Tribune publiée par le Huffington Post :
Dans l’effervescence pré-référendaire, une décision de la Cour Suprême britannique est passée quasi inaperçue : deux sujets de Sa Majesté qui contestaient la suppression du droit de vote infligée aux Britanniques installés depuis plus de quinze ans à l’étranger, arguant que cela contrevenait à la liberté de circulation dans l’Union européenne, ont été déboutés.
Cette décision pourrait pourtant peser lourd dans le résultat du scrutin (1,2 millions de Britanniques a priori plutôt europhiles vivent dans des pays européens tiers, dont une grande partie depuis plus de 15 ans)… et constitue en tout cas un signal pour les eurosceptiques. Le Royaume-Uni réaffirme ainsi sa singularité vis-à-vis de ses partenaires européens, dont la plupart ne limitent pas ainsi les droits civiques de leurs expatriés. Cette décision réactive aussi le souvenir des tensions entre Londres et la justice européenne en matière électorale, Londres refusant toujours de reconnaître sa condamnation par la Cour Européenne des Droits de l’Homme de 2005 relative à la privation de droit de vote infligée aux prisonniers.
La tentation est parfois grande, même pour une Française vivant comme moi depuis plus de 30 ans au Royaume-Uni, de renoncer à tenter de convaincre en laissant Londres à son euroscepticisme. Si les Anglais ne veulent vraiment pas de l’Union européenne, alors même qu’ils en tirent tant d’avantages, faut-il vraiment les retenir ? Plutôt que de renforcer le statut particulier de la Grande-Bretagne au sein de l’UE et de brader nos principes fondamentaux comme la libre circulation et la solidarité entre Etats membres, ne devrions-nous pas plutôt la laisser sortir ?
Au-delà de l’agacement et des inquiétudes face notamment à une presse très largement europhobe, il nous faut pourtant garder la tête froide et une vision claire des intérêts en jeu, tout en reconnaissant à la fois ce que nous devons au Royaume-Uni sans lequel nous n’aurions sans doute pas gagné la dernière guerre et la nécessité pour l’UE de se réformer en profondeur, certaines des demandes institutionnelles de Cameron à Donald Tusk en novembre pouvant constituer une bonne base de travail.
Nos économies sont étroitement mêlées et interdépendantes. Le Trésor britannique anticipe une baisse de 3,6 points de PIB et la perte de 600 000 emplois en un an en cas de Brexit. Le Royaume-Uni effectue en effet 48% de ses exportations au sein de l’UE ; il est le 5e marché français à l’exportation et réciproquement, la France est le 5e client et le 5e fournisseur du Royaume-Uni. Ces liens économiques s’incarnent dans nos communautés expatriées : avec plus de 200 000 Français y résidant, Londres est surnommée la « sixième ville de France ». Ce sont également 200 000 Britanniques qui se sont établis en France. Tous seraient fortement impactés dans leur vie quotidienne et professionnelle par un Brexit.
Au plan géopolitique, c’est surtout l’Europe elle-même qui sortirait durablement affaiblie d’un Brexit. Non seulement sur le plan budgétaire, en se voyant amputée d’un contributeur à son budget et d’un poids lourd de son marché intérieur et de sa force commerciale internationale, mais aussi et surtout sur le plan diplomatique. La relation franco-britannique est essentielle et stratégique pour l’Europe de la défense et pour notre coopération européenne en matière de renseignement et de lutte contre le terrorisme. Elle joue aussi un rôle moteur dans la relation euro-atlantique. Et que dire de la réaction des Écossais qui pourraient décider en cas de Brexit de relancer un processus de sortie du Royaume-Uni ? Enfin, au sein de l’UE, le dialogue avec Londres nous évite l’enfermement dans un face-à-face trop étroit avec l’Allemagne, qui ne tournerait pas à l’avantage de la France.
Accepter pour la première fois la sortie de l’Union d’un Etat membre pourrait ouvrir une dangereuse boîte de Pandore, surtout à l’heure où l’Europe fait face à des épreuves majeures, depuis les tensions de sa politique de voisinage jusqu’à la crise de la dette grecque et à celle des réfugiés. Espérons que les Britanniques, pragmatiques par nature, sauront se souvenir de cet adage venu de la Grèce ancienne et réutilisé pendant la deuxième guerre mondiale « United we stand, divided we fall » L’union fait la force, la désunion l’échec.