En tant que rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la problématique des mineurs étrangers isolés est essentiellement apparue à la fin des années quatre-vingt-dix. Malgré l’absence de statistiques réellement fiables, on a alors constaté une très forte augmentation du nombre de mineurs étrangers isolés sur notre territoire.
Ces enfants sont essentiellement roumains, mais aussi chinois, afghans, maliens ou roms originaires des territoires de l’ex-Yougoslavie. Tous ont quitté leur pays, en quête d’avenir dans un Occident largement idéalisé. Certains ont choisi de partir, d’autres y ont été poussés par les circonstances, d’autres encore sont victimes de filières d’exploitation qui organisent une véritable traite des enfants.
Complice ou victime, leur famille ne remplit souvent plus son rôle de protection. Vulnérables face aux réseaux qui les exploitent, exposés à un basculement dans la délinquance ou la prostitution, ces mineurs représentent un défi pour nos valeurs. Comment concilier l’impératif du respect de la loi et celui de la protection de l’enfance ?
Les premiers éléments de réponse se trouvent d’abord sur notre territoire, même si pour ma part je suis profondément convaincue, et j’y reviendrai, que c’est surtout à l’échelle européenne que nous trouverons les solutions les plus efficaces.
Sur notre territoire, il est bien sûr essentiel d’établir le contact avec ces mineurs et de faire naître – ou renaître – une confiance à l’égard des adultes et des institutions souvent anéantie. Les associations, dont je tiens à saluer le travail, sont certainement les mieux à même d’intervenir à ce stade : elles doivent être mobilisées et soutenues dans les contacts qu’elles ont sur le terrain avec ces jeunes.
Mais les institutions ont également un rôle à jouer.
Face à l’ampleur et à la complexité du phénomène des mineurs étrangers isolés, le ministre de l’immigration et de l’intégration, M. Éric Besson, a mis en place un groupe de travail interministériel spécifiquement consacré à ce sujet, auquel participent tous les acteurs – associations, conseils généraux, ministères de la justice et des affaires sociales, défenseure des enfants.
Ce groupe de travail a rendu ses premières conclusions en novembre dernier. Certaines de ses recommandations sont déjà en train d’être mises en œuvre, avec notamment la construction d’une aire dédiée aux mineurs étrangers à l’intérieur de la zone d’attente de Roissy, un taux de couverture de 99 % des mineurs étrangers isolés se présentant à Roissy par des administrateurs ad hoc, la mise en place d’outils statistiques fiables, l’élaboration d’une nouvelle méthode de détermination de l’âge, plus probante que celle par examen osseux, et un dispositif permettant l’attribution d’un titre de séjour aux mineurs isolés atteignant l’âge de leur majorité.
Un projet de loi a été présenté en conseil des ministres par M. Éric Besson le 31 mars dernier et devrait être soumis au Parlement dans le courant du second semestre de 2010. Je précise que la mise en œuvre de ce dispositif interministériel se poursuit actuellement avec l’association de magistrats indépendants et les conseils généraux – eux aussi indépendants, je le rappelle.
La présence de ces jeunes mineurs est un défi constant. Il nous faut clarifier les rôles entre l’aide sociale à l’enfance et la protection judiciaire de la jeunesse, prévoir des structures d’accueil plus adaptées que ces foyers d’où l’on fugue à peine arrivé et dans lesquels les réseaux retrouvent sans difficulté ceux qui ont pu leur échapper et parfois même les dénoncer.
Disons les choses clairement : ces jeunes, avant d’être des délinquants, sont des enfants, que nous avons le devoir de protéger en luttant plus résolument contre les réseaux maffieux qui les exploitent.
En effet, la menace que représentent ces réseaux, ce n’est pas seulement le séjour irrégulier sur le territoire ou les menus larcins, par ailleurs très lucratifs, perpétrés sur les parcmètres ou dans le métro parisien, c’est aussi et surtout la traite et l’exploitation des mineurs, en particulier la prostitution.
La réponse au phénomène des mineurs étrangers isolés se trouve aussi dans le pays d’origine et dans le renforcement de la coopération bilatérale, en particulier lorsque le pays en question, à l’image de la Roumanie, est membre de l’Union européenne et répond donc aux standards européens en matière de protection de l’enfance.
C’était l’objet de l’accord franco-roumain, signé le 4 octobre 2002 par notre collègue Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français.
Cet accord prévoyait le repérage, la protection du mineur sur le sol français et son raccompagnement dans son pays d’origine, sur décision du juge des enfants.
Surtout, un dialogue bilatéral interministériel avait été mis en place avec l’installation d’un groupe de liaison opérationnel, dit GLO, instance de coopération policière et judiciaire, mais aussi d’examen de toute question de nature à renforcer la coopération entre les deux pays s’agissant des mineurs.
