Mar 14 2012

Inde (11-14 mars 2012)

Ce nouveau déplacement au pays de la plus grande démocratie du monde (1,140 milliard d’habitants), en route pour le Bangladesh  fut placé sous le signe du renouveau de la coopération, notamment culturelle entre la France et le Bengale occidental.

Il y a plusieurs années que je souhaitais me rendre à Calcutta, d’autant que le Consul général Jean-Louis Rysto, personnalité exceptionnelle que j’avais eu le privilège de rencontrer lors d’une mission sur les mines anti-personnel au Yemen, m’avait convaincue de l’intérêt de m’arrêter à Calcutta, capitale culturelle de l’Inde,  pour y rencontrer les Français de cette ville, certes en petit nombre (95) mais se plaignant parfois d’être un peu délaissés,  et des personnalités influentes comme le Gouverneur de l’Etat. Je tenais aussi à voir le magnifique Consulat qu’il venait d’inaugurer dans cette ville en plein essor, au carrefour des profondes mutations économiques et culturelles de l’Inde du Nord.  Je n’avais pu hélas me rendre à l’inauguration du Consulat, dans une ancienne maison coloniale, magnifiquement restaurée pour l’adapter aux besoins d’un Consulat du XXIeme siècle, mais  Jean-Louis Rysto devant recevoir sa médaille de Chevalier de la Légion d’Honneur des mains de notre excellent nouvel Ambassadeur à Delhi François Richier, je me devais d’être présente !

Quel bonheur aussi de rencontrer tant au cours de la réception en l’honneur du Consul général que lors des différents entretiens, tant d’hommes et de femmes amoureux des cultures françaises et indiennes, désireux  de transmettre leurs savoirs et de développer les liens entre nos deux pays. Au programme : visite de l’Alliance française, rencontre avec le Gouverneur de l’Etat du Bengale occidental, Monsieur Mayankote Kelath Narayanan, ancien élève de l’ENA, avec des Chefs d’entreprise indiens, mais aussi avec  l’une des plus grandes mécènes du pays, Mme Rakhee Sarka, à l’origine du magnifique projet de 82 millions de dollars du KMOMA, Musée d’art moderne. Visite d’une Alliance française en pleine expansion,  visite de l’Institut français de Chandernagor et entretiens avec la presse pour évoquer le renforcement de nos liens en matière de coopération et d’échange culturels.

Ville de contraste où, plus encore que dans le reste de  l’Inde, se côtoient misère et immenses fortunes, modernité extrême et traditions, Calcutta, 15 millions d’habitants, est le premier centre industriel, financier et commercial de l’Inde Orientale. Ancienne capitale administrative des Anglais jusqu’en 1912, elle est la capitale de l’Etat du Bengale occidental (83 millions d’habitants pour un territoire de plus de 88 000 km2). Quant à la présence française en Inde,  en 2011, 9 595 Français étaient enregistrés auprès des Consulats. A Calcutta, on compte 95 Français enregistrés. La communauté française se compose essentiellement de retraités (plus de 2 000), de militaires et de fonctionnaires, et leur famille. Elle est peu représentée dans le secteur privé et le secteur public (on ne compte que 12 % d’actifs). La tendance actuelle est à l’augmentation de la communauté française dans la circonscription de New Delhi, du fait de l’implantation de nouvelles entreprises française en Inde. Nos compatriotes exerçant une activité professionnelle sont essentiellement des expatriés temporaires installés dans le cadre des entreprises qui les emploient. Les acteurs clés des échanges franco-indiens sont l’aéronautique, les télécommunications, l’énergie, l’industrie pharmaceutique, les biens d’équipement et la défense. Aujourd’hui plus de 300 entreprises française sont implantées en Inde et emploient environ 40 000 personnes. La France se situe au 7e rang des investisseurs étrangers en Inde. Qu’en est-il en matière de coopération culturelle ?

