Déc 12 2011

Les législatives des Français de l’étranger, pas si ingagnables pour la gauche (Slate.fr)

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Décrites il y a deux ans comme un cadeau pour la droite, ces élections inédites s’annoncent plus serrées que prévues.

Leurs circonscriptions ne font pas des centaines de kilomètres carrés, mais des centaines de milliers voire des millions. Pour la première fois, des députés seront élus, en juin prochain, pour représenter le million des Français de l’étranger. Cette campagne, inédite, est en phase d’accélération.

Alors que le PS a officiellement investi samedi 10 décembre ses dix candidats choisis lors de primaires en 2010, Europe Ecologie-Les Verts (qui a obtenu la circonscription d’Amérique du sud dans son accord avec le PS) avait annoncé les noms des siens dès septembre, et l’UMP avait rendu ses arbitrages fin novembre. Le Front de gauche et le MoDem comptent aussi présenter des candidats; le FN est pour l’instant resté discret.

Ces derniers développements ont lieu sur fond de polémique. Au PS, l’investiture accordée sans primaire dans la 9e circonscription à Pouria Amirshahi, premier secrétaire fédéral de Charente et aubryste, face au chef de cabinet de François Hollande, Faouzi Lamdaoui, a suscité des protestations: en Algérie, au Mali et au Sénégal, des sections ont dénoncé un «déni démocratique» et le «mépris» de Paris en agitant la menace d’un boycott de la campagne.

Face à la droite, le PS se rassemble, en revanche, pour dénoncer depuis l’été dernier la création du secrétariat d’Etat aux Français de l’étranger, successivement confié à David Douillet puis Edouard Courtial, et vu comme un outil de propagande électorale. Une «galéjade», selon le responsable des Français de l’étranger à l’UMP, Jean Simonetti, qui juge que le jeune secrétaire d’Etat «fait très bien son boulot». Et réclame au PS, qui affirme suivre attentivement l’activité d’Edouard Courtial, des «preuves» de l’instrumentalisation partisane de son portefeuille.

Il y a deux ans, ces élections inédites suscitaient déjà des salves au PS, qui jugeait baroque le découpage des circonscriptions: la très aisée Monaco rattachée à l’Espagne plutôt qu’à l’Italie, celle-ci se voyant adjointe Israël… Le député Jean Mallot leur avait même trouvé un nom de code, «TPLD»: tout pour la droite! Les prévisions réalisées à l’époque à partir des résultats de la présidentielle donnaient neuf sièges à la majorité et deux à l’opposition. Elles se sont rééquilibrées depuis: un expert électoral récemment interrogé par Le Figaro prédisait ainsi cinq sièges pour la gauche.

Jean Simonetti et son homologue du PS Pierre-Yves Le Borgn’, lui-même candidat en Allemagne, ne souhaitent pas donner de fourchette, le premier se disant «trop respectueux de la mathématique» pour cela tout en concédant «un potentiel qui permet d’être relativement optimiste», le second niant l’idée de circonscriptions «ingagnables».

Le sénateur PS des Français de l’étranger Richard Yung juge lui que son camp «peut gagner quatre ou cinq circonscriptions»: en plus des deux où la gauche est théoriquement majoritaire –celles de Pouria Amirshahi et Pierre-Yves Le Borgn’–, il cite parmi les plus jouables celle du Moyen-Orient, du Royaume-Uni et du Benelux.

Comment les législatives des Français de l’étranger sont-elles passées de «Tout pour la droite» à «Pourquoi pas la gauche»? Explications en trois points.

1. Des candidats parachutés

La gauche mise, entre autres, sur des atterrissages ratés: si Eric Besson a finalement renoncé à se présenter en Espagne, l’UMP a parachuté trois ministres et un ancien député en position précaire dans leur circonscription hexagonale.

1. Le secrétaire d’Etat au Commerce Frédéric Lefebvre, qui a siégé deux ans à l’Assemblée en tant que suppléant d’André Santini, se retrouve parachuté en Amérique du nord après les défections de Christine Lagarde, partie au FMI, et de l’homme d’affaires Guy Wildenstein, victime d’ennuis judiciaires. «La candidature de Lagarde était une sorte de parachutage, mais comme elle avait une expérience de vie américaine de plusieurs années, elle n’était pas trop contestée à droite», note son adversaire socialiste Corinne Narassiguin.