C’est notamment grâce à ce groupe de travail que la Roumanie a vu sa situation évoluer : elle a adopté une loi de protection de l’enfance, modernisé la justice des mineurs et démantelé ses structures d’accueil héritées de l’ère Ceausescu, de sinistre réputation. C’est tout le système roumain de protection de l’enfance qui a été très sensiblement amélioré, comme j’ai pu moi-même le constater lors d’un déplacement dans ce pays en février dernier et au travers de mes contacts avec les autorités, les associations chargées de l’enfance et la ministre roumaine de la justice.
C’est cet accord, conclu pour une durée de trois ans et arrivé à expiration en février 2006, que le projet de loi que nous examinons aujourd’hui tend à renouveler.
Le nouvel accord, signé en février 2007, et qui a donné lieu à un projet de loi en date du 27 août 2008, reprend pour l’essentiel les termes de l’accord de 2002 en faisant une plus large place aux autorités roumaines dans la procédure de retour. Ce texte a été négocié sur la base des recommandations du groupe de liaison opérationnel franco-roumain. Il vise à mieux protéger ces mineurs ainsi qu’à accélérer la procédure de retour si l’enfant se trouve en danger et si la Roumanie fait la demande de rapatriement. L’accord de 2002 confiait au seul juge des enfants la responsabilité d’autoriser le rapatriement du mineur, ce qui entraînait des délais préjudiciables à ce dernier.
L’article 4 du nouvel accord modifie la répartition des pouvoirs entre le siège et le parquet en prévoyant que le parquet des mineurs peut faire droit à une demande de rapatriement du mineur émanant des autorités roumaines. L’intervention du juge des enfants reste possible, mais elle n’est plus systématique.
Cet article 4, intitulé « Plan de mesures : prise en charge et organisation du retour en Roumanie, accueil en Roumanie », est celui qui a suscité le plus de débats et d’interrogations, aussi bien sur le plan des principes que sur le plan opérationnel.
Je dois vous avouer que, à titre personnel, cette modification m’avait interpellée. Il me paraissait a priori souhaitable de maintenir autant que possible l’intervention du juge des enfants, afin que celui-ci sollicite les investigations nécessaires sur la situation du mineur isolé ainsi que celle de sa famille et qu’il recueille son consentement, pour que le retour soit fondé sur un véritable projet de réinsertion.
J’ai d’ailleurs écrit au garde des sceaux en ce sens. J’aurais en effet souhaité que le ministre de la justice veille, lors de la mise en œuvre de cet accord, à ce que les procureurs généraux et les procureurs de la République incitent les parquets des mineurs à saisir systématiquement le juge des enfants, dès lors que l’intérêt supérieur de ces derniers le commande.
Mais nous devons aussi, mes chers collègues, nous montrer responsables face à une situation de danger pour ces enfants. Le recours au dispositif de retour des jeunes Roumains vers leur pays d’origine doit être encouragé chaque fois que ce retour peut permettre une meilleure protection des enfants. Ainsi, en 2005, seulement 54 mineurs roumains sont repartis dans leur pays.
Les nouvelles dispositions de cet accord visent à renforcer l’identification et la protection des mineurs roumains isolés, victimes ou auteurs d’infractions pénales, en difficulté sur le territoire français, et, le cas échéant, à mieux assurer leur protection et leur réintégration en Roumanie par un échange d’informations sur leur situation et un suivi renforcé de leur réintégration sociale.
Le texte prévoit désormais que « si le Parquet des mineurs ne saisit pas le juge des enfants, il peut, dès réception de la demande roumaine de raccompagnement, la mettre à exécution, s’il estime, eu égard notamment aux données fournies par la partie roumaine, que toutes les garanties sont réunies pour assurer la protection du mineur. […]
« Si le mineur n’est plus localisé à réception de la demande, le parquet sollicite son inscription au fichier système d’information Schengen (SIS). En cas de découverte ultérieure, la mesure est mise à exécution par le Parquet des mineurs territorialement compétent, si les informations obtenues sur la situation du mineur, notamment de la Partie roumaine, sont suffisantes et ne datent pas de plus de 12 mois. »
Deux points doivent être soulignés.
D’une part, l’esprit de ces nouvelles dispositions n’est pas de soustraire l’ensemble des mineurs roumains non accompagnés sur le territoire français au bénéfice des mesures de protection dont ils pourraient relever en les rapatriant massivement vers la Roumanie, sans se soucier de leur situation personnelle et familiale. Il est au contraire de mieux assurer la protection des mineurs et de favoriser, si cela est possible, le retour dans leur pays.
D’autre part, les dispositions de cet accord ne peuvent en aucun cas contrevenir aux règles qui prohibent l’expulsion des mineurs du territoire national vers un autre État et qui disposent que le rapatriement ne peut se faire qu’avec l’assentiment du mineur. C’est là le droit commun ; il n’a pas été rappelé dans les accords, que ce soit dans le texte de 2002 ou dans celui de 2006.
