Mai 09 2016

Débat sur les femmes et mineur-e-s victimes de la traite des êtres humains

Extrait du compte-rendu intégral du 4 mai 2016 :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mardi prochain nous commémorerons, comme chaque 10 mai, les mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition. Hélas, la traite des êtres humains n’est pas qu’une page sombre de notre histoire, et ce phénomène ne cesse de s’amplifier.

Je salue l’initiative du Sénat et de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes d’accorder de l’attention à ce phénomène gravissime, dont les femmes et les enfants sont les premières victimes, notamment en matière d’exploitation sexuelle ou de travail forcé.

Mais nous ne pouvons pas en rester aux bonnes intentions et traiter ce phénomène sous l’angle unique de la victimisation ou par le déni. Nous devons notamment être lucides sur les liens avec la crise des migrants, crise directement causée par les guerres et la déstabilisation d’États au Moyen-Orient et en Afrique. Il s’agit d’un enjeu énorme en termes de politique étrangère et de défense. Le problème de la traite ne pourra être résolu sans tenir compte de cet environnement international complexe et de l’ensemble des flux transnationaux illicites dans lesquels il s’insère.

Certes, sur le plan juridique, le trafic de migrants et la traite des personnes sont deux phénomènes distincts. Mais en réalité, nous avons pu le constater dans la jungle de Calais, la frontière entre ces deux fléaux est poreuse.

Les migrants sont une cible facile pour les réseaux mafieux, et l’argent de la traite constitue, aux côtés de celui d’autres trafics, une ressource importante de Daech. De même, le fait que certains des terroristes du 13 novembre dernier aient pu entrer en Europe dissimulés dans le flux de réfugiés illustre les liens entre trafic d’êtres humains et terrorisme, pénalisant ainsi l’ensemble des migrants. Je l’ai d’ailleurs souligné voilà plus d’un an dans une question écrite, toujours en attente de réponse, adressée au ministre des affaires étrangères.

Les outils juridiques de lutte contre la traite sont nécessairement européens et internationaux. À cet égard, la diplomatie française a encore fort à faire pour promouvoir la ratification et la mise en œuvre effective des conventions internationales.

Certes, le droit international sur ces sujets s’est développé depuis une quinzaine d’années dans le cadre des travaux de l’Organisation des Nations unies, du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne, ou encore de l’Organisation internationale du travail. Je ne reviendrai pas sur les principaux textes internationaux déjà mentionnés par Chantal Jouanno. La coopération internationale semble toutefois avoir du mal à prendre réellement son essor, comme je le soulignai voilà deux ans déjà, lors du sommet économique eurasien qui s’est tenu à Istanbul.

Nombre de pays ont ainsi émis des réserves lors de la signature de la convention du Conseil de l’Europe de 2005 contre la traite des êtres humains. Certains, comme la Russie ou la République tchèque, n’ont pas signé ce texte ; d’autres, comme la Turquie, l’ont signé, mais pas encore ratifié. La France elle-même a laissé passer trois ans entre la signature et la ratification de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite « convention d’Istanbul », texte dont j’ai été rapporteur au Sénat.

Des lacunes perdurent aussi dans les textes internationaux. Je pense notamment à l’absence d’inclusion explicite de la question des mariages forcés dans la définition de la traite, tant dans notre droit national qu’au plan international. Il faut impérativement y remédier

Mais l’élément fondamental pour parvenir à des résultats, outre des mesures concrètes à l’échelon national qui ont été indiquées dans notre rapport, est la coopération internationale, tant judiciaire qu’humanitaire. Elle suppose l’amélioration de la coopération policière et des services de renseignement, loin d’être suffisante.

Cette coopération internationale suppose aussi une véritable aide publique au développement, la nôtre, contrairement à celle de nos amis britanniques, étant laminée par les restrictions budgétaires. L’assistance technique est pourtant indispensable pour aider les pays d’origine et de transit à lutter contre la traite.

Je renouvelle donc mon appel à préserver les crédits de l’aide au développement sur ces questions de droits des femmes et de lutte contre les trafics d’êtres humains, en particulier dans certains pays très touchés d’Asie du Sud-Est, notamment le Népal ou le Bangladesh où notre aide est inexistante. Il s’agit d’un investissement indispensable pour enrayer des phénomènes mafieux dont les conséquences sont humanitaires, mais aussi économiques et sécuritaires. La pauvreté, l’instabilité politique et l’inégalité entre les sexes, avec le manque d’éducation des jeunes filles comme corollaire, sont des facteurs favorisant la traite.

Réciproquement, la traite est une ressource pour les mafias et un facteur très important de déstructuration des sociétés. Cette traite, comme le terrorisme, est la négation même de nos droits et valeurs les plus fondamentaux. Plus que jamais, il importe que nous luttions pour le rétablissement de ces droits et de ces valeurs partout dans le monde. Il y va de l’honneur de notre pays et du respect de ses traditions. (Applaudissements.)