Paris, 28 mai 2014 (AFP) – Le Sénat a allongé mercredi à 30 ans le délai de prescription des agressions sexuelles, pour permettre aux victimes de porter plainte quand elles ont été frappées d’amnésie et que leur mémoire revient.
Dans un premier temps, les centristes Muguette Dini et Chantal Jouanno, auteurs d’une proposition de loi en ce sens, adoptée en première lecture, voulaient faire courir le délai de prescription à partir de la date où la victime prend conscience de l’agression et non à partir de la date à laquelle celle-ci est commise.
Mais le rapporteur Philippe Kaltenbach (PS) a soulevé un risque d’inconstitutionnalité et a proposé de l’amender en portant le délai de prescription aux violences sexuelles sur des mineurs « à 30 ans pour les faits aujourd’hui prescrits par 20 ans et à 20 ans pour ceux aujourd’hui prescrits par 10 ans ».
« Les victimes mineures d’agressions sexuelles pourront désormais porter plainte jusqu’à l’âge de 48 ans », a souligné le rapporteur des Hauts-de-Seine, « et ce, alors que les experts s’accordent à dire que ces traumatismes se révèlent souvent après 40 ans ».
« La durée de trente ans n’est pas incohérente », a-t-il précisé. « Elle est celle retenue pour les crimes de guerre, mais aussi pour les infractions de trafic de stupéfiants ou encore de terrorisme ».
« La France s’est dotée d’un dispositif répressif sévère à l’encontre des auteurs de violences sexuelles », a souligné le sénateur des Hauts-de-Seine. « Toutefois, les délais actuels de prescription ne sont pas adaptés pour les mineurs », a-t-il poursuivi. « Le traumatisme subi lors d’une agression sexuelle se traduit souvent par une amnésie dissociative, plaçant la victime dans l’impossibilité de dénoncer les faits pendant une période parfois très longue ».
La solution proposée par Mmes Dini et Jouanno « présente plusieurs difficultés sérieuses, notamment sur le plan constitutionnel », a-t-il estimé. Pour les contourner, il a déposé deux amendements pour rallonger le délai de prescription.
– « Fausse bonne réponse juridique » –
« Vous nous proposez une solution, même si elle n’est pas aussi complète que celle que j’avais souhaitée », a estimé Mme Dini. « C’est mieux toutefois que de risquer une inconstitutionnalité. Notre souci est d’aider les victimes. Le prolongement est un progrès ». La sénatrice du Rhône avait commencé son intervention en relatant le témoignage de deux victimes d’agressions sexuelles dans leur enfance, une femme et un homme qui assistaient au débat de la tribune, et qui ont recouvré la mémoire après leur majorité.
« Nous sommes du côté des victimes, tout simplement parce qu’on ne l’a pas été assez jusqu’à aujourd’hui », a souligné Chantal Jouanno. « Je ne voterai pas contre vos amendements, M. le rapporteur, car ils améliorent en effet la situation existante et permettront au texte de poursuivre sa navette. Pour autant, je ne voterai pas pour, car ils reviennent à nier le phénomène de l’amnésie post-traumatique. Je m’abstiendrai ».
« Ces actes sont effroyables, qu’ils soient commis sur une personne mineure ou majeure », a lancé de son côté Joëlle Garriaud-Maylam. « C’est pourquoi mon groupe UMP soutient l’amendement de M. Kaltenbach: donner dix ans de plus pour que la victime puisse, enfin, dire ces secrets trop longtemps enfouis ».
« Les agressions sur mineurs sont graves mais l’allongement du délai de prescription ne les fera pas diminuer, il faut les prévenir et délier la parole », a affirmé Cécile Cukierman (Communiste, républicain et citoyen). « Ce texte (…) appelle à une réforme plus globale des délais de prescription », a-t-elle ajouté en annonçant l’abstention de son groupe.
Pour Esther Benbassa (Ecologiste), « si la présente proposition de loi était adoptée, cela reviendrait enfin à rendre les agressions sexuelles imprescriptibles et donc à les placer au même rang que les crimes contre l’humanité ». C’est pourquoi son groupe s’abstient.
« La proposition de loi rompt l’équilibre entre le droit des victimes et le droit à procès équitable », a estimé Jean-Claude Ruquier pour le RDSE (à majorité PRG) en présentant l’opposition de son groupe. « Elle constitue une fausse bonne réponse juridique ».
Le texte doit être adoptée par l’Assemblée nationale pour pouvoir entrer en vigueur.