Fév 24 2014

Compte-rendu à la commission des affaires européennes de mon déplacement en Ecosse

ecosseExtrait du compte-rendu de la réunion de la commission des affaires européennes du 20 février 2014 :

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Le 21 février dernier, je me suis rendue en Ecosse, à l’invitation de notre consul général Pierre-Alain Coffinier, à l’occasion de l’anniversaire du poète Robert Burns, chantre de la nation écossaise. J’y ai assisté au dîner, donné par la présidente du parlement écossais, Tricia Marwick, et j’ai rencontré la communauté française, forte de plus 5 000 personnes, ainsi que les responsables politiques et gouvernementaux écossais et britannique pour évoquer les enjeux et les conséquences du référendum relatif à l’indépendance de l’Ecosse.

Plus de 4 millions d’électeurs écossais de plus de 16 ans, ainsi que plus de 80 000 étrangers européens et 400 000 britanniques résidant en Ecosse sont appelés aux urnes le 18 septembre prochain pour décider de leur maintien ou non au sein du Royaume-Uni ; en revanche, les 800 000 Ecossais n’habitant pas dans leur nation ne pourront se prononcer. En cas de vote positif, l’Ecosse déclarerait formellement son indépendance en mars 2016. La question posée est simple: « Should Scotland become an independent country ? » D’autres propositions avaient été faites, mais la commission électorale les a jugées de nature à influencer les électeurs.

L’indépendance est solidement ancrée dans l’histoire et les esprits écossais, puisque l’Ecosse a eu son Parlement du XIIIe siècle jusqu’en 1707, date à laquelle elle a rejoint le royaume d’Angleterre pour former le Royaume-Uni. À la suite du référendum de 1997, le Scotland Act autorise la création d’un parlement écossais ayant compétence pour légiférer dans tous les domaines non réservés au parlement britannique, comme les affaires étrangères ou la défense. Cette autonomie, limitée par le droit d’amendement des lois du parlement écossais par le parlement britannique, ne suffit plus à une partie importante de la population. Le parti indépendantiste, le Scottish National Party (SNP), dirigé par le charismatique Alex Salmond, a obtenu la majorité absolue des sièges aux élections du 5 mai 2011.

Le livre blanc,  Le futur de l’Ecosse, votre guide pour une Ecosse indépendante, a été présenté par la vice-premier ministre écossaise, Nicola Sturgeon. Dans son avant-propos, elle écrit notamment que « l’indépendance au sein de l’Union européenne permettra à l’Ecosse de jouer un rôle à part entière et constructif dans l’élaboration d’un large éventail de politiques décidées au niveau de l’Union européenne qui ont un impact direct sur la population et l’économie de l’Ecosse ». Selon le SNP, si l’Ecosse indépendante devra bien faire acte de candidature à l’Union européenne, elle mettra à profit le délai entre le référendum et la date effective de l’indépendance pour négocier avec le Royaume-Uni et l’Union européenne les termes de son adhésion. L’adhésion de l’Ecosse serait automatique : elle deviendrait le 29e État membre de l’Union européenne sans en être jamais véritablement sortie. L’objectif du SNP est bien sûr de rassurer les électeurs.

Le SNP pense aussi que la communauté internationale serait sensible à la manière dont se déroulerait le processus de séparation. Londres a déjà indiqué qu’elle respecterait la décision des Ecossais.

Indépendante, l’Ecosse siégerait et aurait son propre commissaire européen, un juge à la Cour de justice de l’Union européenne, et deux fois plus de députés au Parlement européen, de manière à défendre des intérêts parfois divergents de ceux du Royaume-Uni sur la politique agricole commune (PAC), les fonds structurels, la pêche, l’énergie, l’environnement, la recherche. Cependant, les Ecossais restent majoritairement hostiles à l’adoption de l’euro.

Fin janvier, Londres a répliqué par un document intitulé « Analyse de l’Ecosse : les questions européennes et internationales ». Même si les sondages ont toujours donné le « non » gagnant, les indépendantistes soulignent que la campagne n’a pas encore commencé. Un sondage donnait fin janvier les partisans du « oui » à 46 % ; Reuters les donne ce matin à un tiers. Les déclarations des dirigeants britanniques se multiplient : David Cameron a appelé chaque Britannique à convaincre les Ecossais de renoncer à l’indépendance, et George Osborne s’est rendu le 12 février à Édimbourg pour tenir des propos de fermeté, avertissant notamment que rien n’obligeait les Britanniques à partager la livre sterling… Le ministre des finances a en outre accusé le SNP de n’avancer que des affirmations et des menaces sans fondement.