2. Député du Vaucluse pendant dix-sept ans, le secrétaire d’Etat aux Transports Thierry Mariani, en concurrence avec le maire d’Orange Jacques Bompard dans son département, se retrouve investi dans la gigantesque circonscription associant ex-URSS, Asie et Océanie.

3. La secrétaire d’Etat auprès de la ministre de la Cohésion sociale Marie-Anne Montchamp est investie dans le Benelux: sa circonscription du Val-de-Marne disparaissait dans le redécoupage.

4. L’ancien juge antiterroriste Alain Marsaud, candidat sur une circonscription mélangeant pays africains et Moyen-Orient, avait été nettement battu en 2007 dans sa circonscription de la Haute-Vienne.

La droite rejette les accusations de mélange des genres et d’«oukase»

Si le PS accuse les ministres-candidats de mélange des genres –Mariani s’est vigoureusement défendu de faire campagne avec des fonds publics–, il table sur un rejet de la greffe. «Pourquoi tant de ministres sur onze circonscriptions? Les électeurs de l’étranger veulent avoir des gens qui leur ressemblent, qui ont vécu ce dont ils parlent, la même expérience», s’interroge Pierre-Yves Le Borgn’.

Marie-Anne Montchamp, dont les derniers déplacements à l’étranger se sont effectués dans le Benelux (entrecoupés de déplacements en France), précise que le siège des institutions européennes se trouvant à Bruxelles ou Luxembourg, son rôle ministériel nécessite qu’elle s’y rendre fréquemment, mais qu’elle accorde beaucoup d’importance «dans le strict respect des règles, à la bonne séparation entre mes activités gouvernementales et ma campagne électorale».

Pour elle, «dans une circonscription qui représente trois pays, on est toujours parachuté quelque part», et la secrétaire d’Etat assure connaître l’expatriation «pour en avoir fait l’expérience à titre personnel dans une précédente étape» de sa vie. Elle estime que ses années passées à la commission des finances de l’Assemblée nationale «sont des gages aussi solides que la connaissance des bonnes adresses de La Haye ou de Luxembourg, que j’ai par ailleurs beaucoup de plaisir à fréquenter!»

«Je ne nie pas la qualité des personnes investies mais j’ai été très déçue par la manière dont cela a eu lieu car je pensais que les militants seraient entendus et je suis plutôt hostile au principe du parachutage», affirme de son côté la sénatrice UMP des Français de l’étranger Joëlle Garriaud-Maylam. Alors que Thierry Mariani et Alain Marsaud font par exemple valoir leur expérience passée de responsable des expatriés à l’UMP, Jean Simonetti nie lui tout «oukase»:

«Dans chaque circonscription, nous avons examiné au moins quatre ou cinq candidatures, et même beaucoup plus dans la première.»

2. De nombreuses dissidences à droite

Cette floraison de parachutages a contribué à celle d’une autre figure imposée, la candidature dissidente: on en compte une à gauche dans la circonscription britannique, et dans plus de la moitié des circonscriptions à droite.

Installé à New York depuis sept ans après des études à Berkeley, Julien Balkany, le demi-frère du maire de Levallois-Perret, fera ainsi face à Frédéric Lefebvre. Il l’avait annoncé avant le choix de l’UMP, affirmant qu’il avait «toujours dit ne pas demander l’investiture» et que la décision du parti ne changeait donc rien, tout en se revendiquant «dans le cadre de la majorité présidentielle». Un exercice d’équilibrisme qu’il assume, affirmant à Libération que se battre contre le candidat officiel de l’UMP a ses bons côtés:

«Imaginez ce que vous auriez écrit si j’avais été le candidat désigné par l’UMP, on aurait crié au népotisme, parlé d’une sinécure, d’une fin de règne… Là, on peut voir que j’ai le courage, à 30 ans, de tenter une prise à la hussarde.»

Autre «hussard» qui pourrait partir à l’assaut des French voters sans étiquette UMP: Olivier Cadic, élu de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) au Royaume-Uni et possible candidat dans la troisième circonscription, où Sarkozy et Royal étaient au coude-à-coude en 2007. Revendiquant son expérience «de terrain», il se justifie:

«J’annoncerai ma décision début 2012. Je ne sais pas ce que va décider l’UMP parce que ça n’a pas l’air tout à fait décidé. Moi, on m’a dit que Jean-François Copé avait dit qu’il y avait eu une erreur de casting sur Londres, et donc maintenant j’attends de voir ce qu’ils vont décider.»

