Jan 15 2013

Interview sur la Birmanie pour JOL Press

La Birmanie est en pleine transition. Une transition vers la démocratie, vers l’ouverture économique, vers la liberté d’expression. Une transition rapide et fulgurante qu’a observée la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam, présidente déléguée du groupe France-Asie pour la Birmanie.

La Birmanie a vécu une année 2012 historique, et 2013 ne s’annonce pas moins surprenante. Les autorités birmanes s’ouvrent au monde et laisse place à la démocratie. Petit à petit, le Myanmar se forge une place, oubliée depuis longtemps, sur la scène internationale, une place exemptée des sanctions internationales qui l’isolaient depuis longtemps. Les investisseurs frappent à la porte de la Birmanie et l’avenir semble désormais optimiste. Pourtant, les divisions religieuses sont également le quotidien du pays où plusieurs tribus s’affrontent dans des combats sanglants qui ont fait de nombreux morts cette année.

Pour la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam, présidente déléguée du groupe France-Asie du Sud-Est pour la Birmanie, s’il était essentiel de donner du crédit au régime, le chemin est encore long sur de nombreux plans.

L’année 2012 a été marquée par une grande ouverture de la Birmanie vers le monde. Quel est votre regard sur cette avancée démocratique ?

Sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam : L’image forte qui restera sera bien sûr celle de l’élection au Parlement d’Aung San Suu Kyi, qui a aussi pu profiter de sa nouvelle liberté de mouvement pour mener une véritable tournée internationale et venir chercher son prix Nobel de la Paix qui l’attendait à Oslo depuis 1991.

Au-delà de ces symboles, la transition entamée en 2011 est profonde. Il est remarquable qu’elle procède d’une volonté de démocratisation émanant du régime lui-même. La dissolution de la junte, la légalisation du parti d’opposition, la libération de nombreux prisonniers politiques et la mise en œuvre de mesures de libéralisation des médias n’ont ni été dictées par une révolution de la rue du type « printemps arabe », ni été provoquées par l’évolution du rapport de force avec l’opposante n°1 Aung San Suu Kyi, ni été imposées par une intervention de la communauté internationale.

Les répercussions de cette politique d’ouverture sont considérables, notamment en termes d’équilibres géopolitiques. La fin des sanctions imposées par l’Occident sort la Birmanie de son face-à-face avec la Chine, qui jusqu’alors était le principal pays continuant à commercer avec elle. Les États-Unis, mais aussi le Japon, se montrent particulièrement actifs pour développer leur positionnement dans le pays. L’Union européenne doit elle aussi rapidement démontrer sa détermination à agir aux côtés des Birmans. Au-delà des évidents intérêts commerciaux, il en va de l’intérêt de la population et de la stabilité géopolitique de la région.

Lors d’une récente déclaration, la députée d’opposition Aung San Suu Kyi a estimé qu’il fallait être prudent face aux mesures du gouvernement afin de ne pas se satisfaire de ces premiers efforts. Qu’en pensez-vous ?

Sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam : Donner crédit au régime pour les premières mesures de démocratisation était indispensable. Cela ouvre des opportunités de coopération et permet d’accompagner et d’encourager la transition. En novembre, le vote par l’ONU d’une résolution reconnaissant ces progrès a ainsi permis de rappeler au gouvernement l’urgence de prendre des mesures pour mettre fin aux affrontements dans les États de Kachin et de Rakhine.

Il n’est bien sûr pas question de s’en satisfaire. Le chemin est encore long, tant en matière de développement économique que d’élargissement des libertés civiles. La population reste pour l’instant peu associée à cette transition, dont les impacts concrets sur la vie du peuple sont encore limités. Il faut dire que de trop nombreux groupes sociaux ont intérêt à freiner les réformes, qu’il s’agisse de trafiquants de drogues, d’extrémistes ou simplement de privilégiés de l’ancien régime. Il revient maintenant au gouvernement de transformer l’essai en allant au-delà des premières (et spectaculaires !) mesures d’affichage.

La Birmanie abrite sur son territoire des membres de la tribu des Rohingyas, considérés comme la minorité la plus persécutée au monde. Des chrétiens sont également persécutés et de nombreuses voix s’élèvent pour appeler à la paix confessionnelle dans cette région. Peut-on vraiment parler de démocratisation lorsque de telles persécutions existent encore ?

Sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam : Paradoxalement, la démocratisation a aussi facilité la diffusion des idées radicales, jusqu’alors contenues par la junte. Les mouvements extrémistes distribuent librement leurs tracts, tandis que le développement d’Internet et des réseaux sociaux a facilité la propagation des messages de haine et l’organisation d’actions collectives violentes telles que celles lancées en juin dernier.

Cela dit, la persécution des Rohingyas n’est pas récente. Elle s’ancre dans l’histoire coloniale, et leur engagement aux côtés de l’armée britannique. La junte leur a d’ailleurs retiré la nationalité birmane en 1982, faisant d’eux des apatrides. Des préjugés tenaces à l’encontre de ces musulmans perçus comme des « immigrés illégaux venus du Bangladesh » existent au sein de la majorité Rakhine bouddhiste. Mais ils semblent instrumentalisés depuis des années par le régime, qui ambitionne de renforcer l’unité du pays en promouvant le bouddhisme comme fondement de l’identité birmane, quitte à soumettre les « ennemis intérieurs » à des arrestations arbitraires et à des travaux forcés.

L’attachement à une religion « étrangère » explique aussi largement les exactions dont sont victimes les minorités chrétiennes, et notamment parmi les Karens et Kachins d’origine tibétaine, ainsi que les Chins protestants.

Quels sont, selon vous, les grands défis de la Birmanie pour 2013 ?

Sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam : L’urgence est bien sûr à l’arrêt des violences, tant dans le conflit entre l’armée birmane et les autonomistes au Kachin qu’en matière de violences intercommunautaires. Dans un pays dont près d’un tiers de la population n’est pas Bamar, il est essentiel de garantir les droits des minorités ethniques et religieuses.

L’autre axe est celui d’un développement économique partagé. La Birmanie possède de nombreuses ressources naturelles (pétrole, gaz, mines, bois,…) : il faut lutter contre l’accaparation de ces richesses par une minorité et contre la corruption endémique, ce qui prendra du temps. Ceci servirait non seulement l’intérêt de la population, mais aussi la sécurité régionale. On l’oublie trop souvent, la Birmanie demeure le deuxième producteur de drogues au monde après l’Afghanistan.

Dans cette perspective, il est indispensable pour la Birmanie de réussir la restructuration des corps intermédiaires quasiment éliminés par l’ancien régime. L’armée et les corps monastiques continuent à jouer un rôle trop important, tandis que les administrations sont faibles et mal formées, les professions libérales marginalisées et le système éducatif peu mis en valeur. La France a très certainement une expertise à partager en la matière.

Source : JOL Press