Le parti travailliste et le parti libéral-démocrate ont appelé, en une forme d’union sacrée, à lutter contre le processus d’indépendance. Cela confirme la grande inquiétude des Britanniques et des Européens. José Manuel Barroso s’est déclaré hostile à ce qu’une partie quelconque du territoire d’un État membre cesse d’y appartenir, car cela en ferait pour l’Union européenne un État tiers, auquel les traités cesseraient de s’appliquer. Romano Prodi en 2004 et Hermann Van Rompuy n’ont pas dit autre chose. L’Ecosse devrait, selon eux, négocier son adhésion à l’Union européenne selon la procédure normale. Le président de la Commission européenne a récemment comparé la situation écossaise à celle du Kosovo. L’exemple est contestable, car le Kosovo a fait sécession d’un État non membre de l’Union européenne, la Serbie ; les pays Baltes, la République tchèque, la Slovaquie ou encore la Croatie sont d’anciens États sécessionnistes.

Londres souligne qu’en cas d’indépendance, la continuité de l’adhésion à l’Union européenne ne serait pas acquise, ce qui pourrait obliger l’Ecosse à passer par un long processus de demande d’adhésion. L’Ecosse serait-elle plus forte à l’ONU si elle était indépendante ou intégrée au Royaume-Uni, qui la rend titulaire d’un siège au Conseil de sécurité ? L’indépendance lui ferait aussi perdre l’accès au G8 et au G20. Comment l’Ecosse négocierait-elle avec Londres la rétrocession des puits d’hydrocarbures, qui représentent 91 % de la production britannique ? Comment se passerait-elle de la force exceptionnelle du réseau britannique de promotion du tourisme et des produits écossais ? Londres laisse entendre que l’Ecosse ne profiterait pas automatiquement des différentes clauses d’opt-out dont bénéficie le Royaume-Uni, notamment sur l’euro, les contrôles aux frontières de l’espace Schengen ou les questions de police et de droit pénal.

Le gouvernement écossais argue, quant à lui, que l’Ecosse est déjà dans l’Union européenne, met pleinement en oeuvre l’acquis communautaire et ne devrait donc pas être contrainte de renégocier son adhésion, mais seulement des adaptations aux traités existants.

Le 16 février, José Manuel Barroso a de nouveau insisté sur la nécessité d’un accord de tous les États membres sur la demande d’adhésion écossaise, y compris l’Espagne dont on sait qu’elle s’y opposerait afin de ne pas encourager les velléités indépendantistes de la Catalogne par exemple.

Londres souligne que le coût de l’indépendance serait considérable pour l’Ecosse, qui serait privée de toute part sur le rabais accordé à la contribution britannique au budget européen. Sa contribution nette serait ainsi plus élevée de 2,2 milliards d’euros, sur l’actuelle période de programmation budgétaire, que si elle restait au sein du Royaume-Uni. Cela représenterait, selon les analystes de Londres, un coût de 840 euros par ménage écossais. La question de la monnaie est essentielle. L’Ecosse partage la livre sterling avec les Britanniques depuis 1707.

Après l’indépendance de l’Irlande, de l’Inde, et le démantèlement de son Empire, la perte de l’Ecosse amputerait le Royaume-Uni du tiers de son territoire, le priverait de 70 % de son plateau continental, ferait chuter son PIB de 10 %, éroderait sa stature internationale et menacerait son siège au Conseil de sécurité de l’ONU. La politique de défense du Royaume-Uni, premier partenaire stratégique de la France, serait également particulièrement affectée, l’Ecosse abritant une part importante des industries de défense britannique et la totalité de sa force de dissuasion nucléaire. Le Royaume-Uni étant notre seul véritable partenaire européen de défense, cela doit nous inquiéter.

Il n’y a pas de précédent d’une région souhaitant à la fois se séparer d’un État membre de l’Union européenne et rester dans cette dernière. Sur un plan juridique, la position des indépendantistes écossais n’est pas garantie. En effet, en droit international, la dissolution qui confère aux États qui en sont issus un statut d’État successeur concerne généralement des États fédéraux. Or, le Royaume-Uni, qui n’est pas partie à la convention de Vienne sur les successions d’États de 1978, demeure un État unitaire, en dépit des avancées de la dévolution dans ses différentes nations depuis 1998-1999. Dès lors, la partie qui se détache de l’État unitaire a le statut d’État successeur, et l’État préexistant à la dissolution, celui d’État continuateur. Seul l’État successeur présente sa candidature aux organisations internationales auxquelles il souhaite adhérer. Le précédent irlandais, peut-être le plus pertinent dans le cas écossais, est intéressant : à sa création, en 1922, le nouvel État irlandais avait fait acte de candidature à la Société des nations, alors que la situation internationale du Royaume-Uni demeurait inchangée. Selon ce précédent, l’Ecosse indépendante devrait présenter sa candidature à l’Union européenne.

