Mon intervention dans la discussion générale du Projet de loi sur la représentation des Français hors de France :
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la réforme dont nous débattons aujourd’hui me paraît apporter, sous une apparence séduisante, une série de réponses hâtives et inadaptées à de vraies questions.
C’est à partir d’un diagnostic posé depuis de longues années par l’Assemblée des Français de l’étranger elle-même que le Gouvernement justifie cette réforme. Oui, il faut renforcer la démocratie de proximité et accroître le rôle des élus de terrain ! Oui, il faut élargir le collège électoral des sénateurs représentant les Français établis hors de France – c’est une nécessité absolue ! Oui, il faut lutter contre l’abstention !
Mais, semble-t-il, le Gouvernement cherche moins à répondre à ces questions qu’à imposer, à la va-vite, des objectifs électoraux, quitte à aller à l’encontre des intentions officiellement énoncées. Comment expliquer, sinon, la précipitation actuelle ? Au lieu de se laisser un peu de temps pour organiser une réforme ambitieuse et concertée, le Gouvernement opte pour le passage en force, avec pour principal objectif de remodeler le collège des grands électeurs avant les sénatoriales de 2014.
Il est d’ailleurs intéressant de constater le flou avec lequel on essaie de dissimuler ce déni de démocratie, sans doute dans le vain espoir que les électeurs ne comprennent pas que leur vote a été trahi. S’il ne s’agissait que d’accélérer le rythme de mise en œuvre d’une réforme, certes électoraliste, mais par ailleurs utile, pourquoi pas ? Mais tel n’est pas le cas. Tentons donc d’évaluer cette réforme à l’aune des objectifs énoncés par le Gouvernement.
Le premier but affiché est de développer la démocratie de proximité et d’améliorer la représentativité des élus au niveau local, mais le Gouvernement ne fixe aucun objectif et ne prévoit nullement de renforcer les moyens accordés aux élus.
La multiplication par trois du nombre d’élus de terrain à budget constant se traduira mathématiquement par une importante diminution des moyens qui leur seront alloués, sans pour autant donner le gage d’une meilleure proximité. Les consulats à gestion simplifiée n’auront ainsi pas de conseiller consulaire. À l’inverse, on pourra compter jusqu’à neuf conseillers rattachés à un seul et même consulat, parfois là même où les Français ont le moins besoin d’aide.
Le silence assourdissant du projet de loi quant aux missions dévolues aux futurs conseillers consulaires est de mauvais augures : aucune compétence nouvelle ne leur est dévolue et la principale fonction qui leur est assignée consiste à participer aux réunions, forcément rares, d’un conseil consulaire dépourvu de pouvoir décisionnel réel, le tout sur fond d’isolement des élus.
En effet, la force des actuels conseillers à l’AFE réside dans leur capacité à travailler collectivement avec des élus d’autres zones géographiques et en interaction avec les ministères et les responsables des administrations à Paris. Les nouveaux conseillers consulaires, eux, seront cantonnés au face à face avec le consul de leur circonscription et auront bien du mal à jouer un rôle de contrepoids face à l’administration consulaire. C’est sans doute là l’un des objectifs à peine cachés du Gouvernement…
Le deuxième objectif était l’élargissement du collège électoral des sénateurs.
Sans cette réforme, en 2014, 166 grands électeurs éliraient 6 sénateurs, soit une moyenne de 28 voix par sénateur : c’est évidemment trop peu. Avec la réforme, environ 520 élus éliraient les 12 sénateurs, soit une quarantaine de voix par sénateur : c’est mieux, mais guère mieux ! Un résultat similaire, et même meilleur, aurait été obtenu si le Gouvernement avait suivi les préconisations de la commission des lois de l’AFE, afin que les suivants de liste des élus à l’AFE soient intégrés au collège électoral.
C’est même un véritable recul démocratique qui est proposé, avec la possibilité pour les grands électeurs de remettre leurs bulletins de vote directement aux ambassadeurs et consuls. L’Antiquité grecque a inventé les urnes ; la gauche française invente le vote de la main à la main !
Enfin, la réforme prétend améliorer la cohérence de la représentation des Français de l’étranger et l’articulation entre parlementaires et élus locaux.
Le projet de loi entend « recentrer » l’AFE sur sa mission consultative auprès du Gouvernement. Il s’agit donc de retirer aux élus la plupart de leurs prérogatives actuelles, sous le prétexte fallacieux que les députés peuvent maintenant s’en occuper. Vous vouliez même revenir – un comble ! – sur l’élection au suffrage universel direct de l’AFE, acquise voilà trente ans.