Visite de l’Alliance française du Bengale

Si le bengali est la langue officielle de l’Etat du Bengale occidental, en Inde, 18 langues nationales sont reconnues par la Constitution (dont le hindi, langue officielle de la Fédération) et une langue véhiculaire, l’anglais, qui est utilisée dans le commerce et les affaires. Dans les Etats, une quinzaine de langues sont parlées par près de 90 % de la population indienne. Même si le français constitue la première langue étrangère en Inde (l’anglais n’est pas considéré comme une langue étrangère), notre langue n’est pas couramment pratiquée, même à Pondichéry où seulement 30 % des Français la parlent. Elle est cependant utilisée comme 2e langue dans un grand nombre de collèges et lycées, ainsi que dans les 15 Alliances française de l’Inde. Après la visite de son établissement fraichement rénové et entièrement repensé, le directeur de l’Alliance française du Bengale, M. Claude Alexandre Martinez, m’exposa la situation depuis son arrivée et les perspectives pour 2012-2013. Après une vigoureuse reprise en 2009, notamment de ses effectifs d’élèves – seuls 210 étudiants étaient inscrits en 2009, contre 531 aujourd’hui (l’objectif est de 600 l’an prochain et 1 000 à plus long terme) –, de  M. Martinez a insisté sur les deux priorités à accomplir : le développement des cours et le projet de construction. L’un et l’autre demeurent des chantiers délicats et complexes à mener à Calcutta. En continuant d’augmenter le nombre d’étudiants inscrits, l’Alliance accroîtra son potentiel et sa crédibilité ; en ayant un siège indépendant, elle améliorera sa visibilité et son image, de même qu’elle dégagera des moyens conséquents pour développer ses actions tant linguistiques que culturelles et de communication. Ainsi, selon son directeur, en matière d’activités culturelles  et de communication, le projet pour la médiathèque est de rénover les collections, de rendre cet espace plus interactif avec notamment une connexion Internet publique (WiFi), de développer la partie information, notamment le centre de ressources sur la France et la Francophonie. Quant à la programmation culturelle, la programmation doit gagner en qualité et pertinence, en favorisant le travail de jeunes créateurs, et tendre à devenir un centre de création et de référence à Calcutta. Pour M. Martinez, l’avenir de l’Alliance française du Bengale dans un pays en croissance économique rapide passe par une réinstallation dans des locaux neufs et représentatifs. Sur le terrain agrandi, un projet immobilier viable doit être conçu. Il lui faut pour cela trouver des financements, éventuellement sous la forme d’un partenariat public privé. La piste du mécénat semble ainsi privilégiée.

Rencontre avec Mme Rakhee Sarkar, grande mécène et directrice du futur musée KMoMA

