Jan 09 2014

Vente de livres sur Internet : le Sénat adopte la loi « Anti-Amazon » (PC INpact)

En moins de deux heures et demi, l’affaire fut pliée. Le Sénat a en effet adopté cette nuit et à l’unanimité la proposition de loi concernant la vente des livres sur Internet, également appelée loi « Anti-Amazon ». Les parlementaires ont complété le texte qui leur arrivait de l’Assemblée nationale, en interdisant la gratuité des frais de port en cas de décote. Compte-rendu.

Depuis l’adoption de la loi de 1981 sur le prix unique du livre, les libraires sont contraints de fixer leurs tarifs selon des critères relativement stricts. Mais depuis la démocratisation d’internet et le développement des cybermarchands, certains acteurs ont tenté de jouer au maximum avec la législation pour pratiquer les prix les plus bas possibles. En l’occurrence, Amazon propose fréquemment à ses clients de bénéficier à la fois d’une remise de 5 % sur leurs livres, tout en offrant les frais de port correspondant. La Fnac.com est également citée pour pratiquer cette « double ristourne » vis-à-vis de ses clients adhérents.

Mais ces pratiques pourraient bientôt ne devenir qu’un lointain souvenir… En effet, plusieurs députés UMP ont déposé cet été une proposition de loi visant à interdire la gratuité de la livraison. Et pour cause : cette concurrence vis-à-vis des libraires traditionnels est perçue comme déloyale. Tout en adhérent officieusement au texte, le gouvernement a fait réécrire l’article unique de cette proposition de loi, afin d’interdire de fait le cumul entre la gratuité des frais de port et la réduction maximale de 5 % que peuvent accorder les cybermarchands à leurs clients sur les ouvrages neufs, dès lors que ceux-ci sont livrés à domicile. Adopté à l’unanimité par les élus du Palais Bourbon le 3 octobre, le texte a ensuite été transmis au Sénat.
Aurélie Filippetti se défend de vouloir « brimer certains acteurs »

Le texte était donc examiné hier soir en séance publique au Palais du Luxembourg, en présence d’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture. « La gratuité des frais de port, en sus de la remise de 5 % autorisée par la loi Lang, constitue un avantage déloyal qu’utilisent les libraires en ligne, à l’origine d’une course à l’échalote dans la baisse des prix » a fait valoir la locataire de la Rue de Valois, expliquant que la concurrence ne pouvait dès lors « pas s’aligner sur la stratégie d’un groupe comme Amazon, assise sur la gratuité des frais de port et qui paie fort peu d’impôt sur les sociétés et de TVA ».

La ministre a d’ailleurs lancé un avertissement : « Ne voyons pas dans cette stratégie une marque d’altruisme pour les consommateurs. Elle est un argument commercial au service de la conquête de parts de marché ». Même si Aurélie Filippetti a clairement dénoncé les pratiques d’Amazon, elle s’est défendu dans le même temps d’avoir une dent particulière contre le géant américain : « Il s’agit non de brimer certains acteurs et certaines pratiques mais de donner à tous les moyens de se positionner sur la vente en ligne. En d’autres termes, de restaurer la concurrence ».

« La gratuité des frais de port est néfaste »

Mais rappelons que quelques jours avant ces déclarations, la Commission de la Culture du Sénat avait ajouté son grain de sel en adoptant, courant décembre, un amendement prévoyant qu’en plus de cette interdiction de cumuler la réduction de 5 % et la remise sur les frais de port, ces derniers ne pouvaient dans ce second cas de figure être offerts « à titre gratuit ». En clair, les cybermarchands devront choisir entre la livraison offerte et le rabais de 5 %. Seulement, si le vendeur opte pour la remise, celle-ci sera déduite du montant des frais de port, de telle sorte que ces derniers restent malgré tout facturés, au minimum de 1 centime d’euro.

La mesure a visiblement satisfait Aurélie Filippetti, qui l’a vivement saluée. « Il est bon que le consommateur comprenne que la livraison à domicile a un coût. Votre complément, tout à fait ingénieux, aura un effet concret » a ainsi applaudi la ministre de la Culture.

Elle fut d’ailleurs rejointe par la sénatrice écologiste Corrinne Bouchoux : « La gratuité des frais de port est néfaste. Cette proposition de loi interdit opportunément son cumul avec le rabais de 5 %. Cette proposition de loi, complétée par notre rapporteure, va dans le bon sens » a-t-elle ainsi déclaré. De manière plus timorée, Pierre Laurent a affirmé pour le groupe communiste que « si [cette proposition de loi] est modeste, et d’abord symbolique car elle n’empêchera pas Amazon de facturer des frais de port réduits à la portion congrue, nous la voterons au nom de notre conception du livre ».

Quelques réfractaires ont fait entendre leurs voix, en vain

Néanmoins, malgré les soutiens apportés dans l’hémicycle par de nombreux sénateurs, des résistances ont également émergé. « Je ne suis pas du tout convaincue par ce texte » a ainsi fait savoir la centriste Nathalie Goulet. Selon elle, « ce texte ne modifiera pas la pratique de l’achat en ligne. Tout le monde n’habite pas à Paris, à cinq minutes d’une librairie. Quant à l’Amazon bashing, je n’y crois guère ». Tout en estimant qu’une étude d’impact aurait été d’une grande utilité, l’élue a annoncé qu’elle s’abstiendrait.

Joëlle Garriaud-Maylam (UMP) a également critiqué ce texte : « La concurrence déloyale d’Amazon, c’est l’optimisation fiscale. La vente en ligne n’est pas concurrente mais complémentaire aux librairies traditionnelles car plus on lit, plus on a envie de lire. Quand on achète un ouvrage sur Internet, on en achète un autre à un libraire. Les personnes vivant dans des quartiers ou des territoires isolés, celles qui sont à mobilité réduite, profitent de cette nouvelle pratique, comme les Français de l’étranger que je représente ».

La ministre de la Culture promet d’aller vite

Mais les objections formulées par certains parlementaires n’ont pas convaincu le reste de des sénateurs présents dans l’hémicycle. En effet, la proposition de loi a finalement été adoptée à l’unanimité des suffrages exprimés (en dehors des éventuelles abstentions donc), sans que le Sénat ne précise pour l’instant le nombre exact de votants.

Au passage, deux amendements ont été adoptés par la Haute assemblée. Le premier vise à ce que la loi n’entre en vigueur que trois mois après sa publication au Journal Officiel, afin de laisser aux professionnels concernés le temps de s’organiser. Le second consiste à autoriser le gouvernement à recourir aux ordonnances pour légiférer au sujet du contrat d’édition numérique.

Le texte repart désormais à l’Assemblée nationale, pour une seconde lecture. Mais les autorités veulent aller vite sur ce dossier. Aurélie Filippetti s’est d’ailleurs engagée « à ce que la navette soit la plus rapide possible », alors que les élections municipales et la pause parlementaire de cinq semaine qui les accompagne se rapproche à grands pas (à partir du 28 février).

Source: http://www.pcinpact.com/news/85282-vente-livres-sur-internet-senat-adopte-loi-anti-amazon.htm