Août 27 2010

Interview pour l’UNICEF sur les mineurs roumains présents en France

Comment répondre à la situation des mineurs roumains seuls sur le territoire français ? Le Sénat a adopté en première lecture, en juin 2010, des Accords Franco-roumains, qui provoquent de nombreuses réactions au sein des ONG de terrain. Interview avec Joëlle Garriaud-Maylam, la sénatrice rapporteure du texte au Sénat.

Le 27 août 2010

Quelles conséquences aura, selon vous, la suppression de l’enquête sur l’environnement familial en Roumanie, pour les mineurs concernés? Et la suppression du suivi de ces mineurs après leur retour en Roumanie ?

Le projet de loi qui vient d’être adopté au Sénat ne vise pas à supprimer purement et simplement les enquêtes sociales et le suivi des mineurs. Vous savez d’ailleurs que je me bats depuis longtemps pour le renforcement du dispositif de protection de l’enfance en France, et vis-à-vis de nos compatriotes résidant à l’étranger et que j’attache une grande importance aux mesures permettant un meilleur suivi des mineurs en difficulté, quelle que soit leur nationalité.

Le retour du mineur roumain nécessitera toujours une enquête sociale préalable à tout rapatriement, mais celle-ci sera menée aux termes de la loi roumaine. Le nouvel accord ne supprime donc pas de garanties en matière de protection de l’enfance : il ne fait que transférer un certain nombre de responsabilités à la partie roumaine, ce qui paraît légitime étant donné les progrès réalisés par ce pays, membre de l’Union européenne.

Il faut reconnaître que le délai de quatre mois prévu pour l’élaboration du projet de retour sur la base d’une enquête sociale était trop long pour certains des jeunes concernés – je pense en particulier à ceux prisonniers de réseaux d’exploitation.

Surtout, il me semble tout à fait positif que cet accord renforce significativement le rôle de la Roumanie dans la gestion du problème des mineurs roumains isolés sur le territoire français. Cette volonté d’appuyer la Roumanie dans sa volonté de mieux appréhender ce phénomène, notamment dans ses dimensions sociales, me semble absolument essentielle. Seule une coopération étroite entre les États membres de l’Union européenne peut permettre de répondre aux enjeux liés à ce phénomène des mineurs étrangers isolés, souvent menacés par des réseaux d’exploitation transnationaux, tirant parti de l’espace de libre-circulation des personnes. En outre, les négociations préalables à cet accord et la formation d’un groupe de travail ont largement contribué à moderniser le dispositif roumain de protection de l’enfance, par exemple en matière de qualité des enquêtes sociales. La législation roumaine prévoit désormais un suivi renforcé des mineurs qui sont retournés dans leur pays, pendant une durée d’au moins six mois, ainsi que l’information des autorités françaises sur leur situation. Un tel renforcement de la coopération franco-roumaine fait écho aux articles 9 et 11 de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui incitent respectivement à la conclusion d’accords bilatéraux ou multinationaux, et à limiter les cas de séparation des enfants d’avec leurs parents.

L’initiative du renvoi sera prise par le parquet et non par le juge des enfants : l’intérêt supérieur de l’enfant est-il menacé par ce changement?

Le nouvel accord prévoit effectivement que le parquet des mineurs puisse faire droit à une demande de rapatriement du mineur émanant des autorités roumaines. L’intervention du juge des enfants ne sera donc plus systématique, mais demeurera possible.

Cette disposition a été adoptée pour réduire les délais de traitement des dossiers. Le processus de décision par le juge des enfants entraînait des délais parfois préjudiciables à l’intérêt des mineurs concernés. A titre personnel, je regrette un peu cette décision car l’intervention du juge des enfants dans la procédure me semble être gage d’efficacité et de respect de l’intérêt supérieur des enfants. L’intervention du Juge des Enfants aurait sans doute facilité l’inscription du retour du mineur dans son pays dans un véritable projet d’insertion, en apportant des informations quant à la situation du mineur et de sa famille et en recueillant le consentement du jeune concerné. J’avais d’ailleurs présenté ma position à la secrétaire d’Etat à la justice roumaine, qui s’était montrée ouverte à une modification du texte de la convention en ce sens. J’avais aussi demandé à notre Garde des Sceaux que les procureurs incitent les parquets des mineurs à saisir le juge des enfants de manière systématique.

