Invitée comme observateur des élections en Arménie, je commence mon court séjour dimanche 17 février par un dîner d’échanges politiques sur ce pays avec les autres parlementaires observateurs (Eva Joly, François Rochebloine et René Rouquet) et l’Ambassadeur de France Henri Raynaud, que j’avais rencontré lorsqu’il était Consul général à Francfort où il avait prononcé un magnifique éloge funèbre à notre ancienne collègue AFE d’Allemagne, Catherine Urban.
Les élections ont lieu le lendemain, lundi 18 février. Ma journée se passera en visites de bureaux de vote à Erevan et dans les petites villes avoisinantes du Nord avec mon comparse pour la mission, l’ancien Ambassadeur de Hongrie à Paris et aux Nations-Unies, André Erdos. Première surprise, la tension semble moins forte qu’on ne l’avait annoncé en Europe de l’Ouest. Certes un candidat fait une grève de la faim et un autre aurait subi une grave tentative d’attentat, au point qu’il avait été question de reporter l’élection. Certes les présidentielles précédentes, en 2008, s’étaient déroulées dans un climat de violence et d’affrontements ayant fait 10 morts. Les manquements à la démocratie avaient alors été manifestes. Mais aujourd’hui les tensions sont surtout politiques et militaires et se concentrent à la frontière avec l’Azerbaïdjan, des escarmouches ayant fait plusieurs morts ces dernières semaines et le conflit du Haut-Karabakh, malgré le cessez-le-feu de 1994 après une guerre ayant fait plus de 30 000 morts, semblant toujours bien loin d’une résolution, la médiation assurée depuis 1997 par la coprésidence tripartite du « Groupe de Minsk » de l’OSCE ( France, Etats-Unis, Russie) n’ayant guère progressé depuis la déclaration de Muskoka de juillet 2010.
Moscou renforce aujourd’hui sa présence militaire dans le pays, et il y a un mois à peine, Serge Sarkissian avait déclaré avec force qu’en cas de nécessité « il y aura riposte et plus jamais le peuple karanakhi ne sera confronté à la liquidation physique. L’Arménie le garantit »
Dans les rues, rien n’indique qu’une élection présidentielle est en cours. Quasiment aucune affiche électorale, même dans le centre, pas d’attroupements, quasiment pas de files d’attente aux bureaux de vote.
Ce qui frappe plutôt, dans cette ex-république soviétique en proie à un chômage largement lié au blocus économique dont elle est victime, c’est le sentiment de tristesse, de résignation et de fatalisme qui semble y régner. Le Président sortant Serge Sarkissian est donné très largement vainqueur dès le premier tour. Comme me le prédira avec une ironie amère –mais beaucoup de justesse -une journaliste arménienne, bien avant le début du dépouillement, les habitudes soviétiques de contrôle n’ont pas totalement disparu, et, même si Sarkissian ne faisait en réalité que 25 % des voix, il en ferait au final 58%, pour éviter à la fois un deuxième tour et pour renforcer sa crédibilité. Et c’est bien le résultat qui sortira des urnes, alors même que dans le bureau de vote dont je contrôle attentivement le dépouillement, l’ancien ministre des affaires étrangères, né aux États-Unis et pro-européen Raffi Hovhanissian arrive largement en tête..
Le 19 février est une journée de bilan de nos opérations de contrôle électoral. Mais je m’éclipserai de la conférence de presse de présentation de nos observations électorales (plutôt positives, de réels progrès de transparence et d’organisation ayant été accomplis pour cette élection) pour me rendre, en compagnie du Premier Conseiller de l’Ambassade, Isabelle Guisnel, à un rendez-vous avec la Ministre de la Diaspora arménienne, Madame Hanouche Hakobian. Un ministère extrêmement important puisque l’on estime à 7 millions (dont 700 000 en France) cette diaspora arménienne. Hanouche Habokian, femme d’une énergie considérable a su faire de ce ministère, créé il y a 4 ans par elle un tremplin exceptionnel d’influence pour son pays. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les dizaines de livres publiés sur la diaspora, les annuaires et chronologies annuelles énumérant toutes les manifestations organisées dans le monde par cette diaspora. Rien qu’avec la France, 24 jumelages ont été créés.
Il y a cinq ans a été promulguée une loi autorisant la double-nationalité, ce qui a permis à un grand nombre de membres de la Diaspora d’acquérir cette nationalité, et de participer aux élections en Arménie, à condition de pouvoir s’y rendre en personne le jour du vote
Mais l’essentiel de ses efforts ces derniers temps s’est concentré sur l’accueil des réfugiés arméniens de Syrie, en provenance d’Alep où vivaient plus de 80% des membres de cette communauté. Plus de 7000 personnes sont déjà arrivées en Arménie, ce qui n’est pas sans conséquences sur un pays avec 20% de chômeurs et peu de logements disponibles à Erevan. Des cours en arabe sont offerts aux enfants, et une nouvelle école a été créée avec 300 écoliers et 16 enseignants, tous réfugiés de Syrie.
Elle aussi souhaiterait une coopération intensifiée avec la France avec en particulier la création d’un centre d’hébergement qui pourrait accueillir quelques dizaines de familles..
