Déc 09 2011

Proposition de loi garantissant le droit au repos dominical

Intervention sur l’article 1 :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les malentendus suscités par le débat sur le travail dominical s’expliquent en partie par le décalage entre une certaine vision de la société – totalement idéologique et désuète – et la réalité d’aujourd’hui.

La possibilité d’un choix demeure essentielle dans une République digne de ce nom, et il faut reconnaître, madame David, que le choix du travail le dimanche peut être totalement libre, délibéré ou souhaité.

Indéniablement, la question du travail dominical accompagne les transformations de la société française. La perception de la semaine en tant que telle est en perpétuelle recomposition. Les jours donnent lieu à d’autres usages, souvent éloignés d’usages antérieurs érigés en traditions. Les symboles, les images sociales et culturelles attachées à chacun d’entre eux sont soumis à l’épreuve d’une nouvelle socialité. La loi sur la réduction du temps de travail a produit des effets comparables sur le vendredi et le mercredi.

Chacun peut y trouver son compte, à la condition expresse que le système repose sur la base du volontariat et que le salarié soit rémunéré en conséquence. C’est ce que prévoit la loi du 10 août 2009 que nous avons votée et qui a été validée par le Conseil constitutionnel.

Le repos hebdomadaire tend à ne plus correspondre strictement au repos dominical : le dimanche n’a plus le monopole du repos. L’économie de services a donné lieu depuis longtemps au travail le dimanche. On le constate évidemment pour les services privés et les commerces. Nombre d’artisans et de commerçants, notamment dans le secteur alimentaire, travaillent systématiquement le dimanche matin. On le constate également pour les services publics, auxquels les Français sont très attachés, dans les domaines de la santé, de la sécurité ou des transports.

Bon nombre de prestations supposent par nature que des actifs travaillent le dimanche, le plus souvent par des mécanismes de rotation permettant aux salariés concernés de ne pas travailler tous les dimanches ou de choisir un autre jour de repos hebdomadaire.

Une société habituée au confort des services tend à produire une demande de continuité de ces services et de disponibilité des offres, ce qui encourage mécaniquement le travail dominical.

Une société de loisirs tend également à favoriser le travail dominical. Le dimanche est un jour de repos pour certains. Comme tel, il est de plus en plus souvent vécu comme une journée de loisirs, lesquels supposent évidemment l’accès à des services, donc l’emploi de salariés et, par voie de conséquence, une extension du travail dominical.

L’activité familiale dominicale se déploie plus souvent qu’auparavant dans un cadre de type public, par opposition au domicile. Elle prend place dans un réseau d’activités mêlant déambulations et consommation. La pratique des loisirs est ainsi typique de cette évolution du dimanche vers un consumérisme familial.

Par ailleurs, force est de constater que le modèle du dimanche traditionnel, religieux et familial, n’est plus dominant. Le dimanche n’est plus que très marginalement considéré comme « le jour du Seigneur » puisque plus d’un quart des Français se déclarent sans religion. Un calcul sommaire laisse penser que le nombre de Français qui se rendent à la messe dominicale est passé en cinquante ans de 9,3 millions à 1,8 million. Il est donc bien difficile de défendre la sacralité du dimanche dans une société qui s’est pour partie éloignée de la pratique religieuse.

Dans son rapport à la cellule familiale et à ce qu’elle implique en termes de représentations, le dimanche apparaît encore comme une journée familiale « traditionnelle » pour beaucoup, mais aussi comme une journée de solitude pour d’autres. Dans une ville comme Paris, un ménage sur deux est composé d’une seule personne. Au fil des années, il est évident que le rôle joué par la consommation est devenu de plus en plus important dans l’organisation de la journée du dimanche.

D’une manière générale, on l’a dit, l’apparition d’une société des loisirs conduit de facto à combiner du temps libre avec la consommation au travers de l’engagement dans des types d’activité qui supposent bel et bien la consommation de biens et de services : tourisme, sports, cinéma, musées, alimentation, parcs de loisirs, spectacles, expositions, visites de sites touristiques, etc.

Une fois encore ici, le repos des uns génère l’activité des autres. On peut d’ailleurs considérer que la loi sur la réduction du temps de travail a favorisé cette évolution vers une société de loisirs, contribuant ainsi à l’extension du travail dominical.

