Oct 21 2013

Projet de loi de programmation militaire (2014-2019) – Statut des harkis

Extrait du compte-rendu intégral du 21 octobre 2013 :

Article 33

I. –Au premier alinéa de l’article 9 de la loi n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l’indemnisation des rapatriés, après les mots : « formations supplétives », sont insérés les mots : « de statut civil de droit local ».

II. – Les dispositions du I sont applicables aux demandes d’allocation de reconnaissance présentées avant leur entrée en vigueur qui n’ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée.

III. – La demande de bénéfice de l’allocation de reconnaissance prévue à l’article 6 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés est présentée dans un délai d’un an suivant l’entrée en vigueur de la présente loi.

M. le président. L’amendement n° 34 rectifié bis, présenté par MM. Gilles et Milon, Mme Bruguière, Mlle Joissains, M. Couderc, Mme Garriaud-Maylam, MM. Revet, Falco, Pintat, Doublet, D. Laurent, Bécot, B. Fournier, Lefèvre, Laufoaulu, Charon, Doligé et Leleux, Mme Sittler, MM. César, P. Leroy, Pierre et Dulait, Mme Lamure, MM. Houel, Cardoux et Legendre, Mme Mélot, M. Dufaut, Mme Deroche et MM. Bourdin, Reichardt, Poncelet et Gaillard, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

L’amendement n° 33 rectifié ter, présenté par MM. Gilles, Cléach et Milon, Mme Bruguière, Mlle Joissains, MM. Falco, Couderc et Cambon, Mme Garriaud-Maylam, MM. Revet, Pintat, Doublet, D. Laurent, Bécot, B. Fournier, Lefèvre, Laufoaulu, Charon, Doligé et Leleux, Mme Sittler, MM. César, P. Leroy, Pierre, Dulait et Ferrand, Mme Lamure, MM. Houel, Cardoux et Legendre, Mme Mélot, M. Dufaut, Mme Deroche et MM. Poncelet, Bourdin, Reichardt et Gaillard, et qui est ainsi libellé :

I. – Alinéas 1 et 2

Supprimer ces alinéas.

II. – Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

III. – Les indemnisations ou compensations concernant les anciens supplétifs de l’armée française en Algérie et assimilés, prévues par les lois n° 87-549 du 16 juillet 1987 relative au règlement de l’indemnisation des rapatriés, n° 94-488 du 11 juin 1994 relative aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie, n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999 et n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés s’appliquent à toutes les personnes concernées, quel qu’ait été leur statut (statut civil de droit local, statut civil de droit commun) et à leurs ayants droit.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour défendre ces deux amendements.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. L’amendement n° 34 rectifié bis vise à supprimer l’article 33. On nous demande en effet subrepticement, au détour d’un projet de loi de programmation militaire avec lequel elle n’a pas grand-chose à voir, de statuer sur la question des harkis, supplétifs et assimilés ayant combattu durant la guerre d’Algérie aux côtés de l’armée française.

Cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie, nous aurions pu espérer que tous les harkis et assimilés qui avaient combattu aux côtés de notre armée puissent, enfin, bénéficier de la reconnaissance de la France, une fois pour toutes.

Or le Gouvernement semble ne toujours pas vouloir clore ce dossier et nous propose d’ignorer la décision du Conseil constitutionnel publiée au Journal officiel le 4 février 2011, entérinée par la décision du Conseil d’État du 20 mars dernier.

En dépit de l’inconstitutionnalité de la mesure, considérée comme « dépourvue de base légale », il nous est demandé de réintroduire dans la loi un distinguo pour ces supplétifs, entre ceux, arabo-berbères, qui relèvent du statut civil de droit local et ceux, de souche européenne, qui relèvent du statut civil de droit commun.

Ainsi, avec l’article 33, le Gouvernement, après les deux décisions évoquées, ne mettra pas un point final aux parcours chaotiques et particulièrement humiliants des demandes de reconnaissance de ces deux catégories de forces auxiliaires en Algérie et entend pérenniser une discrimination dépourvue de base légale.

Alléguant le respect de la volonté du législateur, l’article 33 réintroduit donc une notion ségrégationniste entre des supplétifs ayant pourtant participé aux mêmes actions civiles et militaires au péril de leurs vies.

Outre son inconstitutionnalité, ce distinguo repose sur des appréciations dépassées de la situation des intéressés. En effet, depuis l’indépendance de l’Algérie, la description de la réalité des harkis, appelés tantôt « rapatriés particuliers », tantôt « supplétifs réfugiés », a gagné en clarté grâce aux travaux d’historiens tels que le général Maurice Faivre, responsable d’une harka durant la guerre d’Algérie, qui a pu accéder aux archives militaires. Ses travaux corroborent ceux d’autres historiens, le général François Meyer, lui-même ancien chef de harka, et M. Guy Pervillé.

Les enjeux du chiffrage sont, aujourd’hui encore, au cœur des polémiques liées à la destinée des anciens harkis. L’exposé des motifs du projet de loi fait état de 9 000 supplétifs de statut civil de droit commun.

