Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi a le mérite de soulever indirectement une vraie question, cruciale pour l’avenir de notre démocratie et pour celui de la construction européenne. La faible participation aux élections européennes est un fléau qui mine d’année en année la légitimité de nos institutions communautaires. Nous nous devons d’y remédier, sous peine de voir l’euroscepticisme s’accroître encore, aux dépens de la vision généreuse des pères fondateurs de l’Union européenne.
L’élection au suffrage universel des représentants au Parlement européen, décidée en 1979, avait contribué à renforcer l’implication des citoyens dans le processus de construction européenne.
Mais, depuis, le taux de participation a dramatiquement chuté. La présence de candidats parfois peu connus pour leur engagement ou leur compétence sur le plan européen, la perception d’une emprise totale des appareils politiques sur la constitution de ces listes ont nourri le désintérêt des électeurs.
Pour faire face à cette crise, en 2003, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a mis fin à la circonscription nationale unique. La création de huit euro-circonscriptions, en renforçant l’ancrage territorial des élus, a constitué un progrès en termes de rapprochement entre élus et citoyens.
Mais cette réforme est insuffisante. D’abord, elle n’a pas permis de rétablir un taux de participation satisfaisant. Surtout, elle a privé de voix politique plus de deux millions et demi de ressortissants français : je veux bien sûr parler des Français de l’étranger. En effet, sur les huit circonscriptions nouvellement créées, sept représentent la métropole et une, l’outre-mer. Rien n’est prévu pour les Français de l’étranger.
J’avais bien évidemment tiré la sonnette d’alarme, notamment par voie de presse puisque je n’étais pas alors, hélas ! parlementaire.
Alors que les expatriés pouvaient, jusqu’à 2003, voter dans les consulats, ils ne peuvent désormais voter pour des candidats français que dans leur commune d’origine, soit en s’y déplaçant en personne, soit par procuration. À l’évidence, se déplacer est une option inenvisageable pour la plupart d’entre eux. Quant au vote par procuration, il suppose une dépersonnalisation de l’acte électoral, peu propice à la participation.
Certes, les Français qui résident dans un pays de l’Union européenne ont la possibilité de voter dans leur pays de résidence. Mais la perspective de désigner un représentant du pays d’accueil plutôt qu’un représentant français n’est pas des plus motivantes, en particulier pour ceux dont l’expatriation n’est que temporaire.
Surtout, un certain nombre de difficultés matérielles liées à la mauvaise prise en compte de la double inscription sur des listes françaises et sur des listes locales, dont j’avais pu me faire le relais lors des élections de 2009, sont toujours susceptibles de priver au dernier moment nos compatriotes de leurs droits.
La régionalisation du scrutin a donc contribué à distendre le lien entre nos compatriotes établis à l’étranger et les instances européennes. Paradoxalement, ce sont les Français les plus concernés par les questions européennes qui se voient privés de droit de vote.
Les Français de l’étranger, cela a été rappelé, avaient voté à plus de 80 % aux référendums européens. La confiscation de leur suffrage aux élections européennes est d’autant plus incompréhensible que le scrutin européen de 1979 avait justement été le premier auquel ils avaient pu participer à l’étranger.
Le Président Nicolas Sarkozy a fait faire d’énormes progrès aux Français de l’étranger en leur accordant, notamment, une représentation à l’Assemblée nationale dès 2012.
Il est dommage de s’arrêter en si bon chemin et paradoxal que les Français de l’étranger puissent avoir onze élus à l’Assemblée nationale, douze au Sénat, et qu’ils n’aient pas un seul représentant au Parlement européen, alors qu’ils sont les premiers acteurs au quotidien de la construction européenne.
Idéalement, il aurait fallu créer, me semble-t-il, un plus grand nombre de circonscriptions, l’une d’entre elles étant réservée aux Français de l’étranger, y compris à ceux résidant hors d’Europe.
Dès 1997, Michel Barnier avait proposé la délimitation de vingt et une circonscriptions dont l’une aurait représenté les Français de l’étranger. En 2001, notre collègue Hubert Haenel s’était également prononcé en faveur d’une circonscription spécifique. J’ai moi-même proposé il y a quelques mois que les deux sièges supplémentaires attribués à la France pour le Parlement européen grâce à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne reviennent aux représentants des Français de l’étranger. Aucune véritable décision n’a été prise en la matière, et une décision positive serait, me semble-t-il, aussi opportune que légitime.
Faute de pouvoir obtenir dans un avenir proche une circonscription spécifique, j’ai cosigné la proposition de loi de notre collègue Christian Cointat relative à la participation des Français de l’étranger aux élections au Parlement européen, qui vise à rattacher ces derniers à la circonscription d’Île-de-France. Cette solution aurait l’avantage de pouvoir être rapidement mise en place. Mes chers collègues, la représentation des Français de l’étranger au Parlement européen constitue en effet une urgence !
La vision des pères fondateurs de l’Europe était celle d’une circonscription unique non pas nationale, comme celle qui est défendue dans la présente proposition de loi, mais transnationale, qui supposait une convergence des mentalités et des politiques dont nous sommes malheureusement encore très loin.
La solution hybride d’une circonscription unique nationale apporte de fausses réponses à un vrai problème. Pour donner un nouvel élan à la participation électorale aux élections européennes, il importe de renforcer l’ancrage local des élus. Alors que les Français de l’étranger ont besoin d’être représentés, la liste unique n’a jamais permis l’élection d’un représentant des Français de l’étranger au Parlement européen.
C’est pourquoi je ne voterai pas pour cette proposition de loi.