Quant au recentrage sur le rôle de conseil du Gouvernement, il est clairement illusoire. Si un organisme aussi important que le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, avec un budget annuel de 38 millions d’euros, n’est saisi par le Gouvernement que trois fois par an en moyenne, quel niveau d’attentes peut-on raisonnablement satisfaire avec une AFE qui ne se réunirait qu’une semaine par an et dont le budget annuel plafonnerait à 235 000 euros, coût du voyage des élus à Paris inclus ? Les projections budgétaires de l’étude d’impact montrent d’ailleurs qu’il faudra effectuer des choix entre le financement des déplacements des élus dans leur circonscription et les études commandées par l’AFE.
En privant les élus à l’AFE de l’onction du suffrage universel, de missions et de budget, nul doute que l’objectif du Gouvernement est de faire la preuve de l’inutilité de cette assemblée, avant de la supprimer totalement, sans doute.
L’histoire jugera de la pertinence de cette réforme à l’aune de la diminution du taux d’abstention, mais je doute que les mesures proposées aient un effet positif sur l’intérêt des Français de l’étranger pour des élus dépourvus de tout pouvoir.
Le millefeuille institutionnel s’épaissit encore un peu. C’est moins le mode d’élection des élus locaux des Français de l’étranger que le mode d’exercice de leur mandat qu’il aurait fallu revoir. L’accroissement des compétences des élus locaux et l’amélioration de la lisibilité du dispositif institutionnel auraient permis de mieux mobiliser les électeurs. La réforme reste également muette quant à la création d’un statut de l’élu local à l’étranger.
Dans la presse, madame le ministre, vous avez comparé les futurs conseillers à des élus municipaux, alors qu’ils seront dépourvus de toute compétence délibérative. Rapprocher le rôle des élus locaux des Français de l’étranger de celui de leurs homologues en France était pourtant possible. Des sénateurs des Français de l’étranger, de gauche comme de droite, avaient déposé des propositions en ce sens, que vous avez écartées d’un revers de main, sous le simple prétexte qu’elles auraient nécessité une réforme constitutionnelle. Sachant que quatre projets de loi constitutionnelle viennent d’être présentés mercredi dernier en conseil des ministres, une telle réforme était-elle vraiment impossible à réaliser ? Que signifie donc cette propension à vouloir détruire ce qui fonctionne, plutôt que de travailler à améliorer ce qui mérite de l’être ?
Pour avoir beaucoup réfléchi à la question des liens entre les expatriés et leur État d’origine pendant ces vingt dernières années, notamment en tant qu’expert auprès du Conseil de l’Europe, je peux vous dire que notre système de représentation des expatriés suscitait une admiration générale, et que de nombreux conseils de ce type avaient été créés de par le monde en prenant l’AFE, ou son ancêtre, le CSFE, comme modèle.
Certes, l’AFE est perfectible, et il fallait absolument élargir le collège électoral des sénateurs. Les élus de l’AFE, tous conscients de cette nécessité, vous avaient expliqué comment faire. Or, plutôt que de les écouter, plutôt que de conforter le rôle pionnier de la France en matière de représentation de ses expatriés, on choisit d’édulcorer et de fragiliser un système de représentation pourtant montré en exemple par de nombreux pays.
De toute évidence, c’est le système italien de représentation qui sert aujourd’hui de modèle, avec des comités locaux élisant un conseil général et des parlementaires, alors que nous, membres du CSFE puis de l’AFE, leur servions précisément d’exemple. Or tout le monde s’accorde aujourd’hui à reconnaître que ce système des COMITES italiens, équivalent des futurs conseils consulaires, s’il était assez efficace à ses débuts, lorsque des moyens importants lui étaient attribués, fonctionne maintenant très mal dans la plupart des pays, du fait notamment du manque de crédits ; il doit d’ailleurs être réformé.
Il est vraiment dommage que nous adoptions un système sans avoir procédé à une véritable évaluation de ses failles, de ses insuffisances et des remèdes envisagés pour l’améliorer. Mais, là encore, il nous aurait fallu un peu plus de temps, ce que nous refuse notre gouvernement.
Nous disposions pourtant d’une occasion unique pour renforcer notre image de pionniers dans l’appréhension des nouveaux enjeux de notre présence à l’étranger, en proposant de vraies avancées constitutionnelles, comme celle de « collectivité d’outre-frontière », proposée par notre collègue Christian Cointat.
Mais, au lieu de parachever l’avance française en étendant les principes de la décentralisation à nos communautés consulaires, la réforme ne propose qu’un frileux repli en créant des élus quasi-fantoches, cantonnés au rôle d’assistants bénévoles des consuls. Nous aurions pu pourtant, avec un peu plus de temps, parvenir à une vraie et belle réforme, dans l’intérêt de nos concitoyens.
En conclusion, je ne peux que regretter, avec une certaine amertume, le manque d’ambition de la réforme, le manque de franchise du Gouvernement quant aux véritables objectifs visés et ce simulacre de concertation organisé pour légitimer ce passage en force. Soyez sûrs toutefois qu’il ne trompera personne, et surtout pas les électeurs !