Juin 22 2005

Adoptions internationales

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà quelques années, l’éminent démographe Louis Fouché avait déclaré que, pour combler le déficit démographique français et financer l’avenir de nos retraites, il était indispensable que les Français adoptent de nombreux enfants, et surtout à l’étranger.

Cette nécessité a pour corollaire une démarche noble et généreuse, celle d’offrir une famille, mais aussi protection et affection à un enfant abandonné, où qu’il se trouve de par le monde. C’est le principe même de l’adoption internationale, une voie empruntée par un nombre croissant de Français, ainsi que l’atteste l’explosion des demandes ces dernières années.

Au vu du nombre important de demandes qui restent insatisfaites – 25 000 familles sont en attente d’un enfant -, force est de reconnaître que nos structures n’ont pas suivi cette évolution et qu’il nous faut les réformer.

Il est également dramatique de constater que, dans certains pays, comme à Madagascar – je m’en étais d’ailleurs inquiétée auprès du ministre des affaires étrangères voilà déjà plusieurs mois -, les adoptions ont été gelées, alors que de nombreuses familles françaises avaient déjà noué des relations avec les enfants qui leur avaient été attribués.

Le chiffre le plus frappant quand on parle d’adoption est sans doute celui qui résulte du décalage entre les 4 000 enfants adoptés à l’étranger par nos compatriotes en 2004 et les 45 000 enfants concernés chaque année par l’adoption internationale. Il faut donc remercier notre collègue député Yves Nicolin pour sa proposition, qui devrait faciliter les procédures et raccourcir les délais dans un objectif « gagnant-gagnant », c’est-à-dire permettre à un plus grand nombre d’enfants d’être adoptés par un plus grand nombre de familles.

Pour atteindre cet objectif, le texte propose plusieurs mesures pertinentes.

Tout d’abord, il harmonise la procédure d’agrément dans les départements, la rendant ainsi plus équitable pour les adoptants et plus claire pour les pays d’origine des adoptés.

La réduction du délai d’instruction des demandes, ramené à neuf mois à partir de l’acceptation du dossier, est appréciable, mais nécessitera de mettre des moyens supplémentaires à la disposition des services d’aide sociale à l’enfance dans les départements où les demandes sont les plus nombreuses. Cela semble être la condition indispensable pour que ce délai, relativement court au regard des pratiques administratives actuelles, soit effectivement tenu.

Ensuite, le doublement de la prime d’accueil et l’élargissement du droit à congé permettront d’améliorer la situation financière des adoptants tout en leur donnant le temps de s’impliquer dans leur projet.

Enfin, l’Agence française de l’adoption, l’AFA, créée sous forme de groupement d’intérêt public et se substituant à la Mission de l’adoption internationale, devrait bénéficier de moyens plus conséquents pour aider les adoptants individuels dans leurs démarches et assumer l’interface avec les organismes étrangers, ce qui suppose un nombre important de relais à l’étranger.

Monsieur le ministre, vous nous avez dit que d’autres améliorations pourraient être apportées à ce processus d’adoption internationale. Je vous en remercie, car c’est indispensable.

J’examinerai les mesures proposées à l’aune des difficultés particulières que rencontrent nos compatriotes résidant à l’étranger, plus enclins encore que nos compatriotes de métropole à recourir, pour des raisons évidentes, à l’adoption internationale. Pour eux, les procédures sont loin d’être évidentes au regard du droit français. Et il n’est pas toujours simple d’apprécier la meilleure voie possible pour l’adoption, selon que nos compatriotes expatriés résident ou non dans un pays signataire de la convention de La Haye de 1993.

Lorsque l’adoptant réside dans un pays signataire de cette convention, il n’a pas le choix et doit s’adresser aux autorités de son pays de résidence. C’est seulement une fois l’adoption obtenue que la procédure de transcription du jugement d’adoption est présentée en France.

Cette procédure, qui ne pose pas de problème de fond, s’avère cependant longue et coûteuse. Les délais de la transcription, m’a-t-on signalé à de très nombreuses reprises, sont souvent plus longs que ceux de l’adoption en elle-même. Le délai d’attente le plus courant est d’un an, le tribunal de grande instance de Nantes, seul compétent pour les adoptions internationales, étant surchargé et manquant de moyens adéquats.