Néanmoins, en pratique, les conséquences de cette modification seront marginales. L’intervention du parquet en matière de protection des mineurs existait déjà en droit interne, en vertu de l’article 375-5 du code civil, en cas d’urgence, même si le Juge des Enfants était amené ensuite à confirmer la décision du parquet dans un délai de huit jours. De plus, le parquet devra confier rapidement les cas dont il sera saisi aux autorités roumaines qui diligenteront alors une enquête sociale. Le consentement des mineurs sera également recueilli. Le nouveau rôle imparti au parquet ne transforme donc pas la procédure de retour des mineurs isolés en expulsion déguisée.

De fait, je suis persuadée que le juge des enfants sera dans la plupart des cas amené à intervenir dans la procédure, dans la mesure où la réalisation de l’enquête sociale en Roumanie, préalable indispensable au rapatriement des mineurs, ne pourra souvent pas être effectuée dans des délais raisonnablement brefs. L’intervention du juge des enfants peut relever d’une saisine en urgence par le parquet ou peut s’inscrire dans le cadre d’une procédure d’assistance éducative préexistante.

Dans ces conditions, le nouvel accord ne me semble pas amener à une régression en matière de protection de l’enfance. D’autant qu’il s’inscrit dans un cadre juridique général interdisant notamment l’expulsion de mineurs vers un autre Etat sans leur assentiment. L’esprit de ce nouvel accord n’est pas de rapatrier massivement et contre leur gré les jeunes mineurs roumains en détresse sur le territoire français, mais bien de favoriser leur protection et leur réintégration dans leur pays. Je serai en tous cas particulièrement vigilante quant aux modalités de sa mise en œuvre.

Cet accord France- Roumanie pourrait-il, selon vous, être le premier d’une série avec d’autres pays ?

Le problème des mineurs isolés sur le territoire français concerne également d’autres nationalités. De jeunes afghans, kurdes, chinois ou africains s’inscrivent dans des problématiques similaires à celles des mineurs roumains isolés. Toutefois, un accord analogue me semble impossible, étant donnée la nature des politiques de protection de l’enfance de ces pays. Ce qui a rendu l’accord franco-roumain possible, c’est bien l’évolution de la situation en Roumanie, dans le cadre de son processus d’adhésion à l’Union européenne. En quelques années, le pays a largement fait preuve de sa volonté et de sa capacité à réformer les structures de protection de l’enfance héritées de l’ère de Ceausescu. Il n’est pas question de conclure des accords avec des Etats ne présentant pas toutes ces garanties.

En revanche, l’accord franco-roumain a fait des émules parmi nos partenaires européens, puisque l’Italie et l’Espagne ont également renforcé leur coopération avec la Roumanie dans ce domaine. Ceci me semble tout à fait significatif, car le problème des mineurs isolés affecte également les autres pays de l’Union. Plus de 100 000 mineurs non accompagnés seraient présents sur le territoire européen.

Ce texte résout-il les problèmes rencontrés par les mineurs étrangers isolés d’origine roumaine ? Pour quelle autre « solution » plaideriez-vous ?

Je voudrais d’abord souligner que l’objectif premier de ce texte n’est pas la reconduite à la frontière des mineurs roumains isolés, mais vise avant tout à améliorer l’arsenal législatif pour mieux protéger ces enfants particulièrement vulnérables, proie facile pour les réseaux maffieux les contraignant à mendier, voler ou se prostituer. En cela, il constitue un pas sensible dans la bonne direction.

Il faut garder à l’esprit qu’il n’existe pas de solution unique à un problème unique, mais une diversité de situations quant aux causes du départ pour la France, aux conditions de vie sur notre territoire, à l’insertion ou non dans des réseaux mafieux, ou aux relations entretenues avec les proches restés en Roumanie. C’est pourquoi le placement de ces mineurs dans des structures d’accueil françaises n’est pas toujours la meilleure solution. Dans certaines situations, et sous réserve de son consentement, le retour au sein de sa famille dans son pays d’origine répond à l’intérêt supérieur de l’enfant. Le texte qui a été adopté offre un cadre général de coopération facilitant l’examen au cas par cas de situations.

Bien sûr, cet accord n’est pas la panacée. Pour mieux résoudre les problèmes rencontrés par les mineurs isolés d’origine roumaine, comme par ceux d’autres nationalités, il importe de renforcer notre dispositif général de protection de l’enfance. Comme je le soulignais dans l’hémicycle du Sénat il y a près d’un an, l’application de la loi de 2007 sur la protection de l’enfance à l’échelon des conseils généraux est encore trop inégale. La formation des professionnels appelés à interagir avec ces jeunes et la récolte de données fiables sur ces problèmes doivent encore être améliorées. A travers le prisme des mineurs roumains isolés, c’est la politique de protection de l’enfance dans toute sa globalité qui est en jeu. La France a besoin d’une stratégie nationale de l’enfance qui soit transversale, et résolument constructive plutôt que répressive.