Un article d’Altermonde Sans Frontière :
Bien qu’elle ne soit délivrée que sur ordonnance et prescrite dans les cas d’acné les plus sévères, l’isotrétinoïne, commercialisée sous le nom de Roaccutane®, pourrait bien être un nouveau scandale sanitaire majeur. Cette molécule active, dont le laboratoire Roche a suspendu la commercialisation en 2008 mais qui existe encore sous forme de génériques est suspectée d’être à l’origine de nombreux suicides en France et à l’étranger.
Le 11 mars 2011, Maître Gilbert Collard, avocat de Daniel Voidey père d’un adolescent de 17 ans qui s’est pendu en 2007 à l’issue de son traitement, a assigné en justice les laboratoires Roche en tant qu’inventeurs du traitement, et Expanscience et Pierre Fabre, qui commercialisent deux génériques de ce médicament le Curacné® et le Procuta®. Les parents d’Alexandre sont convaincus que la mort de leur fils, retrouvé pendu en juillet 2007 à un arbre à Nice, est liée à la prise de ce traitement qu’il suivait depuis sept mois. « Je sentais qu’il était vraiment angoissé et fatigué mais rien ne laissait penser qu’il allait se suicider. C’est un message dans lequel il disait qu’il ne savait pas ce qu’il avait depuis trois semaines et qu’il avait mal partout, qui nous a convaincus de les attaquer », a déclaré Daniel Voidey qui a ajouté à la sortie de la salle d’audience : « Je veux que la justice reconnaisse que mon fils n’est pas un menteur et que ce médicament est responsable de sa mort ». Lors des débats, Maître Collard a demandé la désignation d’experts pour démontrer que rien ne prédisposait Alexandre au suicide avant qu’il ne prenne ce médicament dont « la notice noie le patient sous un flot de mises en garde et de contre-indications ».
L’avocat de Roche a demandé à être mis hors de cause, l’adolescent n’ayant pas pris le médicament commercialisé par Roche mais seulement ses génériques, mais il a précisé que le bénéfice-risque était favorable. Quant aux avocats de la défense, ils ont souligné le fait qu’un médicament était toujours « toxique » et qu’en l’espèce le Roaccutane® était un traitement révolutionnaire, qui avait guéri des millions d’acnéiques sévères. Maître Alain Gorny, avocat des laboratoires Pierre Fabre, est convaincu « que l’expertise confirmera le grand nombre d’études ayant conclu à l’absence de lien entre l’isotrétinoïne et les suicides ». Lorsque les laboratoires Pierre Fabre et Roche se réfèrent à des études qui prouvent qu’il n’existe aucun lien, ils omettent de préciser qu’elles ont été exclusivement menées par les laboratoires et non des chercheurs indépendants. De même, ils se sont bien gardés de parler des nombreux effets secondaires énumérés sur la notice, mais qui ne représentent qu’une infime partie des accidents graves constatés. En outre, ce produit a des effets tératogènes et induit des malformations graves chez les fœtus des femmes enceintes qui utilisent le Roaccutane®. Le Dr Godfrey Oakly, ancien directeur du CDC (Centre de contrôle et de prévention des maladies) d’Atlanta, a déclaré, il y a plusieurs années : « Ce produit a les mêmes conséquences que la Thalidomide ». À lui seul, ce risque aurait dû motiver le retrait du produit, mais le fait qu’il génère de graves troubles psychologiques n’a pas davantage troublé les laboratoires.
En mai 2000, au cours d’une réunion du comité de dermatologie de la FDA, l’agence a confirmé que ce médicament était lié à 147 suicides ou hospitalisations pour dépression entre 1982 et 2000 et a déclaré que des recherches devaient être entreprises pour déterminer les risques d’accidents sur les nouveau-nés. Sten Olsson, responsable de la base de données de pharmacovigilance de l’OMS à Uppsala, a répertorie 4 214 cas de problèmes psychiques en lien supposé avec l’isotrétinoïne, dont 1 071 tentatives de suicides, mais d’après la FDA, on devrait multiplier par cent les chiffres de la pharmacovigilance, car peu de victimes sont conscientes d’un lien possible entre le médicament et l’état dépressif qui en découle. Et en 2007, Serena Tinari, journaliste scientifique, a diffusé sur TSR (Télévision suisse romande) un film au titre éloquent, Mourir pour quelques boutons. (voir les deux vidéos du reportage en-dessous de cet article) Ce reportage, qui résulte d’une enquête de plus de deux ans, révèle que de nombreuses personnes ont été victimes du Roaccutane® aux États-Unis, en Irlande et en Suisse et que Roche aurait affronté près de 150 procès en 2007.