La traduction de tous les documents par un traducteur agréé est exigée, ce qui, en plus des frais occasionnés, suppose de lourdes démarches pour légaliser les pièces fournies au tribunal. L’exemple du Venezuela est significatif à cet égard : l’adoption y est gratuite dans son intégralité mais, paradoxalement, des frais importants doivent être engagés pour satisfaire aux requêtes de l’administration française.

Si l’on veut faciliter les démarches de nos compatriotes de l’étranger, il faut absolument simplifier ces procédures de transcription, éviter d’allonger les délais et d’accroître les coûts. Est-il vraiment nécessaire d’exiger que les traductions soient faites par des traducteurs assermentés alors que, dans le cas de pays de langue largement accessible et pratiquée comme l’espagnol ou l’anglais, une traduction certifiée sincère par le consulat devrait pouvoir suffire ?

Monsieur le ministre, le Gouvernement ne pourrait-il pas, dans son souci affirmé de simplification administrative, faciliter la transcription des jugements d’adoption étrangers, notamment quand ceux-ci émanent de pays signataires de la convention de La Haye ou d’Etats membres de l’Union européenne ?

S’agissant de l’Union européenne, l’harmonisation du droit de l’adoption y est indispensable. Il faut savoir, par exemple, que la transcription en France d’un jugement d’adoption obtenu en Grande-Bretagne est très compliquée, tout simplement parce que les Britanniques ne demandent pas d’engagement à renoncement des parents, tandis que la France l’exige dans sa procédure d’adoption plénière.

J’en viens au cas des Français résidant dans un pays non signataire de la convention de La Haye. Ces derniers se trouvent devant un choix presque cornélien.

Ils peuvent présenter leur demande d’agrément en France, dans un département où ils ont un domicile, en ont eu un ou ont gardé des attaches : ils dépendent alors du dispositif français, avec l’obligation de se déplacer en France pour les besoins de l’enquête sociale si celle-ci ne peut être réalisée sur place par les autorités consulaires.

Une fois l’agrément obtenu, ils n’ont pas toujours la chance d’obtenir de la part du pays de résidence un visa pour leur enfant. Certains Etats ne reconnaissant pas l’agrément français refusent en effet d’octroyer un visa pour l’enfant adopté, ou tout au moins tergiversent très longtemps.

Certaines familles, au Cambodge mais aussi dans d’autres pays, se voient quasiment contraintes de s’installer dans le pays d’origine de l’enfant afin de ne pas en être séparées.

Il s’agit là d’un obstacle totalement dissuasif, qui incite nos expatriés à demander l’agrément plutôt dans leur pays d’accueil. Ils dépendent alors des conditions d’adoption locales et d’un environnement juridique, social et culturel souvent moins favorable. Ils doivent ensuite faire transcrire le jugement d’adoption étranger afin d’obtenir un visa français pour l’enfant.

Dans ce parcours incertain, les adoptants ont besoin de conseils avisés et d’une aide tout au long du processus, aide que la MAI n’a pas toujours été en mesure de prodiguer par manque de personnel, de moyens et, en conséquence, de connaissance approfondie des législations des pays d’accueil de nos ressortissants. Aussi mettons-nous beaucoup d’espoir dans la nouvelle Agence française de l’adoption, dont le rôle sera non seulement de conseiller les candidats individuels résidant à l’étranger mais aussi de les accompagner dans toutes leurs démarches, qu’ils aient choisi de demander l’agrément en France ou dans leur pays d’accueil.

Il est donc important que l’AFA dispose de nombreux correspondants à l’étranger et puisse recruter des référents connaissant bien le droit de l’adoption du pays concerné. Je pense notamment à des parents ayant réussi une adoption ou à des personnalités qualifiées qui seraient désignées par l’ambassadeur après consultation des élus de l’Assemblée des Français de l’étranger de la circonscription.

Dans certains pays, où l’adoption française est particulièrement importante, il semble indispensable d’affecter ou de maintenir une assistante sociale chargée à temps plein des relations entre les adoptants et les organismes compétents.

