Les retraités titulaires d’une pension civile ou militaire de l’État résidant à la Réunion, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna se voient accorder, depuis les décrets n° 52-1050 du 10 septembre 1952 et n° 54-1293 du 24 décembre 1954, une majoration de leur pension variant entre 35 % et 75 %. Cet avantage, appelé « indemnité temporaire de retraite » (ITR), est connu généralement sous le terme de « surpension ».
Cette proposition de loi vise à fermer, à compter du 1er janvier 2008, l’accès au bénéfice de ces dispositions. Cet objectif n’est pas une préoccupation nouvelle. Celle-ci a déjà donné lieu, on s’en souvient, à des débats passionnés en séance publique, notamment lors de l’examen des projets de loi de finances pour 2005, 2006 et 2007.
Or si, chaque année, l’ensemble des intervenants ainsi que le Gouvernement convenaient aisément que l’existence même des surpensions posait de graves difficultés et entraînait d’importants effets indésirables, il est apparu impossible, sous la précédente législature, de dépasser le stade du diagnostic partagé. Les amendements présentés pour y mettre fin, qu’ils aient été déposés au nom de commissions ou à titre individuel, ont ensuite été systématiquement rejetés par un scrutin public et, in fine, le statu quo a prévalu.
Les auteurs de la présente proposition de loi considèrent indispensable désormais de rouvrir ce débat et de trouver une solution à ce problème lancinant dès le début de la nouvelle législature.
Il convient, en effet, de rappeler que les bénéficiaires de l’ITR sont les fonctionnaires de l’État en poste dans l’une des collectivités concernées avant la liquidation de leur retraite et qui choisissent d’y demeurer. Mais elle s’applique aussi aux fonctionnaires métropolitains qui s’installent outre-mer ou s’y font domicilier pour leur retraite.
Les revenus provenant de cette indemnité bénéficient en outre des régimes fiscaux particuliers applicables outre-mer. Ainsi, à l’exception de la Réunion, collectivité départementale où elle relève du droit commun, la majoration n’est soumise ni à la contribution sociale généralisée (CSG), ni à la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et elle n’est pas imposable sur le revenu, en fonction de dispositions spécifiques qui varient selon le territoire concerné. La seule exigence posée par le décret n° 52-1050 du 10 septembre 1952 porte sur les conditions de résidence, qui doivent être « au moins équivalentes à celles imposées aux fonctionnaires en activité de service ».
Dans son rapport particulier sur les pensions des fonctionnaires civils de l’État d’avril 2003, la Cour des comptes soulignait déjà le caractère « quasi impossible » du contrôle de ce dispositif et procédait à une analyse générale très critique de celui-ci. Elle en concluait qu’» il importe de mettre fin à l’attribution de cette indemnité injustifiée, d’un montant exorbitant et sans le moindre équivalent dans les autres régimes de retraite ».
Les indemnités versées à ces pensionnés outre-mer représentent, pour l’État, un coût élevé et croissant qui a atteint 249 millions d’euros en 2005 et pourrait dépasser 300 millions d’euros en 2007. Entre 1995 et 2005, le nombre des bénéficiaires s’est accru de 87 %. Le montant de l’indemnité dont ils bénéficient, en plus de leur pension liquidée dans des conditions normales, atteignait en 2005 en moyenne 7 545 euros par an. Il s’agit de niveaux très élevés, voire, comme le souligne la Cour des comptes, « totalement exorbitants pour certains territoires » puisqu’ils sont en moyenne largement supérieurs à 10 000 euros par an.
Les auteurs de la présente proposition de loi considèrent plus que jamais que l’existence même du régime de l’indemnité temporaire apparaît triplement inéquitable :
– vis-à-vis de tous les assurés sociaux qui se voient appliquer la réforme des retraites de 2003 ;
– vis-à-vis des assurés sociaux du secteur privé qui n’y ont pas accès par définition ;
– vis-à-vis des fonctionnaires de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane qui, eux non plus, n’en bénéficient pas.
Le rapport de la mission d’audit de modernisation, réalisé conjointement par l’Inspection générale des finances, par l’Inspection générale de l’administration et le Contrôle général des armées, qui a été publié le 10 novembre 2006 par le ministère de l’économie et des finances, a confirmé les critiques formulées, trois ans plus tôt, par la Cour des comptes. Ce document a par ailleurs apporté d’autres éléments nouveaux plaidant en faveur d’une remise à plat urgente du dispositif :
– sur les justifications économiques généralement avancées pour le maintien de ce dispositif (écart de prix avec la métropole, effet sur le PIB des territoires) qui « ne sont pas probantes » ;
– sur « les abus, sinon les fraudes » que peut entraîner le régime actuel qui « a perduré jusqu’à ce jour (…) alors qu’il a perdu tout fondement monétaire ».
En définitive, ce rapport d’audit préconise « l’arrêt immédiat de l’entrée de nouveaux bénéficiaires », ainsi que le lancement d’un processus étalé dans le temps « de résorption du stock » pour les personnes qui disposent de cet avantage. Dans cette perspective, il présente trois options :
– la cessation du droit avec attribution éventuelle d’une allocation de fin d’indemnité temporaire ;
– la résorption naturelle du stock par décès ou départ des bénéficiaires actuels ;
– l’extinction du dispositif dans un délai de trois à cinq ans.
Pour la période transitoire de l’extinction du stock (…), il propose « l’application de deux mesures d’équité pouvant se cumuler : unifier le taux à 35 % pour tous les bénéficiaires ; plafonner le montant annuel de l’indemnité. ».
Face aux coûts croissants que fait supporter aux finances publiques le statu quo sur les majorations de pensions outre-mer, au moment où la préservation des régimes de retraite impose à l’inverse d’importants efforts aux assurés sociaux, la présente proposition de loi vise à procéder à la remise en ordre, trop longtemps différée, de ce dispositif. Sans suivre intégralement les préconisations du rapport d’audit, elle propose de figer la situation actuelle au 1er janvier 2008, en fermant l’accès à l’indemnité temporaire à compter de cette date et en renforçant les modalités de contrôle à l’égard des bénéficiaires actuels.
Au surplus, les auteurs de la présente proposition de loi considèrent que l’existence de fraudes pratiquées par des métropolitains se faisant domicilier fictivement dans ces territoires contrevient à l’esprit de la réforme des retraites de 2003 et porte atteinte à l’image même de l’outre-mer.
Ils souhaitent vivement que les économies réalisées par la mise en extinction de cette mesure hautement contestable permettent de dégager des moyens nouveaux pour satisfaire les besoins sociaux bien réels de l’outre-mer. On notera par exemple que l’enveloppe budgétaire destinée au logement social outre-mer est presque deux fois moindre que le montant aujourd’hui accordé à ces majorations de pension…