De surcroît, même si l’hypothèse fédéraliste était retenue, la position des indépendantistes ne serait pas davantage assurée. Lorsqu’une fédération est dissoute, aucun des États successeurs n’hérite automatiquement des droits et obligations de l’État prédécesseur. Ainsi, après la dissolution de la Tchécoslovaquie, la République tchèque et la Slovaquie firent chacune acte de candidature pour adhérer à l’ONU. La situation de la Russie, reconnue comme l’État continuateur de l’Union soviétique, et qui hérita de son siège de membre permanent du Conseil de sécurité, peut être considérée comme une exception, liée essentiellement à l’arsenal nucléaire soviétique.

Face à une Ecosse indépendante qui souhaiterait adhérer à l’Union européenne, il est possible que beaucoup d’États membres ne cherchent pas à faciliter cette adhésion : les déclarations récentes de M. Barroso l’ont bien montré. Les États confrontés à des mouvements indépendantistes, tels que l’Espagne, avec la Catalogne, la Belgique, avec les Flamands, voire l’Italie, avec la Ligue du Nord, pourraient s’y montrer hostiles. Les grands États membres chercheraient sans doute à préserver le statu quo. La volonté de ne pas créer de précédent pourrait être largement partagée.

Il convient néanmoins de s’interroger sur le réalisme de ces déclarations, compte tenu des conséquences pratiques qu’entraînerait la suspension de la coopération communautaire, qui, en l’espèce, existe depuis plus de quarante ans, alors même que l’Ecosse indépendante souhaitera réintégrer l’Union. Il paraît raisonnable de penser que la plupart des États membres s’aligneront sur la position de Londres, qui a déjà indiqué qu’elle respecterait les résultats du référendum.

Les traités européens ne comportent pas de dispositions relatives à la sécession de parties d’États membres. En revanche, aux termes de l’article 50 du traité sur l’Union européenne, le retrait d’un État membre doit faire l’objet de négociations préalables avec les institutions communautaires et les États membres avant d’être effectif. Par analogie, l’avenir de l’Ecosse indépendante dans l’Union européenne pourrait être négocié avant son changement de statut par rapport au Royaume-Uni, par le recours à l’article 48 du traité et non à l’article 49 sur la procédure normale d’adhésion.

Quel pourrait être le résultat de ce référendum ? Bien que la plupart des observateurs estiment que le non devrait l’emporter, la campagne ne fait que commencer. Pour les responsables écossais, il s’agit aussi de réaliser une étape en testant la progression de leurs idées. M. Salmond, malgré le raz-de-marée électoral de 2011, avait programmé ce référendum à la date la plus éloignée possible pour pouvoir convaincre un maximum d’électeurs. Cette année sera le 500e anniversaire de la bataille de Bannockburn, où les Ecossais ont vaincu des Anglais malgré l’écrasante supériorité numérique de ces derniers ; l’Ecosse accueillera les jeux du Commonwealth. Il ne faut préjuger de rien : 71 % des Ecossais jugent que leurs intérêts seraient mieux défendus par un gouvernement écossais, mais 65 % continuent à souhaiter que la défense et la diplomatie soient gérées par Londres. M. Salmond a répliqué aux attaques de M. Osborne en disant que celles-ci étaient le fait des élites de Westminster, et que si Londres refusait de partager la monnaie, il refuserait de partager la dette publique britannique.

M. Cameron a peur d’être le « lord North de l’Ecosse », par référence à son prédécesseur qui a perdu les colonies américaines en 1776. Ces enjeux sont fondamentaux pour l’Europe. La sécession de l’Ecosse pourrait influer sur le résultat du référendum britannique de 2017 sur l’appartenance à l’Union européenne.

Il serait utile de présenter un rapport plus complet avant la fin de l’été.

M. Simon Sutour, président. – Il est contradictoire de se dire démocrate et d’être embarrassé par le résultat d’une élection, comme nous l’avait fait remarquer le Premier ministre marocain… En l’espèce, nous sommes soulagés que le non doive l’emporter !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Ce n’est pas sûr.

M. Simon Sutour, président. – De grands États valent toujours mieux qu’un morcellement en petites entités, on l’a bien vu avec l’éclatement de la Yougoslavie. La Catalogne ne peut pas organiser un vote aussi clair, mais ses dirigeants sont partisans de l’indépendance.

