Fév 22 2008

Restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections

La présente proposition de loi vise à permettre la restitution à leur pays d’origine des têtes maories qui font actuellement partie des collections publiques des musées de France. Elle est une réponse aux difficultés juridiques qui ont suivi la décision – la première en France – prise par la Ville de Rouen, en octobre 2007, de remettre aux autorités néo-zélandaises une tête humaine tatouée et momifiée conservée en dépôt depuis 1875 dans les collections du Muséum municipal d’Histoire naturelle.

Les têtes maories, encore dispersées dans les musées européens et aux États-Unis, ont une histoire qui rappelle les pires heures du colonialisme. En effet, lors de la colonisation de la Nouvelle-Zélande, les Européens se passionnent pour ces têtes humaines tatouées, tradition du peuple maori, qu’ils considèrent comme des objets de curiosité et de collection. Les collectionneurs privés se lancent dans de véritables « chasses aux têtes », à la recherche des plus beaux spécimens, qui font l’objet d’un commerce barbare. En vue de satisfaire la demande européenne, les tatouages de tête, initialement réservés aux chefs guerriers, concernent également les esclaves qui sont ensuite décapités pour faire l’objet d’échanges. Afin de mettre fin à ce marché sordide, le gouvernement britannique fit voter une loi en 1831, interdisant l’exportation de ces têtes vers l’Australie, plaque tournante de cet odieux trafic.

Depuis une vingtaine d’années, à la demande de la Nouvelle-Zélande, et par respect des traditions maories, les têtes ont été retirées des expositions au public en Europe. Elles sont actuellement conservées dans les réserves des musées. Le gouvernement néo-zélandais mène également une vaste campagne pour obtenir le retour de restes humains maoris emportés par les colons européens comme trophées.

La décision prise par le conseil municipal de Rouen de restituer à son pays d’origine cette tête maorie, afin qu’elle puisse être inhumée de façon digne et respectueuse des coutumes de ce peuple, est fondée sur quatre critères déterminants :

– que le pays d’origine d’un peuple contemporain ait formulé la demande de restitution de ce bien ;

– que celui-ci ne fasse pas l’objet de recherches scientifiques ;

– qu’il ne soit pas destiné à être exposé ni conservé dans des réserves dans le pays d’origine mais qu’il soit inhumé ;

– qu’il soit issu d’actes de barbarie ayant entraîné la mort.

En outre, cette décision est conforme à la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 septembre 2007. Dans ses articles 11 et 12, elle enjoint les États à accorder réparation aux peuples autochtones par le biais notamment de la restitution des biens culturels, intellectuels, religieux et spirituels qui leur ont été pris sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, ou en violation de leurs lois, traditions et coutumes. L’article 12 précise que « les États veillent à permettre l’accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement (…) ».

Les têtes maories sont bien les vestiges d’une époque où des théories pseudo scientifiques légitimant la supériorité d’une race sur d’autres supposées inférieures justifiaient des pratiques attentatoires à la dignité humaine. Elles répondent aux critères définis par les Nations Unies car ce sont des objets constitués en pièces culturelles suite à une pratique ignoble.

Toutefois, cette décision a suscité un débat sur le régime juridique applicable à ces biens, en des termes quasi identiques à celui soulevé au moment de la demande de restitution, par la République sud-africaine, de la dépouille mortelle de Saartjie BAARTMAN, dite Vénus Hottentote, conservée dans les collections du Musée de l’Homme.

À l’initiative de notre collègue Nicolas ABOUT, le Parlement était alors intervenu en votant une loi1(*) permettant de sortir la Vénus Hottentote des collections publiques et de restituer sa dépouille à l’Afrique du Sud, afin de mettre ainsi un terme aux atermoiements et incertitudes juridiques quant au statut de ces restes humains.

Face à une situation similaire, il apparaît nécessaire d’autoriser, par la présente proposition de loi, la restitution des têtes momifiées conservées dans les musées de France au peuple maori, qui en a fait expressément la demande, afin d’offrir à leurs ancêtres une sépulture conforme à leur tradition et respectueuse de leur culture. De nombreux musées américains, australiens et européens (plus de quarante d’entre eux), ont déjà répondu favorablement à cette demande légitime : la France fait d’ailleurs exception dans ce mouvement général.

Si cette proposition de loi règle la situation particulière des têtes maories, il n’en demeure pas moins qu’une réflexion approfondie doit être engagée dans les plus brefs délais sur le statut des biens issus du corps humain, qui, de par leur spécificité, ne peuvent être considérés comme des biens culturels comme les autres, c’est-à-dire appartenant au domaine public et, de ce fait, inaliénables.

Au moment des débats précédant l’adoption de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, le rapporteur au nom de la commission des Affaires culturelles du Sénat, M. Philippe RICHERT, avait invité les responsables des musées à définir des critères pour encadrer d’éventuels déclassements d’oeuvres des collections publiques, dans le cadre d’une procédure spécifique et après avis conforme d’une commission nationale scientifique, instituée par un amendement sénatorial.

De tels critères, qui n’ont toujours pas été définis par cette commission, permettraient de préciser les conditions dans lesquelles le principe d’inaliénabilité pourrait ne pas s’appliquer aux biens issus de restes humains, tout en veillant à garantir l’intégrité des collections publiques des musées de France et sans porter d’atteinte injustifiée à notre patrimoine national.

Cette proposition de loi peut être consultée ici.