Alors que New Delhi et Bombay sont depuis quelques années le théâtre du développement fulgurant du marché de l’art en Inde, la politique du gouvernement indien en faveur des arts visuels a été quelque peu délaissée. Une initiative émanant du privé, le « Kolkata Museum of Modern Art » (KMoMA), appelle à dynamiser et structurer le champ des arts plastiques dans le pays. Active depuis de nombreuses années en tant que collectionneuse et fondatrice du premier centre d’art contemporain indien, à Calcutta, j’ai eu la chance de rencontrer Rakhee Sarkar, directrice du futur KMoMA,. Elle veut faire de ce projet inédit un modèle institutionnel à la mesure des grands musées internationaux. Ce musée, qui sera le premier de la ville à être consacré à l’art moderne et contemporain, devrait ouvrir en 2015. Il s’agit de l’un des plus grands chantiers architecturaux qui aient été entrepris depuis les années 1950 et la construction de Chandigarh par Le Corbusier. La collection, dont le contenu n’est pas encore dévoilé, compose avec les enjeux culturels de la mondialisation et d’un passé colonial. Elle accorde aussi une large place à l’art national. Dessiné par les architectes suisses Herzog & de Meuron (à l’origine du stade de Pékin « nid d’oiseau » des Jeux Olympiques), le KMoMA, en construction depuis juillet dernier dans la nouvelle ville de Rajarhat (tout près de Calcutta), relève d’un partenariat inédit public-privé. Si un tiers du budget est levé auprès des privés, deux tiers seront octroyés par le gouvernement du Bengale Occidental. Comme l’explique Rakhee Sarkar, elle-même galeriste, Calcutta a deux cents ans d’intérêt dans l’engagement culturel, définitivement plus qu’à Delhi ou Bombay. C’est la ville où le modernisme indien est né sur le plan politique, économique et culturel. Il existe à Calcutta quinze musées ne disposant pas de lieux pour exposer. Une partie de leurs collections pourrait être abritée au KMoMA. Déjà des artistes et des successions ont exprimé le désir de faire des dons. Ce musée servira de prototype en aidant à développer l’expertise. Le KMoMA est également envisagé comme un centre pluridisciplinaire capable de répondre aux attentes à la fois du milieu international et d’un public local caractérisé par de fortes disparités socioculturelles. Mais ce qui distingue les ambitions de ce projet est sans conteste l’activité qu’abritera l’une des ailes du musée, dévolue à l’enseignement de l’histoire de l’art, la muséologie, l’administration culturelle et la restauration. Cette « académie » intégrée au musée est le signe de l’urgence pour le pays de se doter de professionnels de l’art. Ainsi, le KMoMA entend œuvrer à l’amélioration des conditions d’exposition, de conservation et de circulation de l’art indien. Le MoMA de New York a promis, lors du « Symposium international sur les musées du futur » organisé à Calcutta en mars 2009, de soutenir ce développement à travers un programme d’échange impliquant des curateurs indiens. Rakhee Sarkar, également à la tête du comité sur l’art et le marché de l’art au sein de la Fédération de la chambre de commerce et de l’industrie indienne, souligne le rôle du secteur privé dans la mise en place d’une politique culturelle. A cet effet, elle pointe la nécessité d’alléger le système de taxes qui régissent le commerce de l’art et le mécénat en Inde, et espère être entendue.

Entretien avec la presse pour évoquer la coopération culturelle entre la France et l’Inde

En compagnie de l’Ambassadeur de France, M. François Richer, et du directeur de l’Institut de Chandernagor, M. Rila Mukherjee, nous avons rencontré des journalistes du Telegraph pour aborder la question du développement de partenariats entre la France et l’Inde en matière culturelle. En janvier dernier, l’Inde et la France ont conclu un accord afin de soutenir les échanges dans le domaine de la culture et du patrimoine. Une déclaration conjointe de nos ministres respectifs de la culture précise ainsi les grands axes de cette coopération dans les domaines des musées, du patrimoine et des échanges artistiques. Cette coopération pourra se traduire par des échanges de spécialistes et professionnels de musées, l’organisation d’ateliers ou de séminaires, afin de mieux cibler l’expertise scientifique et culturelle recherchée ; l’organisation d’expositions dans le domaine de l’art contemporain ; des actions pour accroître les capacités des musées sur des thématiques précises ; les collections d’art indien des musées nationaux français ainsi que les collections d’art français détenues par les musées indiens, seront valorisées dans le cadre de cette coopération. J’ai évoqué l’idée des jumelages, formidable opportunité pour resserrer les liens, renforcer nos échanges et faciliter les dialogues culturel, artistique et touristique entre nos deux pays.

En terminant par une visite éblouissante de la ville de Chandernagor, située sur les rives du Gange, à une trentaine de kilomètres de Calcutta, je suis repartie de l’Inde persuadée de la nouvelle impulsion donnée aux liens culturels existants entre nos deux pays, et impatiente de découvrir les résultats de ces efforts pour promouvoir la connaissance et la compréhension mutuelle de nos cultures et de nos civilisations.