La journée du lendemain, 20 février, sera entièrement « française » et commencera par une une matinée consacrée à l’approche de notre présence culturelle française dans ce pays, avec la visite, en compagnie de notre attaché de coopération Fabien Neyrat de nos deux écoles françaises et de l’Alliance française.
L’école française d’Erevan est en effet constituée de deux établissements distincts, une école maternelle, homologuée, créée en 2002 sous statut d’association avec une directrice arménienne. En 2007 est créée l’école primaire, complétée d’un collège CNED avec un statut de Fondation de droit arménien et un directeur titulaire français en contrat local, Martin Becker. En 2009 l’école primaire s’est engagée dans un partenariat avec la Mission laïque française, mais seuls les niveaux de CP et CE1 sont homologués. De cet éclatement géographique découlent un certain nombre de difficultés budgétaires: coûts de 2 structures face à un faible effectif global (148 élèves de la maternelle au CNED) et niveau d’écolage insuffisant ne permettant pas de dégager une capacité d’investissements suffisante pour l’indispensable achat d’une structure unique, mieux adaptée et permettant une scolarisation jusqu’au baccalauréat. Ces écoles n’accueillent que 32% d’élèves français (en fait franco-arménien) 76 enfants français n’y sont pas scolarisés, certains d’entre eux ayant été retirés de l’école à la suite d’une diminution du montant des bourses leur ayant été octroyées.
L’enseignement français à Erevan se trouve donc à la croisée des chemins. Il lui faut absolument un projet d’établissement commun aux deux écoles, mais il faut aussi trouver un emplacement qui puisse permettre un regroupement des deux structures et de meilleures conditions éducatives. Des études et une recherche d’établissement sont en cours..A suivre donc..
La visite des nouveaux locaux de l’Alliance française, que dirige Susan Gharamyan avec l’aide de Constance Roubière constitue une belle surprise, Les locaux sont superbes, lumineux, accueillants et la directrice et sa conseillère sont pleines d’idées pour le développement de l’Alliance qui rencontre un beau succès à Erevan. L’Arménie est, depuis 2012, membre à part entière de l’Organisation de la Francophonie, et beaucoup de jeunes arméniens commencent à considérer le français comme un atout indispensable pour une carrière dans les organisations internationales ou… au Québec.
Après un déjeuner avec l’Ambassadeur et son équipe, je consacrerai tout mon après-midi à une permanence à l’écoute de nos compatriotes d’Arménie. J’y rencontrerai des gens passionnants, comme par exemple Christophe de Vartavan, fondateur et directeur d’un centre d’égyptologie à l’université d’Erevan. Mais surtout, je vais être très frappée, très émue par certaines situations très douloureuses. Des compatriotes mono ou binationaux, issus de ces familles allées en France pour fuir le génocide de 1915 et retournées en Arménie dans les années 40. Beaucoup n’ont jamais acquis la citoyenneté arménienne, mais ne parlent pas ou plus le français et n’ont pas eu accès à l’éducation en français. Je pense en particulier à ce vieux monsieur de près de 80 ans, sans la moindre famille, et extrêmement digne dans sa détresse, alors qu’il n’a comme seules ressources que… 30 Euros par mois. Toute sa vie, il a travaillé comme simple main-d’œuvre mais, faute de nationalité arménienne (qu’il ne peut s’offrir du fait de son coût qu’il juge prohibitif.. quelques euros !) ne peut même pas prétendre à une retraite, pourtant bien maigre, puisqu’elles se situent en moyenne aux alentours de 50 euros par mois.
Je pense aussi à cette veuve franco-arménienne, endettée pour financer les soins santé de son mari, et qui, parce qu’elle n’a jamais travaillé pour pouvoir s’occuper de son mari, ne bénéficie d’aucune retraite et ne peut vivre que sur les 18 Euros mensuels accordés à son fils de 17 ans pour l’aider à payer ses études d’agriculture.
Alors bien sûr pour eux, j’insisterai pour que le Consulat revoie leurs dossiers et que le CCPAS leur attribue une aide financière. J’enverrai également leurs dossiers à la ministre de la Diaspora, pour qu’elle les réintègre dans la citoyenneté arménienne pour qu’ils puissent au moins avoir droit à leur minuscule retraite. Mais quelle tristesse de penser que des Français puissent se trouver dans une telle misère. ..
Ma journée se terminera sur une note beaucoup plus positive, avec la réception offerte par l’Ambassadeur dans la magnifique rotonde de l’Ambassade, joyau de l’architecture des années 30. L’occasion là encore de rencontrer à la fois des ministres et personnalités arméniennes de premier plan et des compatriotes passionnants, tous très impliqués dans le développement de ce pays (comme le recteur de l’UFAR, Université française en Arménie qui forme en droit commerce et gestion 800 étudiants par an en partenariat avec l’université Lyon III) , et d’évoquer des projets d’avenir : outre la mise en place d’un lycée, pierre angulaire d’un développement de notre présence dans le pays (seuls 769 Français, à 85% des franco-arméniens, sont enregistrés sur le registre) , un renforcement de notre présence économique. Si nous sommes déjà le 2ème investisseur étranger, si des entreprises françaises sont présentes ds les télécommunications (Orange) l’agro-alimentaire (Pernod Ricard) et le domaine de l’eau (SAUR, Veolia), si notre coopération décentralisée est très dynamique, nos échanges commerciaux restent trop faibles avec un volume de 60 millions d’Euros en 2011.