Installée en Angleterre depuis près de quinze ans, la candidate officielle Emmanuelle Savarit, qui s’est impliquée à l’UMP en 2005 lorsqu’elle est rentrée en France pour participer aux campagnes présidentielle et législatives, assure ne pas s’inquiéter de cette potentielle candidature parce que «les dissidents sont des conseillers de l’Assemblée des Français de l’étranger qui n’ont pas l’habitude des élections législatives, des campagnes», et surtout parce qu’il «faut savoir ce que les gens veulent: quelqu’un à l’Assemblée avec une étiquette politique, ou quelqu’un sans étiquette et sans poids politique».

Même son de cloche chez Jean Simonetti, qui estime que les dissidents n’affaibliront pas la campagne des «officiels»: étant donné que beaucoup sont élus de l’AFE et «que le mandat de la plupart est renouvelable dès 2013», il ne les voit pas «s’amuser à venir saboter les candidats de leur famille politique».

La question ne se posera pas dans la huitième circonscription, qui associe deux pays de l’UE en crise, Italie et Grèce, et deux zones géopolitiques sensibles, Turquie et Israël: le candidat dissident de droite, Philippe Karsenty, n’est pas élu de l’AFE mais… adjoint au maire de Neuilly-sur-Seine, ville où il avait défié Nicolas Sarkozy aux législatives de 2002. Et mène une campagne très virulente contre la candidate UMP Valérie Hoffenberg, ancienne représentante spéciale de la France au Proche-Orient, dont il a dit qu’elle n’a «pas de soutien populaire» et que «voter Hoffenberg, c’est voter « Quai d’Orsay »» (ces propos, tenus dans une interview à l’été 2011, ne tiennent plus vraiment depuis le limogeage de Valérie Hoffenberg par le ministère des Affaires étrangères).

3. Un électorat moins à droite que ce que l’on croit

Le PS a lui investi une juriste installée à Tel-Aviv, Daphna Poznianski-Benhamou, qui estime que les 91% de vote Sarkozy en 2007 en Israël, qui font théoriquement largement basculer la circonscription à droite, sont trompeurs:

«Les gens ont cru, les gens n’y croient plus. Il n’y a plus d’effet Sarkozy.»

La candidate fait notamment valoir qu’elle a terminé en tête des élections AFE dans le pays en 2006 et mise sur le côté «élue de proximité» ainsi que sur les grands axes du programme du parti: retour de l’emploi consulaire au niveau de 2007, scolarité gratuite pour toutes les classes sous conditions de ressources, promotion de la francophonie… Là où l’UMP et ses candidats ne dévoilent pas encore de programme global: le projet 2012 du parti sera voté fin janvier lors d’un conseil national et deviendra «un petit peu la bible des candidats dans le cadre de l’organisation de leur campagne», selon Jean Simonetti.

En dehors du programme et de l’accueil sur le terrain des candidats, le résultat sera aussi déterminé par la dynamique liée au résultat de la présidentielle, moins défavorable à la gauche que ne le veut le cliché: depuis 1981, elle a gagné plus de vingt points chez les Français de l’étranger, et l’écart avec son score national y était de moins d’un point en 2007 (46,01% contre 46,94%).

«C’est un public qui est plutôt au centre-droit qu’à droite et pas du tout à l’extrême-droite, plutôt droite humaniste que Droite populaire, et l’écart avec la gauche est de moins en moins important», analyse Joëlle Garriaud-Maylam. En cas de victoire de François Hollande, il ne serait donc pas farfelu d’imaginer, pour la première fois, la gauche majoritaire en voix à l’étranger. Avec une double inconnue: entre départs et arrivées, cet électorat se renouvelle plus vite qu’en France et sa participation est généralement assez basse, un peu supérieure à 40% lors des deux dernières présidentielles.

UMP comme PS travaillent donc dur à la mobilisation des électeurs, qui pourront voter par correspondance et par Internet: «Le plus grand défi dans cette campagne est surtout d’informer les gens sur le fait qu’il va y avoir des élections et qu’il faut voter», affirme Corinne Narassiguin, qui pointe une augmentation assez importante des inscriptions sur les listes électorales, mais se retrouve encore à faire «quasiment de l’instruction civique» lors des déplacements de campagne. Avant de profiter à l’un ou l’autre camp, les législatives de l’étranger, ce «scrutin qui n’a pas d’histoire» selon Pierre-Yves Le Borgn’, devront s’en créer une.

Cécile Dehesdin et Jean-Marie Pottier