“Nous vous avons attendu si longtemps, Madame…” s’exclama en ouverture de son discours le Président du Prix Nobel, Thorbjorn Jagland. Les règles du Prix Nobel, devait-il rappeler, font que si un lauréat ne peut se rendre à Oslo pour recevoir son Prix, il doit le faire dans les 6 mois. Pour Suu Kyi, il fallut attendre…21 ans.
21 ans de détention aux mains de la Junte militaire birmane, 21 ans de souffrances et de solitude loin des siens, 21 ans d’attente et d’espoir. Mais elle l’avait promis, son premier voyage hors de Birmanie serait pour la Norvège, là où son fils aîné Alexander avait reçu en son nom, il y a 21 ans, le Prix Nobel de la Paix, mais où il lui fallait encore prononcer son discours d’acceptation du Prix.
Entre-temps Aung San Suu Kyi est devenue une véritable icône, une autorité morale qui force l’admiration. Adulée des Birmans pour son courage, sa pugnacité, sa détermination dans sa lutte pour le rétablissement des libertés et des droits fondamentaux dans ce pays martyrisé. Intransigeante avec ses valeurs, elle leur a sacrifié, avec une immense dignité son bonheur personnel, leur dédiant sa vie entière.
L’émotion était immense en ce 16 juin 2012 dans cette magnifique salle du City Hall d’Oslo où se décernent les Prix Nobel. Quel bonheur pour moi d’être là pour vivre un tel moment de grâce et de plénitude, loin des petites médiocrités du quotidien.
On m’avait dit que, hormis l’ambassadeur de France, je serais la seule française présente. Faux ! A mes côtés se trouvaient Luc Besson, son épouse et l’actrice Michelle Yeoh incarnant Suu Kyi dans leur film “The Lady” Un peu plus tard, je retrouvais aussi Marie-Laure Aris, grande amie française de Londres, et belle-sœur de Suu Kyi. C’est elle qui la première m’avait sensibilisée, il y a plus de 20 ans, au combat de Suu Kyi et aux violences subies par le peuple birman dans un article qu’elle avait écrit dans le magazine que je publiais alors pour les Français du Royaume-Uni, Trait d’Union. Depuis je n’avais eu de cesse de tenter de mobiliser, à mon petit niveau mais avec l’aide d’ONG ou dans le cadre du groupe d’information dont on m’avait confié la présidence au Sénat l’opinion publique sur la situation en Birmanie.
Suu Kyi est libre aujourd’hui, mais son peuple continue de souffrir, et les violences ethniques et la répression font rage. Encore tout récemment, alors que je devais recevoir au Sénat pour une réunion de travail le dissident birman Min Ko Naing, j’apprenais que sa visite était annulée, les autorités birmanes lui ayant refusé un visa de sortie.
Comment ne pas être émue en écoutant Suu Kyi, si digne, si droite évoquer les souffrances de son peuple, la nécessité de libérer tous les prisonniers de conscience, mais aussi faire l’éloge de la démocratie, et de la bonté, en envoyant un message d’espoir, non seulement à son peuple, mais aussi à tous ceux qui souffrent de par le monde, et un message soulignant la responsabilité de chacun pour construire un monde meilleur :
« Des douceurs de l’adversité – et laissez-moi dire qu’il y en a peu, j’ai trouvé que la plus douce, la plus précieuse, a été d’apprendre la valeur de la bonté. Chaque signe de bonté que j’ai reçu, petit ou grand, m’a persuadée qu’il ne pourrait jamais y en avoir assez dans notre monde. Etre bon, c’est répondre avec sensibilité et chaleur humaine aux espoirs et besoins des autres. Même la plus brève touche de bonté peut illuminer un cœur lourd. La bonté peut changer la vie des gens. »
(A lire : Le Figaro du 16/06/21012)