Le débat sur le thème du travail dominical se détend considérablement dès lors que sont introduits des mécanismes de compensation, sous la forme à la fois d’une rémunération majorée et d’un aménagement du temps hebdomadaire de travail permettant de récupérer une journée de congés parmi les autres jours de la semaine. Je le rappelle une nouvelle fois, c’est ce que prévoit la loi que nous avons votée en 2009.

C’est pourquoi je voterai contre l’article 1er de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP)

Intervention sur l’article 2 :

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en prévoyant la généralisation du volontariat, des contreparties au travail le dimanche et un repos compensateur, l’article 2 rompt l’équilibre de la loi du 10 août 2009. Or cet équilibre reposait sur une réalité : le travail le dimanche n’a pas la même nature dans les commerces où il est de droit et dans ceux où, soumis à autorisation administrative, il revêt un caractère exceptionnel.

Dans le premier cas, le travail dominical découle de la nature de l’activité ou de la localisation du commerce. Ainsi, les salariés d’un commerce situé dans une commune très touristique savent qu’ils risquent, de ce fait même, d’avoir à travailler le dimanche. Il appartient alors aux partenaires sociaux de fixer les contreparties du travail du dimanche par le biais d’un accord collectif. La loi de 2009 a rendu cette négociation collective obligatoire afin de protéger les salariés.

En revanche, lorsque le travail du dimanche revêt un caractère exceptionnel, il est nécessaire que des dispositions légales protègent les salariés concernés. Tel était l’objectif de la loi Mallié, qui garantit le volontariat du salarié et prévoit des contreparties légales obligatoires.

Pourquoi nier la différence intrinsèque existant entre ces deux situations de travail dominical ? Surtout, pourquoi ne voulez-vous pas reconnaître, chers collègues, que le dispositif de la loi Mallié a fait ses preuves ?

Sans doute aurait-il fallu attendre la remise du rapport du comité de suivi de l’application de cette loi : vous auriez alors découvert que la négociation collective fonctionne et qu’elle a permis de conclure des accords offrant de solides garanties aux salariés.

Examinons la situation antérieure à l’entrée en vigueur de la loi de 2009. Selon les études du comité de suivi, s’agissant des accords de branche, la majorité des conventions collectives des secteurs occupant traditionnellement des salariés le dimanche, et bénéficiant à ce titre de dérogations permanentes de droit, prévoyaient des contreparties. Ainsi, la convention collective des fleuristes prévoit que le repos hebdomadaire pris par roulement ouvre droit à une contrepartie : deux jours de repos consécutifs comportant un dimanche sont accordés toutes les huit semaines. En revanche, la question du volontariat n’est en général pas abordée. Cela s’explique par la nature même de l’activité de fleuriste.

Si l’on fait le bilan des accords d’entreprise conclus depuis l’entrée en vigueur de la loi Mallié, on constate que la plupart d’entre eux ont uniformisé le régime des contreparties applicable aux salariés de l’entreprise, quels que soient le lieu d’implantation du magasin – un PUCE, une commune ou une zone touristique – et le régime de dérogation. Le rapport évoque à cet égard les enseignes Décathlon, Boulanger, SFR, Maxi Toys France, Kiabi Europe ou encore Leroy-Merlin. Tous ces accords prévoient des conditions favorables aux salariés : en général, le principe du volontariat, une augmentation de la rémunération et l’attribution d’un repos compensateur. Voilà qui semble très positif !

Mais les auteurs de la proposition de loi veulent à tout prix casser le dispositif instauré par la loi du 10 août 2009.

Il suffit d’examiner la liste des zones touristiques créées depuis la promulgation de cette loi pour constater que le travail le dimanche y est une nécessité intrinsèque. La situation n’est pas du tout la même que pour les PUCE.

Dans cette liste figurent le centre-ville de Cancale, celui de Chartres, un périmètre au sein de la ville de Nice englobant le Vieux-Nice, une partie du centre-ville et de la promenade des Anglais, Cagnes-sur-Mer, Vence, Cannes et Orléans. Trouveriez-vous normal, mes chers collègues, que ces villes au fort potentiel touristique restent sans vie le dimanche et que seuls quelques commerces y soient ouverts ? Vous niez l’évidence !

Qu’on ne nous dise pas non plus que la loi de 2009 a suscité une extension du travail le dimanche : on voit bien que sa promulgation n’a pas entraîné une multiplication des demandes de classement dans la catégorie des communes ou des zones touristiques.

Il ne fait aucun doute que vous énoncez des contrevérités et que l’article 2 de la proposition de loi ignore la réalité du terrain. En conséquence, le groupe UMP ne le votera pas. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)