Or, parmi les harkas créées au sein des 700 SAS – les sections administratives spécialisées – ou SAU – les sections administratives urbaines –, la plupart n’avaient pas de supplétifs au statut civil de droit commun et les autres n’en comptaient que deux ou trois. On peut donc estimer le nombre de ces « harkis blancs », comme ils se désignent eux-mêmes, à seulement 500.

Ils ont vécu leur transfert en métropole comme un déracinement similaire à celui de leurs semblables arabo-berbères de souche. Ils ne sont pas revenus dans la mère patrie, comme l’on continue de le prétendre : ces supplétifs d’origine européenne et leur famille n’avaient généralement plus d’attaches avec la métropole, que leurs ancêtres avaient quittée trois ou quatre générations plus tôt. En fuyant l’Algérie, eux aussi ont perdu tous leurs biens.

Faut-il rappeler que, d’avril 1943 à mai 1945, 20 000 d’entre eux, appelés sous le drapeau français, ont été tués au combat contre les Allemands ?

Le temps n’est-il pas venu de manifester une certaine solidarité nationale envers ces Français dont l’existence même était menacée, qui ont tout perdu et qui demeurent les perpétuels oubliés des indemnisations ? Le Gouvernement va-t-il leur infliger une nouvelle vexation en leur refusant le droit à la reconnaissance nationale et le bénéfice de son allocation ?

L’honneur du législateur, aujourd’hui, serait de solder ce douloureux dossier sans exclusive et sans arbitraire, de respecter les deux décisions mentionnées, afin qu’aucune discrimination ne s’applique plus aux forces auxiliaires auxquelles il doit rendre hommage, et de faire en sorte que la nation les indemnise en raison des épreuves subies, à la hauteur de leur fidélité à l’égard de la France.

Quant à l’amendement n° 33 rectifié ter, c’est un amendement de repli.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. En supprimant l’article 33, l’adoption de l’amendement n° 34 rectifié bis ouvrirait de facto par la voie législative le bénéfice de l’allocation de reconnaissance aux supplétifs de l’armée française de statut civil de droit commun. D’ailleurs, Mme Garriaud-Maylam l’a admis.

Chère collègue, le législateur, de façon constante depuis 1987, et cela quelles que soient les majorités politiques – les gouvernements de Jacques Chirac en 1987, d’Édouard Balladur en 1994, de Lionel Jospin en 1999, de Jean-Pierre Raffarin en février 2005 –, a entendu réserver ce bénéfice aux supplétifs de l’armée française de statut civil de droit local, c’est-à-dire aux combattants d’origine arabo-berbère qui ont combattu aux côtés de l’armée française et qui ont dû quitter l’Algérie au péril de leur vie et solliciter une demande de naturalisation.

Sans méconnaître leur situation, les supplétifs de statut civil de droit commun de souche européenne n’ont pas connu exactement les mêmes difficultés d’intégration et de réadaptation sur notre territoire. C’est ce qui a toujours justifié la distinction entre les deux catégories.

Le nombre de bénéficiaires de l’allocation, si l’on suit les auteurs de cet amendement, passerait de 6 000 à 15 000, pour un coût de l’ordre de 270 millions d’euros. En opportunité, cet amendement n’est donc ni juste ni raisonnable.

Il n’est pas juste, car le préjudice subi par les harkis, leur déracinement, leurs difficultés d’intégration sont beaucoup plus importants que ceux des supplétifs de statut civil de droit commun, et je crains qu’il n’entraîne, de surcroît, de nouvelles revendications.

À mon sens, il n’est pas non plus raisonnable dans la situation économique actuelle de notre pays. Au moment où nous devons garantir un niveau minimal de moyens à la défense, nous ne disposons pas de 270 millions d’euros pour ouvrir cette allocation spécifique à de nouvelles catégories. Si nous connaissions une autre situation économique, nous pourrions réfléchir à une forme d’indemnisation certainement plus adaptée, mais, dans les circonstances actuelles, ce serait très compliqué.

C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Même avis.

M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je m’étonne des chiffres que M. le rapporteur vient d’avancer.

Certes, je ne suis pas la première signataire de cet amendement, qui a été travaillé essentiellement par nos collègues Bruno Gilles et Alain Milon, même si j’en suis évidemment solidaire. Mais, pour ma part, j’ai entendu parler de 500 allocataires supplémentaires par an, et non d’une augmentation qui porterait de 6 000 à 15 000 le nombre de bénéficiaires du dispositif ! Vous comprenez donc mon étonnement…

Je suis moi-même persuadée de l’impérieuse nécessité de réduire les dépenses publiques, et je suis très soucieuse de la trésorerie et des dépenses encourues aujourd’hui. Mais, là, nous parlons simplement, selon les informations dont je dispose, de 500 personnes qui se sentent discriminées ; je pense vraiment que le Parlement s’honorerait à prendre leur situation et leurs revendications en compte.