Mar 27 2005

En finir avec les mariages forcés

Ma tribune parue dans Le Figaro, no. 18862 du dimanche 27 mars 2005, p. 10 :

Un rapport du Haut Conseil à l’intégration estimait en 2003 à 70 000 le nombre des jeunes filles touchées en France par les mariages forcés. Un chiffre qui fait peur, mais sans doute encore très en dessous de la réalité, et qui témoigne de l’urgence de remédier au problème.

Qu’est-ce qu’un mariage forcé ? C’est un mariage arrangé par les familles mais sans le consentement des jeunes filles. Une violence morale et psychologique intolérable. Une atteinte à l’intégrité de la personne et à ses droits fondamentaux. Une survivance d’une coutume et d’une tradition anciennes qui fait que l’on promet les filles, parfois dès leur naissance, à un parent plus ou moins lointain, voire à un inconnu. Une forme d’esclavage moderne, selon les termes même des Nations-unies.

Ses conséquences sont souvent dramatiques. En Grande-Bretagne, par exemple, l’on estime que les jeunes femmes originaires du Moyen-Orient, d’Afrique ou d’Asie sont 3 à 4 fois plus susceptibles de se suicider entre 15 et 34 ans que les autres jeunes femmes. Mais l’on compte aussi nombre de crimes que l’on justifie lorsque la jeune fille « déshonore » la famille en refusant un mariage imposé.

Comment y remédier ?

Il faut tout d’abord changer, en France, le Code civil qui stipule, dans son article 144, que l’âge minimum légal est de 15 ans pour les filles et de 18 ans pour les garçons. Cette disposition du Code civil napoléonien, inchangée depuis 1804, est une discrimination qui porte atteinte au principe républicain d’égalité, en complète contradiction avec les récentes lois relatives à l’égalité des droits entre hommes et femmes dans tous les domaines. Elle est surtout un danger pour les jeunes filles mineures qui se voient imposer un mariage contre lequel elles n’ont guère de moyens de lutter.

Il semble que le gouvernement est aujourd’hui disposé à harmoniser âge minimum du mariage et âge de la majorité civile en acceptant un amendement sénatorial faisant passer cet âge de 15 à 18 ans pour les jeunes filles. Une mesure réclamée par le comité de suivi de la Convention internationale des droits des enfants et déjà prise par la plupart des pays européens et par beaucoup d’autres, comme, par exemple, le Maroc qui a introduit cette mesure dans une réforme de son Code de la famille de février 2004.

Mais il faut aller plus loin.

Beaucoup de mariages des jeunes Françaises d’origine étrangère se passent hors de notre territoire, à l’occasion d’un déplacement estival dans le pays d’origine qui permettra plus facilement de contraindre la jeune fille, fragilisée parce que coupée de son univers habituel et de ses amis, à une union selon le système juridique local. Un des buts essentiels de telles unions est l’accès à la nationalité française.

A l’heure actuelle un consulat français de l’étranger à qui l’on demande la transcription d’un tel mariage ne peut refuser un dossier. En cas de doute sur la sincérité du consentement, il ne peut que le transmettre au procureur. En cas de non-réponse de celui-ci dans un délai de 6 mois ce qui est, du fait de la surcharge des tribunaux, le cas plus fréquent, le mariage sera automatiquement transcrit, permettant ainsi au non-Français d’acquérir quasi automatiquement la nationalité française.

Il faut donc réformer ce dispositif, faire en sorte que le mariage ne puisse être transcrit qu’après accord explicite du procureur, les dossiers suspects étant centralisés sur un seul service spécialisé, permettant ainsi leur traitement plus rapide et efficace et une action éventuelle en nullité pour vice du consentement. Sans doute faudrait-il aussi réformer le mode d’acquisition de la nationalité française en cas de mariage avec un étranger, en augmentant, par exemple, le délai d’attente indispensable et en subordonnant cette acquisition à un décret.

Il faudrait également organiser un dispositif d’aide et de protection de ces jeunes femmes avec, par exemple, un accueil dans des familles ou centres d’hébergement spécialisés.

Il faut développer également la prévention en sensibilisant l’opinion publique, les mairies, les services sociaux et les associations à cette problématique. Mais il faut surtout un vrai changement des mentalités, en commençant par l’éducation et l’information en milieu scolaire.

Il est de notre devoir à tous de nous battre pour mettre fin à cette pratique d’un autre âge.