M. Jean Bizet. – Ce rapport arrive à point nommé. Cette affaire va peut-être faire sortir nos amis anglais de leur ambiguïté par rapport à l’Union européenne. Je regrette que souffle sur l’Europe un vent mauvais qui attise les crispations identitaires, illustrées il y a quelques jours par le vote suisse. Pourtant, le rapport de Richard Yung le montre bien, l’Union européenne n’a pas failli : depuis la crise de 2008, elle a accompli un travail considérable de restructuration et de rationalisation. Hélas ! L’opinion publique n’en a pas conscience et des ouvrages annonçant la fin de l’Union se multiplient. J’espère donc que cette situation se dénouera positivement, et modèrera le discours de M. Cameron à l’égard de l’Europe. L’Union européenne a besoin du Royaume-Uni, mais la réciproque est vraie aussi.

M. Pierre Bernard-Reymond. – Les partis d’extrême droite européens ont-ils pris position sur ce référendum ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Pas que je sache.

M. André Gattolin. – Bravo pour cette communication, qui vient à son heure. Les peuples ont droit à l’autodétermination, surtout lorsque leur désir d’indépendance repose sur une vraie culture et une tradition nationale ; le cadre européen est un garant fort de cohérence. Cela dit, ces irrédentismes se manifestent toujours dans les régions riches ou qui se découvrent un potentiel économique qu’elles ne souhaitent plus partager. La Catalogne estime qu’elle s’en sortirait mieux sans l’Espagne. Or, nous avons laissé s’installer des situations anormales au bénéfice de certaines zones. Le statut d’exception de Rotterdam et Anvers, par exemple, est scandaleux.

M. Jean Bizet. – C’est tout à fait vrai !

M. André Gattolin. – Le président de la Commission européenne, M. Barroso, a eu des propos tout à fait déplacés : l’Union européenne n’ayant pas prévu de règles sur le départ d’un État membre, je ne vois pas comment nous pourrions imposer à l’Ecosse de recommencer la procédure d’adhésion.

J’ai du mal à comprendre que les Ecossais hors d’Ecosse n’aient pas le droit de voter. Est-ce lié au régime de la citoyenneté dans le Commonwealth ?

M. Simon Sutour, président. – L’aspect économique ne doit pas masquer l’aspect identitaire et culturel : la langue écossaise a été massacrée, et n’est plus parlée que de manière résiduelle. La culture écossaise a souffert de son intégration dans un grand ensemble. Les Catalans, eux, ont su préserver leur langue. S’il est malsain, en effet, de voir des régions riches vouloir faire, en somme, comme la Norvège, c’est aussi un retour de bâton.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – L’Ecosse a été indépendante jusqu’en 1707, et a développé une culture nationale, symbolisée en particulier par Burns, et qui vit à travers la diaspora. Saviez-vous par exemple que Carnegie était écossais ?

M. André Gattolin. – Je l’ignorais !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Bien sûr, le gouvernement espagnol est farouchement opposé à l’indépendance de la Catalogne. Les menaces formulées par M. Barroso sont inappropriées et résultent de pressions espagnoles et anglaises : Londres s’inquiète de plus en plus. Elles ne sont pas crédibles : si l’Ecosse vote pour l’indépendance, elle restera dans l’Union européenne. L’Angleterre y aurait trop intérêt ! Le SNP a dit qu’il souhaitait que la reine reste souveraine d’Ecosse.

Les Ecossais résidant à l’extérieur de l’Ecosse ne pourront pas voter. Cela me choque aussi, mais cela correspond à la culture anglo-saxonne, où l’on considère que ne peuvent voter que ceux qui paient leurs impôts dans le pays. Pourtant, l’on contribue aussi à la richesse de son pays lorsque l’on vit à l’étranger. Les Britanniques ont le droit de vote lorsqu’ils résident en dehors de leur pays, à condition que cette absence ne dépasse pas quinze années : Mme Thatcher avait prévu un délai de 18 ans, qui a été réduit par les travaillistes. L’émigration britannique est différente de la nôtre : il s’agit moins d’expatriations temporaires que de déménagements définitifs. Les 800 000 Ecossais résidant en dehors de l’Ecosse sont très fiers de leur origine et auraient pu peser sur le vote. Curieusement, le SNP n’a pas protesté. Le nombre d’étrangers européens qui ont demandé à voter a augmenté de 16 %. Un député du SNP est d’ailleurs français, cela ne pose aucun problème.

M. Simon Sutour, président. – En somme, il y aura deux consultations importantes en septembre : le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, et les élections sénatoriales…