La Fondation Marmara – la plus importante des fondations turques – organise chaque année depuis 17 ans à Istanbul un sommet économique eurasien auquel participent nombre de présidents, ex-présidents, ministres et parlementaires d’Asie et d’Europe.
Seule française invitée cette année, il m’a été demandé d’intervenir en faisant le « keynote speech » d’une après-midi consacrée à la coopération internationale en matière de lutte contre les trafics d’êtres humains.
Ce sujet, enjeu essentiel du XXIe siècle, m’intéresse au plus au point. D’une part parce que j’ai toujours été passionnée par les migrations internationales. D’autre part, parce qu’en tant que rapporteur de la commission des affaires étrangères du Sénat sur l’accord franco-roumain sur la protection des mineurs roumains isolés, j’ai été appelée à étudier ce sujet en profondeur, sur le terrain.
Le travail forcé et de la prostitution touchent plus de 20 millions de personnes dans le monde et font 2,5 millions de nouvelles victimes chaque année, dont 80% de femmes ou d’enfants. L’Union européenne n’est pas épargnée par ce terrible phénomène : près de 25 000 personnes en auraient été victimes entre 2008 et 2010. Près de deux tiers des victimes sont originaires d’Europe, et notamment de Bulgarie ou de Roumanie. Sur les 52 réseaux internationaux démantelés par l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains en 2012, près de la moitié étaient animées par des ressortissants venus de Roumanie.
Les termes de « trafic humain », ou de « traite », nous renvoient des siècles en arrière, au temps du commerce des esclaves. Pourtant, ils ne sont pas une simple page d’histoire. Cette criminalité connaît au contraire une nouvelle jeunesse dans un monde globalisé. La libéralisation financière, l’usage d’une monnaie européenne unique et les facilités de communication ont simplifié les transferts de fonds et brouillé la traçabilité des flux. Les outils permettant de dissimuler l’identité des bénéficiaires sont nombreux et accessibles (sociétés écrans, trusts, etc.). Internet et les réseaux sociaux offrent également de nouveaux outils aux criminels.
Aussi est-il plus important que jamais d’adopter une approche transnationale. Il faut renforcer la coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination, en mobilisant non seulement la puissance publique (justice, police, services sociaux) mais aussi les organisations de la société civile et le secteur privé. Il est aussi indispensable de mettre sur pied des mécanismes régionaux et internationaux tant pour la prévention et la protection des victimes que pour la répression des trafiquants.
J’ai brièvement présenté les grands axes de l’implication française en matière de lutte contre la traite des êtres humains, tant sur le sol national, que dans les instances multilatérales et par l’appui du Ministère des Affaires étrangères à des projets à l’étranger, notamment dans le Golfe de Guinée ou en Europe de l’Est.
J’ai enfin appelé à une plus large ratification de la Convention du Conseil de l’Europe de 2005 sur les trafics d’êtres humains, notamment vis-à-vis de la Turquie, la Grèce et l’Estonie – qui l’ont signée mais pas ratifiée – ou de la République tchèque et de la Russie qui ne l’ont pas signée. Les pays des Balkans et du Caucase ont en effet un rôle important à jouer contre ce fléau.
Il en va non seulement de la protection des victimes à la sécurité des pays d’accueil et à la lutte l’économie criminelle.
→ Voir le billet du Figaro relatif à ce déplacement