Question écrite n° 01103 adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, publiée le 26/07/2012 :
Mme Joëlle Garriaud-Maylam attire l’attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le caractère urgent d’une harmonisation des droits de la famille au sein de l’Union européenne et, en particulier, entre la France et l’Allemagne.
Elle rappelle que des accords comme « Bruxelles II bis » ou « Rome III » vont dans le sens de l’application de la législation de l’État de résidence habituelle du couple pour régler les conséquences d’un éventuel divorce et la détermination du partage des responsabilités parentales. Il est impératif que de telles décisions soient mises en œuvre dans le respect de l’intérêt supérieur des enfants à entretenir des relations personnelles avec ses deux parents, et du droit des parents à bénéficier d’un procès équitable à l’étranger.
Certaines spécificités du droit de la famille allemand semblent ne pas entièrement respecter ces impératifs. Le 12 juillet dernier, la commission des pétitions du Parlement européen a ainsi voté une série de recommandations à ce sujet, rappelant notamment aux autorités allemandes la nécessité de maintenir autant que possible des contacts entre les enfants et leurs deux parents, ainsi que tous leurs grands-parents et frères et sœurs. Depuis 2006, ce sont en effet plus de 120 pétitions dénonçant les procédures allemandes en matière de divorce et de garde d’enfants qui ont été reçues par le Parlement européen.
Un parent, en Allemagne, peut beaucoup plus facilement qu’en France perdre tout droit de garde sur ses enfants. En France, une procédure de référé devant le Juge aux affaires familiales est toujours contradictoire et susceptible de recours. En Allemagne, dans une telle situation, l’ordonnance provisoire (Einstweilige Anordnung) rendue par le juge d’instance n’est pas contradictoire, ne laissant aucune possibilité au parent incriminé de se défendre. Elle n’est pas susceptible de recours : seul un jugement sur le fond peut l’infirmer, mais la pratique montre qu’il n’intervient qu’à l’issue d’une procédure souvent extrêmement longue tout au long de laquelle l’un des parents demeure coupé de tout lien avec ses enfants, et qu’il se contente généralement d’avaliser la première décision rendue.
Le rôle de l’Office allemand pour la protection de la jeunesse (Jugendamt) a également été mis en cause dans de nombreuses pétitions adressées au Parlement européen, pour son implication à tous les niveaux des procédures judiciaires familiales, sans équivalent dans les autres États membres. En vertu du code civil allemand, il peut notamment subroger les droits du parent allemand pour exiger, sans décision judiciaire, par simple lettre au parent étranger, le versement d’une pension alimentaire dont il a lui-même fixé le montant (Beistandschaft). En cas de non paiement, des pénalités pour retard seront appliquées et le Jugendamt pourra aller jusqu’à exiger une saisie, par voie d’huissier, même sur le territoire français.
La compatibilité de ces spécificités législatives allemandes avec la Convention européenne des droits de l’Homme et avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne nécessiterait d’être analysée en détails.
Au vu de ces divergences en matière de dispositifs législatifs et de politiques familiales, l’harmonisation des droits matériels de la famille des Etats européens apparaît comme un préalable indispensable à la mise en œuvre des mécanismes d’entraide judiciaire. Elle souhaiterait donc savoir si le Gouvernement français est conscient de ces tensions et s’il peut s’engager à porter au niveau européen un débat sur la nécessité d’une telle harmonisation.
Faute de réponse, cette question écrite a été transformée en question orale, à laquelle la Garde des Sceaux a répondu le 21 mai 2013.