Fév 16 2012

Egalité salariale entre les hommes et les femmes

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer notre collègue Claire-Lise Campion pour son diagnostic des obstacles persistants à une réelle application des lois sur l’égalité professionnelle. Je souhaite également remercier Mme la ministre Roselyne Bachelot-Narquin de son analyse et de ses propositions fort opportunes.

L’application de sanctions aux employeurs ne respectant pas la loi est indispensable. Définir des objectifs précis et vérifiables assortis de sanctions financières est nécessaire pour surmonter les blocages.

Je me souviens des résistances, il y a un an, face à l’instauration de quotas de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises. Rapporteur de ce texte pour la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, j’avais rencontré de grandes difficultés à faire accepter une telle mesure, qui a finalement pu être votée. Résultat : le taux de féminisation des conseils d’administration du CAC 40, même s’il était très faible au départ, a quasiment doublé entre 2009 et 2011 !

Le ministre François Sauvadet utilise d’ailleurs la même recette de quotas et de sanctions pour féminiser la haute fonction publique, et je voudrais l’en remercier ici.

Soulignons également que c’est la réforme des retraites qui a instauré un système de sanctions financières en cas de discrimination envers les femmes. Ce mécanisme, qui est entré en vigueur le 1er janvier dernier, fait de la France une pionnière au plan européen.

En ce qui concerne l’objectif d’une meilleure application des lois et la nécessité de sanctions, je rejoins donc notre collègue Claire-Lise Campion. En revanche, certaines dispositions techniques et le cadre juridique de ce texte posent problème.

Même – et surtout ! – en période électorale, nous avons le devoir d’aller au-delà des déclarations de principe et de nous soucier de leur application concrète.

Conclure un accord collectif sur l’égalité n’est pas toujours le moyen le plus adapté. Si l’élaboration d’un plan d’action unilatéral permet d’arriver aux mêmes progrès qu’un accord collectif, pourquoi ne pas s’en satisfaire ? C’est ce principe d’efficacité qui a prévalu lors de la réforme des retraites de 2010.

Sous couvert de féminisme, la présente proposition de loi, de par ses lacunes juridiques, pourrait être contreproductive et entraîner des reculs. Contrairement à la loi sur les retraites, elle reste silencieuse quant au contenu des accords. Ainsi, des entreprises pourraient éviter les sanctions en adoptant des accords purement déclaratifs, dépourvus de tout engagement concret.

Surtout, mes chers collègues, je ne voudrais pas que nous nous trompions de cible en nous focalisant excessivement sur la politique salariale des entreprises, au risque d’éluder d’autres facteurs essentiels.

Les statistiques le montrent, l’écart salarial entre hommes et femmes travaillant à temps plein, qui s’était fortement réduit des années soixante aux années quatre-vingt-dix, stagne depuis une vingtaine d’années. Nous n’arrivons plus à descendre en deçà du plancher de 27 % à 25 %, qui a été évoqué.

Certes, les salaires des femmes progressent un petit peu plus vite que ceux des hommes. Mais, selon une étude réalisée sur 34 000 cadres par un très célèbre institut britannique, il faudrait non pas 20 ans, comme cela a été dit plus tôt, mais 98 ans, soit un siècle, pour arriver à une réelle égalité salariale !

Pourquoi un tel blocage ? Est-il uniquement lié à des politiques salariales discriminantes de la part des employeurs ? Je ne le crois pas. L’égalité salariale ne se réduit pas au fait qu’une femme gagne autant qu’un homme à compétences et à postes égaux : la comparaison des situations à l’instant T n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les inégalités s’inscrivent dans des trajectoires professionnelles.

S’il est devenu si difficile ces dernières années de réduire davantage l’écart salarial, c’est sans doute aussi parce que ce dernier est de moins en moins lié à des discriminations directes et légalement sanctionnables.

Cet écart de 25 %, que nous n’arrivons plus à réduire, est, je crois, surtout lié à la progression professionnelle bridée des femmes.

Congés maternités, refus du travail en soirée ou mise aux quatre cinquièmes font des femmes les grandes oubliées des promotions professionnelles. Parfois aussi, les femmes s’autocensurent, refusant des choix professionnels trop pénalisants pour leur famille. Au Quai d’Orsay, par exemple, les femmes ne représentent que 27 % des personnels de catégorie A et moins de 15 % des ambassadeurs.

Ce problème d’évolution de carrière est beaucoup plus difficile à résoudre que les discriminations salariales proprement dites. Car il touche à nos codes culturels de répartition de rôles entre hommes et femmes, mais aussi à l’organisation globale du travail.

Les trois quarts des salariés à temps partiel sont des femmes. Peut-on décemment y voir un choix de vie ? Combien d’employeurs accepteraient qu’un homme, surtout un cadre, quitte régulièrement le bureau en fin d’après-midi pour aller chercher ses enfants ou pose des jours de congés en cas de maladie de ses enfants ou de grève d’école ? Combien d’employeurs confieront à une mère de famille des responsabilités si elle ne s’engage pas à une totale disponibilité en soirée ?

Aujourd’hui, les hommes et les femmes qui souhaitent conserver du temps pour leur vie familiale sont pénalisés sur le plan professionnel.

Il s’agit donc non pas simplement de défendre les « droits des femmes », mais de promouvoir pour tous une meilleure conciliation de la vie familiale et professionnelle ; beaucoup d’hommes y aspirent aussi.

Flexibiliser notre organisation du travail est également une question de survie pour nos entreprises, en cette période de crise, où la pression sur les salariés est particulièrement forte et où des efforts considérables sont demandés à chacun. (M. David Assouline s’exclame.) Nous devons réformer notre culte du présentéisme.

Pourquoi ne pas nous inspirer du rythme de nos voisins d’Europe du nord ou de certaines méthodes anglo-saxonnes de rationalisation du travail ? Limiter les réunions en soirée et développer le télétravail sont des pistes à explorer. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.)

Par exemple, le Quai d’Orsay limite depuis 2008 les réunions tardives non motivées par l’urgence et autorise depuis 2009 le télétravail pour ses agents de catégorie A. Je voudrais aussi saluer l’initiative du député Pierre Morel-A-L’Huissier, qui a fait voter la semaine dernière à l’Assemblée nationale un amendement visant à ouvrir le télétravail aux fonctionnaires.

La crise contre laquelle nous nous battons est systémique et impose une vraie réorganisation de nos modes de travail. Saisissons donc la chance qui nous est donnée d’utiliser la recherche d’une meilleure égalité entre femmes et hommes pour atteindre cet objectif plus global et rendre service non seulement aux femmes, mais aussi à nos entreprises et à notre économie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)