Oct 22 2015

La diplomatie économique, un enjeu essentiel qui doit devenir l’affaire de tous

Entretien publié par Génération entreprise :

Lors de la traditionnelle Semaine des Ambassadeurs, qui marque la rentrée diplomatique, le Quai d’Orsay a organisé une session de « speed-dating » entre ambassadeurs et entreprises. Un vent de nouveauté souffle-t-il au Quai d’Orsay ?

Sur la forme c’est en effet inédit, et l’on ne peut que se féliciter de l’attention accrue portée aux PME. Mais au-delà de l’effort de communication, pas grand-chose de neuf en termes de diplomatie économique, un concept élaboré il y a plus de vingt ans. Ce que les entreprises – et tout particulièrement les PME – attendent, c’est la simplification des démarches, notamment en termes de visas, et une rationalisation des dispositifs d’accompagnement à l’export, comme je l’ai défendu à maintes reprises devant le Sénat. Cela fait des années qu’un guichet unique national est réclamé, par exemple pour faciliter les démarches en douane, encore trop souvent kafkaïennes du fait de la multiplicité des administrations concernées.

Un tel regroupement serait aussi dans l’intérêt de nos finances publiques. En 2013, le président du Comité national des conseillers du commerce extérieur (CNCCE), Alain Bentéjac,  évaluait à 65 millions d’euros les dépenses de soutien à l’export faites par les collectivités et les déperditions liées à des superpositions restent énormes.

Le réseau diplomatique français est l’un des plus denses du monde. Politiquement nous sommes partout… mais le commerce extérieur ne suit pas ?

Nos ambassades sont dotées de services économiques, récemment rebaptisés « BusinessFrance », (au grand regret du  défenseur de la francophonie que je suis qui se bat pour l’utilisation de notre langue partout et toujours…)  Par ailleurs, la France dispose du réseau des 112 Chambres de Commerce Internationales implantées dans 82 pays et de celui, présent dans 146 pays, de 4 300 Conseillers du Commerce extérieur – dont 155 référents PME. Les entreprises peuvent également compter sur les Chambres de Commerce européennes, un peu partout dans le monde. Du point de vue institutionnel, les structures sont bel et bien là. Outre la nécessaire rationalisation que je viens d’évoquer, il manque aussi parfois un certain ancrage dans la vie économique, culturelle et politique locale. De ce point de vue, il est indispensable de mieux mobiliser les expatriés français et binationaux, ainsi que les élites étrangères formées dans le système francophone. Il faut élargir nos horizons et ne pas négliger ceux qui sont situés loin des principales métropoles ou hors des grandes institutions. Les réseaux associatifs et les PME ont beaucoup à nous apporter !

Cela ne dispense pas de renforcer les liens entre ces réseaux et les ambassades. La création de conseils économiques dans les ambassades était une opportunité. Mais le refus d’associer les élus de terrain que sont les conseillers consulaires est une vraie erreur. Les services diplomatiques ont besoin de relais pour mieux comprendre et prendre en compte les besoins des communautés, entrepreneurs et sociétés françaises à l’étranger. Il y a notamment de nombreux problèmes de réciprocité, des enjeux avec les conventions fiscales ou de protection sociale… Les parlementaires sont un relais en France, mais tout un travail est à mener sur le terrain.

Pour que la « marque France » s’impose sur des marchés difficiles, il faut aussi que nos entreprises accroissent leurs synergies à l’international, entre elles et avec les services de l’Etat.

Certains pays ont culturellement davantage de facilité à organiser la coopération entre leurs acteurs à l’export ?

Il est d’usage de citer en modèle les Allemands, dont le dense tissu de PME réussit particulièrement bien à l’international. L’excédent commercial de l’Allemagne a atteint en 2014 le niveau record de 217 milliards d’euros, en hausse de 11% par rapport à l’année précédente. Dans un même temps, le déficit commercial français stagne à 53,8 milliards d’euros. Certes, l’évolution des prix de l’énergie explique partiellement ce déficit, mais les exportations françaises n’ont augmenté que de 0,1 % et le nombres d’entreprises exportatrices stagne. Nos initiatives en faveur de l’export existent mais restent dispersées. Il faut aussi favoriser les passerelles entreprises-écoles à l’international. Au Mexique, j’ai par exemple vu de remarquables programmes de partenariats entre écoles d’ingénieurs françaises et mexicaines, et entre entreprises françaises et cursus locaux de formation professionnelle. Nous devrions aussi inculquer davantage, dès l’école, les valeurs d’entrepreneuriat, l’esprit d’équipe et l’ouverture internationale.

Mais ne versons pas dans cet autodénigrement dont nous sommes si coutumiers et qui nous est préjudiciable. La France aussi a de véritables ressources culturelles pour développer son influence économique à l’international. Avec un atout clé, encore trop négligé, la francophonie. La croissance de demain est en Afrique : ne nous y laissons pas distancer par l’anglais ou le chinois. Nos entreprises pourraient mobiliser davantage ce levier. Certaines le font déjà avec brio, comme Michelin, qui réalise dans toutes ses filiales étrangères un investissement en faveur de l’usage du français, comme j’ai pu le constater jusqu’au Tadjikistan.

Nos entreprises à l’étranger sont aussi confrontées à des défis sécuritaires. Comment la France peut-elle les aider ?

Les menaces contre les intérêts français n’ont cessé de se renforcer ces dernières années. Les ambassades et centres culturels, les lycées français – pour lesquels d’importantes mesures de sécurisation ont été prises – mais aussi les entreprises peuvent être visés par des attaques contre leurs locaux ou des prises d’otages de leurs salariés. Sans sombrer dans la psychose, la vigilance s’impose. Rapporteur pour l’Assemblée parlementaire de l’OTAN sur ces questions, je mesure à quel point une meilleure coopération internationale est indispensable pour faire face à ces défis.

Un guide de sécurité pour les professionnels en déplacement ou installés à l’étranger est diffusé par le Ministère des Affaires étrangères. Le dispositif Ariane et les plans de sécurité des ambassades sont des initiatives précieuses que nombres de pays nous envient. Mais beaucoup peut encore être fait pour renforcer notre résilience. Je milite notamment en faveur d’un développement des réserves opérationnelles et citoyennes à l’international.

Il faut aussi aider les petits entrepreneurs français vivant dans des pays en crise et confrontés à des pillages ou à la désorganisation de l’appareil économique local – je pense par exemple à la situation de l’Egypte. Il serait pertinent de collaborer avec les pays d’accueil afin de mettre en place une véritable sécurité juridique. J’ai aussi proposé de garantir à ces entrepreneurs une protection en cas de crise majeure, par exemple via la création d’un fonds d’indemnisation français ou européen.

Terminons sur une note moins tragique… vous avez créé en 2008 le Prix du Rayonnement. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce prestigieux trophée ?

J’ai créé ce prix en réaction à la morosité ambiante. En France, les Français sont terriblement pessimistes, et ont malheureusement de nombreuses raisons de l’être… mais à l’étranger, ils dégagent une formidable énergie et conservent une excellente image dans de très nombreux domaines, au niveau culturel et gastronomique bien sûr, mais également pour dans le domaine scientifique ou pour leur action humanitaire. Ce sont ces personnalités et ces initiatives que j’ai souhaité mettre en valeur, en distinguant des personnalités françaises ou francophones qui valorisent notre patrimoine matériel et immatériel. Ces dernières années, nous avons augmenté le nombre de lauréats afin de créer des prix thématiques, pour mieux donner à voir la richesse et la diversité du rayonnement français à l’étranger.