtar, au Sud-Ouest du pays (en association avec le groupe chinois CNPC). Il est paradoxal qu’alors que le pays est de petite taille, avec seulement 8 millions d’habitants – 4 fois moins que son voisin l’Ouzbekistan, et beaucoup moins riche que son autre grand voisin le Kazakhstan, c’est lui qui accueille un certain nombre de filiales Asie centrale de grands groupes. Ainsi le cabinet d’audit et de consulting Mazars y a-t-il installé sa direction Asie centrale. C’est aussi à Douchanbé qu’Auchan, pourtant sollicité par l’Ouzbekistan (35 millions d’habitants, soit la moitié de la population d’Asie centrale) a décidé d’installer sa base en Asie centrale par une franchise avec Schiever. Son tout premier hypermarché devrait ouvrir ses portes dans quelques mois. Nos exportations vers le Tadjikistan restent limitées, s’élevant en 2014 à 9,5 M€ (0,7M€ importations). La communauté française est encore très peu nombreuse (à peine une soixantaine de personnes), au point que les réductions budgétaires entraîneront dès la rentrée la fermeture du poste consulaire et la gestion par le Consul général d’Almaty, Kazakhstan, de cette communauté.
Parallèlement au séminaire OTAN, j’ai eu l’occasion de rencontrer – grâce à notre très dynamique ambassadeur Didier Leroy – un certain nombre de ces dirigeants lors d’un sympathique dîner de travail et de visiter, malgré mon agenda très serré, notre ambassade et notre institut français, le Centre culturel Bactria (fondé et géré par l’ONG Acted, le français étant également enseigné dans plusieurs établissements secondaires et dans trois universités). J’ai ainsi pu rencontrer des personnalités fascinantes, comme ce jeune astrophysicien français ayant réalisé un film sur un lac montagneux exceptionnel car créé par une météorite il y a entre 300 et 500 millions d’années.
Il faut dire que la coopération scientifique franco-tadjike avec le soutien de la Fondation de l’Aga Khan est en plein développement, comme me le confirmera le Président de l’Académie des Sciences (qui offrira à notre délégation un déjeuner pantagruélique – typiquement tadjik- ) , et d’apercevoir entre deux réunions OTAN les installations de Auchan et Michelin.
Je retiens cependant l’exaspération de certains entrepreneurs devant la lenteur de Bercy à mettre en place la Convention franco-tadjik pour l’élimination de la double-imposition. Une lenteur assez scandaleuse dans la mesure où chaque mois supplémentaire d’attente représente des freins supplémentaires à l’implantion potentielle ou au développement de nombreuses sociétés, et donc un déficit d’emplois en France. Dès mon retour j’ai interpellé le ministre à ce sujet par une Question écrite…
Je me suis également étonnée, en visitant l’ambassade, de constater là encore le paradoxe récurrent d’investissements massifs en termes d’équipements sécurité sophistiqués, et la réduction en personnel français de sécurité aptes à manier de tels équipements. C’est là encore un sujet que j’aborderai avec notre ministre des affaires étrangères…