Déjà, le 19 décembre 2004 le Times signalait que Liam Grant, comptable à Dublin, avait dépensé 500 000 livres pour financer des recherches indépendantes afin de prouver que ce médicament était responsable de suicides chez les jeunes. Grant fait partie des centaines de gens qui ont perdu un enfant par suicide et qui sont persuadés qu’il existe un rapport de cause à effet avec cette drogue. Son fils, un étudiant âgé de 20 ans, s’est suicidé en 1997 alors qu’il était sous traitement de Roaccutane®. La même année, Seumas Todd, fils de l’acteur Richard Todd, lui aussi âgé de 20 ans, s’est suicidé alors qu’il prenait le même produit. Richard Todd affirme que son fils est devenu dépressif aussitôt qu’il a commencé le traitement. Jon Medland, 22 ans, étudiant en médecine à l’université de Manchester, s’est pendu au début de l’année 2004, peu de temps après avoir commencé une cure de Roaccutane®. Liam Grant a vendu tous ses biens pour financer ses recherches. « Mon fils serait certainement encore en vie s’il n’avait pas pris du Roaccutane®. J’ai compris que si je voulais que des études soient entreprises sur cette substance, je devais les financer moi-même », a-t-il déclaré. Il a engagé les meilleurs spécialistes de la question, dont le Dr J. Douglas Bremner de l’hôpital universitaire d’Atlanta, afin de vérifier les effets du produit sur le cerveau. Les travaux préliminaires de Bremner ont prouvé que ceux qui prennent du Roaccutane® manifestent une baisse d’activité du cortex orbitofrontal, partie du cerveau qui contrôle l’humeur et le comportement social.
Le Dr Peter McCaffery, de l’université de l’École de médecine du Massachusetts et désigné pour évaluer le principal ingrédient du médicament, a prouvé qu’il réduisait la prolifération des cellules du cerveau des souris et altérait leur faculté d’apprendre certains comportements. Grant a l’intention d’utiliser ces découvertes pour montrer que cette drogue a un effet nuisible sur le cerveau. Il a déjà refusé une offre amiable de 800 000 livres du laboratoire Roche pour abandonner l’action en justice. Sans évidemment reconnaître le lien, les avocats de la compagnie ont fait remarquer que cette somme correspondait à ce que Grant pourrait obtenir de la Cour irlandaise. Un porte-parole de Roche a déclaré que la compagnie avait offert cette somme pour épargner un procès long et coûteux, mais que ce médicament était bien toléré et que le fabricant lui gardait sa confiance. On se demande alors pourquoi, s’il est aussi sûr de son produit, il a accepté de payer une telle somme à l’amiable. Pour sa part, Grant a affirmé qu’il n’envisagerait aucun compromis tant que le laboratoire nierait les liens de causalité. Aux États-Unis également plusieurs cas de suicide ont été reliés au Roaccutane®. Le jeune fils de Bart Stupak, membre démocrate du Congrès, s’est suicidé en 2000 alors qu’il utilisait cette substance, tout comme Charles Bishop, 15 ans, qui s’est tué en 2002 aux commandes d’un avion qui s’est écrasé sur un immeuble à Tampa, en Floride. Les familles ont porté plainte contre Roche.
En France, entre 1986 et 2009, 25 à 27 cas de suicides chez des adolescents qui pourraient avoir un lien avec ce médicament auraient été recensés par l’Afssaps. Mais l’Association des victimes du Roaccutane® et génériques (AVGR), fondée en 2007 par Daniel Voidey, a comptabilisé en trois ans près de 350 témoignages de victimes, dont 13 suicides depuis sa création. Malgré ces chiffres, ce poison ne fait même pas partie des 77 autres qui ont un suivi renforcé, mais il est intéressant de savoir qu’il « nécessite un suivi médical et des examens biologiques réguliers », alors qu’on le donne, comme le Mediator, pour des cas non indiqués par l’AMM. De même, on peut se demander pourquoi on recommande ces précautions d’emploi puisque les effets secondaires sont « bénins ». En outre, détail comique, la notice précise que « le risque de surdosage est quasi inexistant avec Roaccutane® », mais signale en même temps que « si les doses prises sont supérieures à celles prescrites, il faut contacter immédiatement le centre antipoison le plus proche ». Ces incohérences montrent bien qu’on nous dit n’importe quoi, que les fabricants eux-mêmes ne savent pas grand-chose de ce qu’ils affirment, mais que l’Afssaps attend sans doute qu’il y ait des milliers de morts pour agir, malgré les belles mais vaines promesses de notre ministre de la Santé. Pourtant, le 18 janvier 2011, la sénatrice UMP Joëlle Garriaud-Maylam demandait à Xavier Bertrand de prendre « des mesures d’urgence » à l’encontre du Roaccutane® et de ses génériques.
Alors que ce médicament a été retiré du marché aux États-Unis, l’Afssaps s’est contentée de demander en 2007 une « vigilance particulière » pour les personnes ayant des antécédents psychiatriques, et en 2009, elle rappelait aux prescripteurs et pharmaciens la dangerosité du médicament. On peut ainsi constater que ce que nous avions prévu au sujet de la « transparence » demandée par notre ministre et du changement de nom de l’Afssaps, rien n’a bougé et aucun signe précurseur de changement ne s’est manifesté. En ce qui concerne « l’urgence », sans doute n’y a-t-il pas encore assez d’accidents et de morts. Combien en faudra-t-il pour interdire ce poison ?
Sylvie Simon