Nov 15 2011

Audiovisuel extérieur. Les recommandations de mon rapport budgétaire.

J’ai présenté cet après-midi devant la commission des affaires étrangères, avec mon collègue co-rapporteur Yves Rome, notre rapport pour avis sur le budget accordé à l’audiovisuel extérieur (AEF) au titre de la loi de finances 2012. Suite au changement de majorité au Sénat, il a été décidé que tous les rapports budgétaires seraient dorénavant établis en binômes, avec un rapporteur de la majorité et un autre de l’opposition. Mon co-rapporteur Yves Rome est ainsi un sénateur PS, président du Conseil général de l’Oise et ancien député. Si nous avons travaillé en parfaite collaboration et que nos analyses étaient très proches sur beaucoup de points, nos votes ont été différents, Yves Rome appelant à un rejet du budget de l’audiovisuel extérieur.

J’ai quant à moi émis un avis favorable au vote de budget, dans la mesure où il me semble plus judicieux de laisser à la réforme en cours le temps de produire ses effets plutôt que de procéder à un nouveau bouleversement institutionnel.

De plus, l’arrêt de l’augmentation des crédits accordés à l’AEF me paraît légitime et raisonnable, d’une part parce qu’il est de notre devoir de répondre à la crise par des restrictions budgétaires, chaque fois que nous le pourrons, et d’autre part parce que cette diminution des financements était anticipée. Elle était aussi logique, l’institution devant entrer aujourd’hui dans un rythme de croisière après plusieurs années d’investissements très importants liés au lancement de France 24.

J’ai toutefois tenu à émettre un certain nombre de réserves d’ordre budgétaire, organisationnel et stratégique.

– Du point de vue budgétaire, comme l’a aussi souligné l’Inspection générale des finances (IGF), il importe que l’AEF parvienne à augmenter ses recettes propres, même si cela n’est guère simple dans un environnement extrêmement concurrentiel. Nous devrions par exemple analyser pourquoi, avec des niveaux de ressources publiques comparables, les ressources propres ne représentent qu’à peine plus de 5% des produits d’exploitation de l’AEF… soit trois fois moins qu’à BBC World.

Parallèlement, nous devons veiller à ce que les restrictions budgétaires ne portent pas préjudice au cœur de métier de l’AEF et, en particulier, à ce que le budget « diffusion » soit maintenu. Je réfute donc totalement la préconisation de l’IGF de diminuer les crédits de diffusion de TV5 Monde. Outre le fait qu’une telle diminution nuirait gravement à l’un des leviers fondamentaux de notre rayonnement audiovisuel, je m’étonne que l’IGF se soit permis une recommandation qui touche à la stratégie même de l’AEF et outrepasse largement le mandat qui lui avait été confié dans le cadre d’un « audit organisationnel ».

– Sur le plan de la gouvernance, les dysfonctionnements auxquels il importe de remédier ne justifient certainement pas une nouvelle réforme institutionnelle. Gardons-nous de réactions épidermiques excessives, et laissons à l’AEF, dont le rapport de l’IGF – pourtant à bien des égards très sévère – souligne les « belles réussites », la possibilité de faire ses preuves, et à sa réforme le temps de produire ses effets.

Une telle approche ne nous exonère pas pour autant d’une indispensable analyse des rapports de force au sein des différentes entités de l’AEF. Il nous faut notamment veiller à ce que TV5 Monde et RFI ne sortent pas affaiblies de la réforme en cours. Depuis 2007, France 24 a absorbé l’essentiel des augmentations de crédits alloués à l’AEF (avec une hausse de 66 % de ses moyens entre 2007 et 2011), au détriment de RFI et de TV5 Monde.

Les financements généreux accordés à France 24 ne doivent pas être perçus comme un blanc-seing : autant il me semblait essentiel d’avoir une chaîne arabophone, dont l’impact a été aussi important que positif pendant ce que l’on a appelé les «Printemps arabes », autant j’étais un peu plus interrogative quant à la nécessité d’une diffusion de France 24 en anglais. Nous devons en tout cas être très vigilants quant au respect de la mission confiée à France 24, présenter une vision française de l’actualité, et ne pas accepter des rediffusions d’images de média anglo-saxons, sauf bien sûr si celles-ci sont indispensables au traitement de l’actualité. J’ai ainsi fait part de mon étonnement à l’occasion d’un « monitoring » de France 24 en anglais à deux occasions lors de courts séjours à l’étranger. Me trouvant à Berlin le jour de la libération de l’otage franco-israélien Guilad Shalit, j’ai été stupéfaite de constater que l’on n’y mentionnait ni les efforts de la France pour obtenir sa libération, ni le fait qu’il n’était pas qu’israélien mais double-national franco-israélien. Dix jours plus tard (le 28 octobre), regardant France 24 en rentrant le soir dans mon hôtel d’Helsinki, j’ai été encore plus stupéfaite d’y trouver un reportage et un entretien sur la tradition américaine d’Halloween, un reportage et un entretien avec Anders Fogh Rasmussen, secrétaire général de l’OTAN sur la Libye, mais sans un mot sur la contribution française, pourtant déterminante. Pas un mot non plus sur l’importante intervention télévisée du président Sarkozy la veille – alors qu’au même moment Al Jazeera avait un débat sur le sujet sur sa chaîne en anglais…

– D’un point de vue stratégique, la diffusion en langues étrangères est essentielle pour que l’AEF joue pleinement son rôle de levier d’influence. La défense du plurilinguisme s’inscrit aussi dans la perspective de la défense de la diversité culturelle – valeur phare de la francophonie, et de la construction européenne. Si les contraintes budgétaires ont amené une diminution du nombre de langues utilisées par RFI, il semble important d’arrêter ces suppressions, et de nous donner les moyens de lancer rapidement une diffusion dans une nouvelle langue si celle-ci peut nous aider à faire passer certains messages et certaines valeurs. Il nous faut par ailleurs explorer d’autres voies permettant de toucher un public linguistique varié. Comment renforcer sur certains territoires la pratique du français si la seule chaîne française y étant diffusée l’est en anglais ? Le recours accru au sous-titrage en français me semblerait particulièrement opportun dans ce cas.

De meilleures synergies avec les autres médias devraient être recherchées, non seulement au sein de l’AEF mais également avec France Télévision ou avec d’autres acteurs, comme par exemple l’Institut français.

Nous devons aussi mettre en place une stratégie plus suivie de production mais aussi d’accès à l’Internet : il est par exemple inacceptable que, pour des raisons d’achats de droits, l’accès par Internet aux rediffusions d’émissions du service public français devient impossible dans certains pays. Alors que l’accès aux médias en français demeure dans bien des pays impossible (non accès aux licences) ou dissuasif (obligation de s’abonner à des offres très onéreuses de bouquets satellite), l’offre Internet doit être davantage développée.

A cet égard, je tiens à saluer le lancement par TV5 Monde, le 25 novembre prochain, d’une plateforme Internet qui permettra de visionner les rediffusions de nombreux programmes de la chaîne, offrira un service de vidéos à la demande et permettra un accès simplifié à diverses WebTV francophones existantes.

Enfin, les modalités d’application de la tutelle interministérielle de l’AEF gagneraient à être clarifiées – une priorité devant, à mon sens, être accordée au Ministère des Affaires étrangères.