Jan 16 2013

Mali : audition à huis-clos de Jean-Yves Le Drian par la Commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat

Ayant protesté contre l’absence de réunion de la commission des affaires étrangères du Sénat avec le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian avant la décision de François Hollande d’engager la France dans un conflit armé au Mali il y a 5 jours, je me suis réjouie que notre commission puisse l’auditionner aujourd’hui à l’heure du déjeuner, juste avant que Laurent Fabius n’intervienne dans l’hémicycle et que je ne parte moi-même intervenir dans un colloque sur le désarmement humanitaire avec le Prix Nobel de la Paix Jody Williams.

Cette réunion s’étant déroulée à huis clos, je suis bien sûr tenue de respecter la confidentialité des échanges, ce qui ne m’empêche pas de réaffirmer ma position, dont j’ai fait part au ministre.

Je l’avais déjà dit au journaliste de Public Sénat lundi (et j’étais alors semble-t-il assez seule, comme le reflète le titre de son article « Mali : les sénateurs font (presque) tous corps derrière l’exécutif »), si je soutiens le principe d’une intervention française dans ce pays, l’apparente précipitation avec laquelle celle-ci a été déclenchée me semble contre-productive.

Certes, la situation au Mali est extrêmement préoccupante, et présente des risques de déstabilisation régionale, avec des conséquences potentiellement graves pour l’Europe. Certes le Président du Mali a fait appel à la France. Mais cette menace et cette demande justifiaient-elles un engagement aussi soudain et donc – et c’est là ma principale préoccupation – solitaire de la France ? N’aurait-il pas été souhaitable d’intensifier les efforts diplomatiques pendant quelques jours afin de parvenir à un engagement collectif ? L’ONU, par sa résolution du 20 décembre, avait donné son feu vert au déploiement d’une force dont il était spécifié qu’elle devait être internationale. Le 10 janvier, suite à l’attaque de la ville de Konna, elle a demandé un déploiement rapide d’une telle force internationale. Cela légitimait-il une intervention en solo de France… comme celle décidée par François Hollande dès le lendemain ?

Avec un peu plus de préparation, peut-être aurions-nous pu éviter nos premières pertes humaines, et la prise de nouveaux otages. Sans doute aurions-nous pu obtenir aussi un engagement plus concret des forces armées partenaires si elles avaient davantage associées à la préparation de cette intervention. Souvenons-nous, comme je l’ai rappelé aujourd’hui au Ministre,  de ce qui s’était passé lorsque Nicolas Sarkozy avait décidé d’intervenir en Libye, en partenariat avec le Royaume-Uni. Au-delà du soutien en belles paroles, les États-Unis ou les États membres de l’Union européenne n’ont promis aujourd’hui qu’une aide logistique, forcément restreinte. Il nous faudrait la présence d’une vraie force européenne, aguerrie et particulièrement bien formée. Quant à la mise à disposition d’hommes par la Cedeao, elle sera limitée en nombre et risque de ne pas intervenir aussi rapidement que souhaité, d’autant que la formation envisagée pour  ces troupes n’a pas encore vraiment eu lieu. Cet engagement solitaire est d’autant plus gênant au regard de l’Histoire de la présence française dans la région, de l’extrême sensibilité de nos amis africains sur ces questions,  certains nous accusant déjà de néocolonialisme.

Quid également du coût d’une telle opération, en cette période de crise où le budget de la défense subit des coupes sèches et au lendemain d’un retour anticipé d’Afghanistan qui a entraîné des surcoûts? Ne devrait-on pas faire partager la charge financière de cette opération à la communauté internationale ? Notre armée est d’une qualité exceptionnelle, mais encore faut-il qu’elle ait à sa disposition tous les outils indispensables, et cela coûte très cher. Je note par ailleurs que certains à gauche critiquaient notre présence militaire en Afrique, alors que c’est justement le pré-positionnement de troupes dans la zone qui a permis une réaction aussi rapide –j’avais pu apporter mon soutien à ces militaires lors de mes récents déplacements au Gabon et au Sénégal.

La non-consultation préalable du Parlement (a minima par une réunion à huis clos des commissions en charge des questions de défense à l’Assemblée nationale et au Sénat), même si la constitution ne l’exige pas,  est regrettable et les louvoiements français ne sont guère plus rassurants :

  • Le 24 décembre, dans La Croix, Jean-Yves Le Drian évoquait l’envoi d’un contingent européen de 400 militaires avec comme seule mission de former l’armée malienne, soulignant que ces militaires ne participeraient pas aux opérations de combat et affirmant : « C’est aux Africains d’intervenir militairement, pas aux Français ou aux Européens ».
  • Vendredi 11 janvier, François Hollande indiquait que les moyens déployés par la France devaient être « strictement limités » par rapport à l’objectif de la préparation du déploiement d’une force d’intervention africaine. Pourtant, mardi 15 janvier, cet objectif avait déjà évolué : il s’agirait désormais directement d’aider le Mali à recouvrer son intégrité territoriale…alors même que le territoire du Mali est deux fois plus étendu que celui de la France.

Outre les risques pour la France de l’enlisement d’un « combat sans merci contre le terrorisme » (qui n’est pas sans rappeler la rhétorique qui a mené les Américains à l’embourbement en Afghanistan), je m’inquiète, tant pour nos ressortissants dans ce pays que pour nos forces armées sur place – et en particulier celles envoyées au sol – et pour les populations civiles maliennes : s’il est important de les protéger contre la folie islamiste, ceci ne doit pas pousser à négliger les fondements du droit international humanitaire.

N’oublions pas, enfin, que ce sont le sous-développement, la non prise en compte des revendications des touaregs et la faiblesse de l’État de droit qui ont fait le lit du terrorisme et des dérives islamistes. Cette désintégration rapide du Mali, en l’espace d’une année seulement, nous rappelle tragiquement que l’aide au développement n’est pas un « luxe » ou une action charitable, mais bien un instrument stratégique de prévention des crises.