J’approuve la proposition de notre excellent rapporteur et de la commission des affaires sociales d’associer au groupement d’intérêt public les associations compétentes pour l’adoption. Se priver de leur expérience aurait été une grave erreur, car rien ne vaut de vivre les situations au quotidien pour en apprécier tous les ressorts.

Il serait infiniment souhaitable également, monsieur le ministre, que l’Assemblée des Français de l’étranger soit représentée par un de ses membres au sein du conseil d’administration de l’AFA. Cette présence me paraît indispensable pour permettre à l’Assemblée des Français de l’étranger de prendre conscience des difficultés de nos compatriotes expatriés en ce domaine et pour mettre en place des solutions appropriées.

Afin de faciliter véritablement l’adoption pour nos expatriés dans un pays non signataire de la convention de La Haye, une mesure simple et efficace consisterait à autoriser les ambassadeurs en poste dans ces pays à octroyer eux-mêmes l’agrément, après consultation des comités consulaires pour l’action et la protection sociale. Ces organismes ont d’ailleurs l’habitude de réaliser ou de superviser des enquêtes sociales et pourraient parfaitement assurer le suivi des adoptions, d’autant que la réforme prévoit que les personnels consulaires pourront bénéficier d’une formation renforcée.

Cette suggestion est l’objet de l’amendement que j’ai déposé à l’article 1er de la proposition de loi. Je souhaite évidemment que le Sénat approuve cette mesure favorable aux Français de l’étranger, d’autant plus que celle-ci, techniquement réalisable, serait budgétairement neutre.

Je ne vois en effet que des avantages à une telle mesure : elle contribuerait à décharger certains départements de dossiers qu’ils ont l’impression justifiée de mal contrôler, du fait de l’éloignement des candidats à l’adoption, et la France montrerait ainsi son intérêt à ce que nos ressortissants résidant à l’étranger utilisent de préférence le dispositif français de l’adoption plutôt que les dispositifs étrangers.

Il nous reste par ailleurs à examiner le cas difficile des expatriés « ultramobiles », qui changent de pays tous les deux ou trois ans, un délai trop court pour aboutir à une adoption, ce qui implique des transferts compliqués de dossier ou un redémarrage à zéro de la procédure à chaque mobilité. L’AFA devra également trouver des solutions d’accompagnement pour ces situations.

Enfin, s’agissant du doublement de la prime d’adoption consentie aux familles et de l’extension des droits au congé d’adoption, il faut souligner qu’une fois de plus les Français de l’étranger en sont exclus, du fait du principe de territorialité de nos lois. Il serait malgré tout opportun, à mon avis, d’accorder une aide forfaitaire aux adoptants français expatriés, notamment lorsqu’ils sont déjà bénéficiaires d’aides du ministère des affaires étrangères, comme des bourses scolaires ou des allocations temporaires.

Quant aux congés d’adoption, pour que nos ressortissants détachés par l’Etat puissent en bénéficier, il suffirait d’élargir l’interprétation de la définition de l’ « organisme autorisé pour l’adoption » prévu à l’article L. 122-26 du code de la sécurité sociale, en incluant les autorisations d’adoption données par les organismes officiels des pays parties à la convention de La Haye. Nos personnels résidant à l’étranger qui adoptent un enfant dans leur pays de résidence pourraient ainsi bénéficier de ce congé à l’arrivée de l’enfant, et ce avant que le jugement d’adoption ne soit prononcé en France. Ce n’est pas le cas actuellement, et cette discrimination est très mal comprise.

Les Français de l’étranger, monsieur le ministre, comme l’ensemble de nos compatriotes, sont très attentifs à vos réponses et vous seraient reconnaissants des améliorations que vous pourriez apporter à leur vie quotidienne d’adoptants.

Vous l’aurez compris, je voterai cette proposition de loi, qui améliore le dispositif de l’adoption internationale en fluidifiant les circuits et en clarifiant le rôle de chacun des acteurs ; mais j’ai conscience qu’il nous faudra revenir plus en profondeur sur certains aspects du droit de l’adoption dans notre pays, et réfléchir aux améliorations à lui apporter, s’agissant notamment de la différenciation entre adoption simple et adoption plénière, pratique contraire à celle de beaucoup d’autres pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)