Ma tribune, parue en version française dans L’Orient le Jour, et en version anglaise et arabe dans As-Safir, grand quotidien libanais :
Bien que sénatrice d’opposition (UMP), j’ai salué l’organisation à Paris de la Conférence sur la paix et la sécurité en Irak avec les représentants d’une trentaine d’États. Enfin ! Cela fait des années que les Arabes chrétiens sont persécutés, sans la moindre réaction de la communauté internationale… Il a fallu l’horreur des tueries de ces dernières semaines – sans compter les immondes décapitations – pour que nos dirigeants se décident à agir.
L’État islamique (EI), ou Daech comme l’appellent les dirigeants français pour éviter de lui reconnaitre la qualité d’État et l’attribut d’« islamique » – qui fait injure à une immense majorité de musulmans voulant vivre leur foi dans la paix et le respect de l’autre – a perpétré de véritables crimes contre l’humanité, et menace d’étendre son emprise sur un territoire toujours plus vaste. Intervenir est indispensable. Pour protéger les populations, et notamment les chrétiens persécutés. Pour assurer la sécurité régionale, alors que des États comme la Jordanie et le Liban sont à leur tour menacés. Pour éviter une recrudescence de terrorisme international, à l’heure où des centaines de jeunes partent en Syrie et en Irak pour s’y former au jihad avant de rentrer perpétrer des attaques sur nos territoires.
Encore faut-il clarifier les objectifs poursuivis, de manière à organiser une stratégie en conséquence. De l’Afghanistan au Mali et à la Centrafrique, tous les théâtres récents de la lutte contre le « terrorisme » prouvent la nécessité de penser une voie de sortie de crise, au-delà du volet militaire. Il est clair que le manque d’ouverture du gouvernement irakien aux diverses ethnies et religions qui composent la nation a nourri l’émergence de Daech. Pour prévenir de nouvelles poussées terroristes, il faut préparer dès aujourd’hui la reconstruction et le renforcement de l’État irakien, en favorisant l’émergence d’un gouvernement d’union nationale, associant toutes les communautés : les chiites bien sûr puisque majoritaires dans la population, les sunnites et les autres minorités religieuses, dont les yazidis et les chrétiens.
La stratégie privilégiée par Barack Obama, avec le soutien de François Hollande, répond-elle à cet impératif ? Est-il habile d’armer des groupes sur des bases confessionnelles ? Comme j’ai eu l’occasion de le dire en commission des Affaires étrangères et sur des plateaux de télévision, il me semble extrêmement risqué d’accroître, dans des conditions de légalité internationale douteuse, le stock d’armements en circulation dans le maquis moyen-oriental. D’autant que le profil de certains de ces « alliés » laisse songeur : les peshmergas kurdes sont proches du PKK, fiché comme organisation terroriste par l’Union européenne et les États-Unis ; de même pour les rebelles syriens, que leur opposition à Bachar el-Assad ne suffit pas à convertir en démocrates pacifistes.
N’aurait-il pas été plus pertinent d’envoyer une force d’interposition sous mandat de l’Onu ? Cette suggestion, que j’avais soumise à François Hollande avec 55 autres parlementaires, demeure sans réponse à ce jour. Certes, l’opinion publique occidentale préférera toujours les frappes aériennes et l’armement de belligérants locaux à l’envoi de combattants internationaux au péril de leur vie. Mais la capacité à déminer réellement le terrain moyen-oriental en dépend sans doute.
Il est aussi indispensable de négocier avec tous les États qui, en sous-main, entretiennent des relations avec les belligérants. Le politiquement correct consistant à refuser le dialogue avec des régimes jugés peu recommandables peut mettre en péril des millions de vie. Comme l’a rappelé l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine, face à Hitler, les démocraties ont coopéré avec Staline qui avait pourtant beaucoup de sang sur les mains…
La participation de la Russie à la Conférence de Paris est positive, mais il faut aller plus loin. En incluant réellement les Russes à la coalition internationale, et en obtenant, malgré la crise ukrainienne, une décision unanime du Conseil de sécurité. Avoir écarté l’Iran relève de l’autisme, ce pays ayant dès l’origine lutté contre les terroristes de Daech. La situation en Irak ne peut, non plus, être dissociée de celle en Syrie. Sans jamais excuser les crimes ignominieux commis par Bachar el-Assad, n’oublions pas qu’il a été parmi les seuls dirigeants arabes à encourager les principes de laïcité, à placer l’« arabité » au-dessus des clivages confessionnels et à protéger les communautés arabes chrétiennes sur son territoire.
Nombre de pays arabes ne s’impliquent qu’à minima, apportant un soutien moral, logistique ou financier, mais laissant les pays occidentaux en première ligne. Les réticences de la Turquie ne peuvent, non plus, être ignorées. Ne faut-il pas faire évoluer le visage de la coalition avant de donner le feu vert du début des frappes, de manière à éviter de donner l’image utilisée par les opposants d’une « croisade » en terre musulmane ?
Daech a tiré sa force du chaos régional. Pour rétablir la sécurité au Moyen-Orient et prévenir l’émergence de nouveaux mouvements fondamentalistes et terroristes, notre responsabilité est double. Au plan intérieur, nous devons renforcer le travail de conviction et de déradicalisation – et je me dois de saluer l’appel d’imams français à refuser les dogmes de l’EI. En Irak et en Syrie, il faut établir dès aujourd’hui un plan de sortie de crise politique.
Initier une guerre pour des motifs justes est une chose. Réussir à en sortir et à établir une paix durable en est une autre. Toutes nos forces devront être mobilisées dans ce but.