Ma tribune publiée par le Huffington Post :
A l’automne, les feuilles tombent et les budgets de l’aide publique au développement dégringolent. Au cours de la mandature de François Hollande, ils auront été réduits de près de 20%. L’objectif de consacrer 0,7% du RNB à la solidarité internationale s’éloigne inexorablement. Qu’il constitue un engagement de la France sur la scène internationale régulièrement réitéré ou qu’il ait été inscrit dans notre cadre légal, via la loi du 7 juillet 2014, rien n’y fait.
Si cette cible était inatteignable, la sincérité voudrait que la France cesse de s’y référer. Mais les comparaisons internationales montrent qu’un peu de volontarisme politique permet de relever ce défi. Le Royaume-Uni, pourtant lui aussi touché par le ralentissement économique mondial, a pour la première fois réussi à atteindre ce seuil. En 2013, même la Grèce a moins réduit son APD que la France.
Alors que les subventions publiques se tarissent, les regards se tournent vers les financements innovants. Las ! Bruno Le Roux propose de supprimer la taxe de solidarité sur les billets d’avion (de 1 à 4 € par billet), qui contribue au financement de la lutte mondiale contre le Sida. Conscient de l’effet désastreux d’une telle mesure pour l’image internationale de la France, il maquille cet enterrement en métamorphose, proposant de faire porter la taxe sur la grande distribution… malgré l’impact accru sur les consommateurs à faible revenu.
Autre « financement innovant », la médiatique Taxe sur les Transactions Financières (TTF). Malgré les grandes annonces, elle manque largement sa cible en ne touchant ni les produits dérivés ni les transactions à haute fréquence. Leur taxation, en plus de dégager des recettes publiques, aurait contribué à décourager une spéculation qui continue de faire peser de lourds périls sur notre système financier. Pire, la France fait pression pour éviter l’adoption d’une taxe plus ambitieuse au niveau européen !
Quand communication politique et restrictions budgétaires s’entremêlent, cela donne des dispositifs baroques, tels que l’annonce d’un fléchage plus généreux des bénéfices de la TTF vers l’aide au développement (de 15% à… 25%, les 75% restant étant versés au Trésor), immédiatement neutralisé par le plafonnement du reversement à 130 millions d’euros, quel que soit le montant futur des recettes de la taxe.
Il est de plus en plus clair que les financements innovants ne parviendront jamais à compenser le tarissement de l’aide publique. Dans ce contexte morose, sans doute faut-il se tourner vers nos voisins européens pour élaborer de nouveaux outils. Dans son récent rapport sur la nécessaire réforme de l’APD, Emmanuel Faber fait l’éloge des Development Impact Bonds, inventés au Royaume-Uni. Ces modèles hybrides, associant ONG et entreprises, et intégrant une dimension économique à vocation sociale, auraient un plus grand degré de résilience que les simples subventions. Privatisation de l’aide ou modernisation pour une meilleure efficacité ? Le débat mérite en tous cas d’être posé.
Le rôle de l’État dans l’aide au développement doit être revu. Pour ne pas camper dans la seule posture du pourvoyeur d’une manne financière qui s’épuise, il faut s’impliquer politiquement, afin d’aider les pays en développement à lutter contre la corruption et à améliorer l’efficacité de leur système fiscal. Promouvoir la lutte contre les paradis fiscaux contribue aussi au développement des pays du Sud.
Toutes ces « innovations » ne doivent pas faire oublier les secteurs traditionnels de l’aide au développement. La réussite de projets en matière d’éducation, de santé ou de droits des femmes ne peut être évaluée à l’aune de la rentabilité immédiate, alors même que ces secteurs sont des leviers stratégiques pour le développement. Seuls 10% des engagements de l’AFD ont été consacrés à l’éducation ou à la santé l’année dernière…
Ne pas financer la prévention peut coûter cher ! Ebola illustre dramatiquement le coût humain et économique de la faillite des systèmes de santé en Afrique. Un appui logistique, humain et scientifique plus précoce aurait permis de sauver des milliers de vie et de prévenir le coût faramineux de la pandémie pour les économies d’Afrique de l’Ouest. Il y a un vrai paradoxe à réagir aux crises en finançant, au nom d’Ebola, des actions en Afrique du ministère de l’Intérieur ou de la Défense, tout en continuant à couper les crédits de l’APD santé. Tirons-en des leçons dès à présent, notamment dans le cas du virus MERS, quasi ignoré aujourd’hui mais dont l’OMS répertorie déjà plus de 900 cas – dont plus d’un tiers mortels.
L’année 2015 va être cruciale, puisque devra être adoptée une stratégie prenant la suite des Objectif du Millénaire pour le Développement. Il est essentiel que les pays, et notamment la France, s’engagent sur des actes concrets et des indicateurs précis et qu’ils les respectent, faute de quoi la grande messe médiatique ne pourra être que stérile.