Je rappelle que l’article 11 de la Convention relative aux droits de l’enfant incite les États parties à prendre des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger et à favoriser la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux ou l’adhésion aux accords existants. Son article 9 confie également aux États parties le soin de veiller « à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Cet accord s’inscrit donc dans le cadre juridique régissant la mise en œuvre de l’assistance éducative en droit français, sans le modifier.
En cas d’urgence, le parquet est compétent pour prendre les mesures qui s’imposent afin d’assurer la sauvegarde de la sécurité, de la santé et des conditions d’éducation des mineurs en danger.
Dès qu’un juge des enfants est saisi, il demeure compétent pour assurer le suivi des mineurs en assistance éducative : adaptation des mesures, modification ou prolongation, etc. La mention « si le juge des enfants est saisi » figurant à l’article 4 regroupe en effet les deux hypothèses : le parquet, intervenant en urgence, saisit le juge des enfants, ou le juge des enfants est déjà saisi dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative.
À ce titre, le parquet est le pivot du dispositif de prise en charge des mineurs dans le cadre de l’urgence. Sa saisine dans ce cadre permettra de donner une cohérence à l’action de la justice et d’assurer une interface avec les différentes institutions concernées : GLO, autorités roumaines, autorités françaises, juge des enfants.
L’accord permettra au parquet de solliciter très vite des autorités roumaines une enquête sociale ou de procéder au raccompagnement du mineur, notamment lorsqu’il s’agit de mettre celui-ci à l’abri des réseaux qui l’exploitent et qu’il souhaite lui-même revenir le plus rapidement possible auprès de sa famille.
La procédure prévue en matière de retour des mineurs isolés dans leur pays d’origine ne saurait par ailleurs s’assimiler à une procédure d’expulsion déguisée de mineurs délinquants, sous l’autorité du parquet et sans leur consentement.
Je reste profondément persuadée que la question de la protection des mineurs isolés nécessite une coopération à l’échelon de l’Union européenne.
En effet, la France n’est pas le seul pays de l’Union européenne confronté à ce phénomène. D’après certaines estimations, plus de 100 000 enfants non accompagnés seraient présents sur le territoire des vingt-sept États membres.
Or, dans un espace de libre circulation des personnes, le risque existe de voir ces mineurs revenir à nouveau sur le sol français quelques semaines plus tard, si les conditions qui les ont conduit à quitter leur pays demeurent.
Cela concerne en particulier les jeunes Roms, qui représentent une véritable difficulté et un défi pour l’Europe entière. Il n’est pas certain que la Roumanie, qui n’est pas, tant s’en faut, le seul pays concerné, comme j’ai pu le constater lors d’un déplacement en Albanie, soit mieux armée que nous pour faire face à ce phénomène.
La « troïka » des présidences espagnole, belge et hongroise de l’Union européenne vient d’ailleurs d’adopter une déclaration commune sur l’intégration des Roms, notamment grâce à l’utilisation de fonds structurels, lors du sommet organisé par la présidence espagnole à Cordoue, les 8 et 9 avril derniers. Toujours sur l’initiative de la présidence espagnole, la Commission européenne a présenté hier un plan d’action concernant les mineurs étrangers isolés en Europe.
À terme, seule une approche concertée et coordonnée entre les États membres permettra de répondre aux enjeux liés à ce phénomène des mineurs étrangers isolés. C’est ensemble que nous parviendrons à construire, par le renforcement de nos instruments de lutte contre la délinquance et le démantèlement des réseaux d’exploitation, une politique intégrant une approche humaine à l’égard d’étrangers qui sont avant tout des enfants nécessitant une protection.
Dans l’attente de la mise en œuvre de ce plan d’action, la coopération bilatérale menée ces dernières années entre la Roumanie et plusieurs pays européens, comme l’Espagne ou l’Italie, qui ont conclu des accords similaires à celui qui a été signé par la France, constitue une absolue nécessité.
En conclusion, cet accord est essentiel pour que nous puissions enfin renforcer la coopération entre la France et la Roumanie sur ce dossier sensible. Cette coopération suscite une très forte attente des autorités roumaines, qui n’ont cessé d’insister sur l’impatience avec laquelle elles attendaient la ratification de l’accord et sur leur incompréhension devant les réticences parfois exprimées sur nos travées.
Ainsi, la ratification de cet accord permettra de relancer le groupe de liaison opérationnel, qui avait permis des progrès très importants en matière de protection de l’enfance en Roumanie, s’agissant par exemple de la qualité des enquêtes sociales.
En l’absence de ratification de l’accord, les échanges d’informations, la coopération et le rapatriement des mineurs sont actuellement bloqués. C’est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et à la lumière des éléments apportés dans ce débat par M. le secrétaire d’État et par moi-même, de bien vouloir adopter ce projet de loi. Il y va de l’intérêt de ces enfants, qui, comme le veut la Convention relative aux droits de l’enfant, doivent pouvoir retourner en toute sécurité dans leur pays. Ils ont besoin d’une famille et ils ont besoin de protection. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)